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Le cinéma, un vieux média ? Ralenti des images et lenteur du récit dans Point Omega de Don DeLillo

The cinema, an old medium? Slow motion of pictures and slowness of narrative in Don DeLillo's Point Omega

Cinema, uma mídia antiga? Imagens lentas e narrativa lenta em Point Omega de Don Delillo

Résumé

Cet article présente, dans une première partie, le concept de cinéfiction qui caractérise le rapport performatif de la littérature au cinéma. Il réalise, dans une deuxième partie, une analyse cinéfictionnelle dePoint Oméga (2010) de Don DeLillo dont la visée consiste à montrer comment le roman prolonge le ralenti des images de24 Hour Psycho de Douglas Gordon (1993). Cette analyse reprend la notion de « remake » que Sébastien Rongier a développée dans son ouvrageCinématière(2015) pour l’appliquer aux arts et à la littérature qui entretiennent un dialogue avec le cinéma. Je concevrai en ce sensPoint Oméga comme le remake d’un remake. Or, au lieu de caractériser l’aspect poétique de la lenteur dans le récit de DeLillo à partir d’une conception littéraire de la poésie (disposition des mots sur la page, lyrisme, etc.) comme le font certains de ses commentateurs, je propose de l’envisager à partir des conceptions poétiques du cinéma de Jean Epstein et de Pier Paolo Pasolini.

Mots-clés :
Cinéfiction; performativité; ralenti; lenteur du récit; cinéma de poésie; Don DeLillo; Point Omega

Abstract

In the first section of this paper, I present the concept of cinefiction which characterizes the performative relationship between literature and cinema. In a second part, I propose a cinematographic analysis of Don DeLillo'sPoint Omega (2010) to show how the novel extends the slow-motion images of Douglas Gordon's24 Hour Psycho(1993). This analysis takes up the notion of "remake" that Sébastien Rongier developed in his bookCinématière (2015), in order to apply it to arts and literature that maintain a dialogue with cinema. In this sense, I will conceivePoint Omega as a remake of a remake. Now, instead of characterizing the poetic aspect of slowness in DeLillo's narrative from a literary conception of poetry (arrangement of words on the page, lyricism, etc.) as some of his commentators do, I propose to consider it from the poetic conceptions of cinema developed by Jean Epstein and Pier Paolo Pasolini.

Keywords :
Cinefiction; performativity; slow motion; slowness; poetry cinema; Don DeLillo; Point Omega

Resumo

Na primeira seção deste artigo, apresento o conceito de cineficção que caracteriza a relação performativa entre literatura e cinema. Numa segunda parte, proponho uma análise cinematográfica de Point Omega (2010) de Don DeLillo para mostrar como o romance prolonga as imagens em câmera lenta de 24 Hour Psycho (1993) de Douglas Gordon. Esta análise retoma a noção de "remake" que Sébastien Rongier desenvolveu em seu livro Cinématière (2015), para aplicá-la às artes e à literatura que estabelece um diálogo com o cinema. Neste sentido, conceberei Point Omega como um remake de um remake. Agora, em vez de caraterizar o aspecto poético da lentidão na narrativa de DeLillo a partir de uma concepção literária da poesia (disposição das palavras na página, lirismo, etc.) como fazem alguns dos seus comentadores, proponho considerá-lo a partir das concepções poéticas do cinema desenvolvidas por Jean Epstein e Pier Paolo Pasolini.

Palavras-chave :
Cinéfice; performatividade; câmera lenta; cinema de poesia; Don Dellilo; Point Omega

Le concept de cinéfiction caractérise le rapport performatif de la littérature au cinéma (Santini, 2014SANTINI, Sylvano. Cinéfiction. La performativité cinématographique de la littérature narrative. Textimage, n. 6, 2014. Disponible sur: https://www.revue-textimage.com/10_cinesthetique/santini1.html . Accès à: 25 fevereiro 2019.
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). Il me semblait qu’en considérant les rapports entre les deux arts sous la forme de la performativité, j’arriverais à prolonger les analyses qui considèrent leurs affinités électives sous la forme de la comparaison, de la métaphore ou du jeu de miroir. J’ai donc pris à la lettre le principe même de la performativité en linguistique (les énoncés incitent leur destinataires à faire des choses), pour le transposer en littérature, en me demandant comment un roman fait du cinéma avec des mots.

Notre histoire relativement récente avec les images en mouvement appuie l’hypothèse cinéfictionnelle. La présence du cinéma dans les arts et la littérature n’est plus une opinion mais une évidence. Malraux la constatait déjà en 1977MALRAUX, André. L’Homme précaire et la littérature. Paris: Gallimard, 1977. dans L’Homme précaire et la littérature en s’inquiétant du fait que la culture est nourrie non plus par la traditionnelle bibliothèque mais par la cinémathèque, comme si l’imagination avait été complètement envahie par le mouvement sur les écrans (Malraux , 1977MALRAUX, André. L’Homme précaire et la littérature. Paris: Gallimard, 1977., p. 220-221). Il faut dire que les rapports entre les deux arts commencent dès la naissance du cinéma, et n’ont pas toujours été conçus sous le mode conflictuel ou comme une menace. Par ailleurs, le fait qu’ils soient tous les deux des arts narratifs n’est pas la seule raison qui explique leur rapprochement : la littérature s’empare du cinéma parce qu’elle y trouve une nouvelle perception du monde qui anime la vie moderne. Dès les années 1920, Eisenstein concevait cette emprise du cinéma sur les arts et la culture, à une époque où les causes finales éclairaient encore l’histoire : « tous les arts, [ont], à travers les siècles, tendu vers le cinéma » (Albera, 2009ALBERA, François. Introduction. In: EISENSTEIN, Sergueï. Cinématisme. Paris: Les Presses du Réel, 2009. p. 7-19, p. 10). Si le cinéaste croyait que le cinéma pouvait conduire des modes de composition et d’expériences esthétiques à leur stade le plus achevé, il cherchait surtout à faire une « histoire despossibilitésdu cinéma » (Somaini, 2011SOMAINI, Antonio. Utopies et dystopies de la transparence. Eisenstein, Glass House, et le cinématisme de l’architecture de verre. Appareil, n. 7, 2011. https://doi.org/10.4000/appareil.1234
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, s. p.). Or, ces possibilités se manifestent au-delà du cinéma « dans des formes de représentation qui ont précédé sa naissance et accompagné son développement, et auxquelles le cinéma du futur devra nécessairement prêter attention » (Somaini, 2011, s. p.). Eisenstein ne parlait pas d’influence mais d’échanges concrets entre les deux arts, comme si en actualisant leurs puissances, la littérature, les arts et le cinéma se continuaient, se complétaient, se parachevaient. C’est cette question que pose à nouveau la cinéfiction.

Il y a trois façons dont la littérature reprend une conduite cinématographique et qui font d’un roman un récit cinéfictionnel. La première s’effectue en établissant un pacte cinématographique avec la lectrice1 1 Dans cet article, le féminin et le masculin seront utilisés indifféremment et aléatoirement pour désigner le spectateur ou la spectatrice, le lecteur ou la lectrice. ; la seconde, en représentant des diagrammes de plans et de cadrages dans les descriptions; enfin, la troisième, en refaisant par écrit les images d’un film pour les interroger ou en actualiser les possibilités. Je vais présenter brièvement les deux premières façons; la troisième, elle, accompagnera ma lecture de Point Oméga de Don DeLillo.

Les deux premiers moments de la cinéfiction : le pacte cinématographique et les diagrammes-cinéma

Le pacte cinématographique avec le lecteur s’établit à partir de références explicites au cinéma qui sont relativement fréquentes dans la littérature contemporaine. Ces références entraînent une conduite visuelle de lecture : elles cadrent les images mentales du lecteur en les mettant en perspective, en leur donnant une vitesse ou en figurant des effets d’ombre et de lumière qui rappellent le cinéma, comme dans cette scène de Lolita de Nabokov dans laquelle la description de l’éclairage et du cadrage prépare un effet-cinéma :

La lumière de la salle de bains filtrait par la porte entrouverte; de plus, une lueur squelettique diffusée par les lampes à arc dehors se glissait à travers les stores vénitiens ; ces rayons entrecroisés fouillaient l'obscurité de la chambre et révélaient la situation suivante.

Ma Lolita, vêtue d'une de ses vieilles chemises de nuit, était couchée sur le côté au milieu du lit, me tournant le dos. Son corps légèrement voilé et ses membres nus dessinaient un Z. Elle avait mis les deux oreillers sous sa tête brune et ébouriffée; une bande de lumière pâle passait en travers de ses vertèbres supérieures.

J'eus l'impression de me dépouiller de mes vêtements et de me glisser dans mon pyjama avec cette fantastique instantanéité que laisse supposer, dans une scène de cinéma, la suppression de la séance de déshabillage; et j'avais déjà placé mon genou sur le rebord du lit quand Lolita tourna la tête et me dévisagea à travers les ombres zébrées (Nabokov, 2011NABOKOV, Vladimir. Lolita. Traduit par Maurice Couturier. Paris: Gallimard, 2001 [1959]., p. 224-225, je souligne).

Ce genre de référence explicite qui « tourne » notre attention vers le cinéma est un « tropisme cinématographique » (Vermetten, 2005VERMETTEN, Audrey. Un tropisme cinématographique. L’esthétique filmique dans Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry. Poétique, n. 144, p. 491-508, 2005., p. 494) qui provoque plusieurs effets dont le premier est d’ironiser contre le cinéma en se moquant de la censure aux États-Unis, régie par le Motion Picture Production Code, connu aussi sous le nom de Code Hays2 2 Le code Hays désigne en fait le système d’autocensure que les principales compagnies (regroupées au sein de la Motion Picture Association of America) ont adopté entre les années 1930 et 1960 pour contrer les effets des lobbies qui avaient « réussi à imposer la création de censures officielles, à l’échelon des municipalités d’abord, à celui des États ensuite […] pour enrayer ce mouvement, qui affectait le box-office national, entravait le développement de l’industrie » (Bordat, 1987, p. 3). . L’éclairage qui découpe lascivement le corps de Lolita est une scène de voyeurisme proscrite par la censure. La présence de cette scène, qui aurait dû être coupée au cinéma au milieu des années 1950, contraste avec l’effacement d’une autre scène que le personnage narrateur note expressément. L’ironie d’Humbert Humbert est manifeste lorsqu’il dit que « la suppression de la séance de déshabillage » permet une « fantastique instantanéité », puisque ce type de scène était réprouvé par le Code3 3 « Scenes of undressing should be avoided. When necessary for the plot, they should be kept within the limits of decency. When not necessary for the plot, they are to be avoided, as their effect on the ordinary spectator is harmful ». The Motion Picture Production Code of 1930. Disponible sur: https://www1.und.edu/faculty/christopher-jacobs/_files/docs/hollywood-production-code.pdf. Accès à: 3 março 2019. . Il obéit en quelque sorte à l’interdit pour mieux le transgresser : la magie du montage lui permet de rejoindre plus rapidement l’objet du désir. Nabokov ne se contente pas de faire référence au cinéma dans cette scène, il parachève une conduite cinématographique en la ridiculisant, offrant ainsi la possibilité d’interroger le mobile réel de certaines coupures au cinéma.

La description littéraire propose non pas la restitution d’un objet mais bien « le temps d’une vision4 4 Audrey Vermetten propose cette idée en suivant les analyses de Philippe Hamon dans Introduction à l’analyse du descriptif (Vermetten, 2005, p. 495). » dont la lectrice doit faire l’expérience. Il lui donne une valeur moins informative que directive, moins représentationnelle que performative. Les références au cinéma dans la littérature adoptent cette valeur, et se présentent dans les moments plus descriptifs que narratifs. Elles agissent comme un « signal diffus » qui incite à voir comme au cinéma, ce que Philippe Hamon appelle « vectoriser », c’est-à-dire, organiser « une matière déjà découpée par d’autres discours » (Hamon, 1981HAMON, Philippe. Introduction à l’analyse du descriptif. Paris: Hachette, 1981., p. 57). Si Hamon fait référence aux descriptions littéraires qui adoptent la forme d’un dictionnaire ou d’une encyclopédie, on retrouve le même phénomène dans les descriptions qui emboîtent un discours cinématographique, en profilant des diagrammes de plans, de mouvements de caméra, de cadrages ou d’effets de montage, bref en vectorisant des effets cinématographiques dans l’écriture pour faire expérimenter à la lectrice « le temps d’une vision ». J’utilise l’expression « diagramme-cinéma » pour nommer cette vectorisation.

Les diagrammes-cinémas sont très nombreux dans Western de Christine Montalbetti. En évoquant le genre cinématographique du même nom, le titre du roman prépare d’emblée le lecteur à les percevoir. Campée dans le Far West, l’histoire est assez simple, comme dans la plupart des westerns d’ailleurs : elle raconte le meurtre crapuleux d’une famille et le désir de vengeance qui se terminent en duel5 5 Ce schéma de l’histoire s’assimile à celui du synopsis d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. . Le récit qui s’étend sur moins de 24 heures est accessoire. L’intérêt du roman est ailleurs, dans les descriptions qui imaginent à nouveau l’univers filmique des westerns, en étirant ses effets, en développant ses possibles. Dans une des scènes du roman, le personnage principal, Harry, se rend au General Store pour se procurer le matériel nécessaire pour l’inévitable duel qui assouvira son désir de vengeance. Pendant qu’il contemple un ceinturon, la narratrice nous introduit dans le General Store en décrivant, sur plus de six pages, les articles qui reposent sur les rayons. La description donne à voir les objets comme le ferait une caméra, usant de mouvements comme le panoramique et le travelling. L’affinité de cette scène avec le cinéma est renforcée par la narratrice qui en spécifie l’éclairage, comme le ferait une directrice de la photographie :

La lumière qui baigne la scène est elle-même d’une nature conflictuelle, où, dans le noir profond de la pièce, viennent jouer d’un côté la lueur presque exsangue d’une bougie et de l’autre le flux plus renfloué des corpuscules de lumière naturelle (available light, en version originale) filtrés par le carreau sale (Montalbetti, 2005MONTALBETTI, Christine. Western. Paris: P.O.L, 2005., p. 110).

L’effet cinématographique dont l’évidence est accentuée par le tropisme «available light» dispose le lecteur à concevoir la longue scène dans le General Store comme un plan-séquence :

Jetons un œil, en attendant son verdict, sur les objets hétéroclites qui s’entassent tout autour, souvent mal débrouillés les uns des autres, tant on trouve là, voyons voir, rênes emmêlées autour d’une couverture à damier […] En matière de vaisselle, faïences rochelaises et poteries vernissées saintongeaises constituent l’essentiel du stock […] Cette assiette-ci cependant sort du lot. Voyez-moi cette cabane, avec un enclos […] Sur cette étagère également une aiguière miniature […] regardez si quelque chose vous agrée, cette lampe à l’huile, un peu crasseuse, mais une fois nettoyée, ou tenez ce plat d’étain, un peu rustique […] Libre à vous aussi de trouver cette cruche un peu attrape-touriste, cette lampe à huile un peu factice, mais tenez, cette vieille peinture que nous n’avions presque pas aperçue encore […] Si vous préférez quelque chose de moins volumineux, il y a cette gravure […] c’est vous qui voyez […] Pendant que vous vaquez à vos emplettes, ou que simplement vous furetez, Harry passe ses doigts sur les aspérités du cuir.. (Montalbetti, 2005MONTALBETTI, Christine. Western. Paris: P.O.L, 2005., p. 111-117).

Cette description d’objets, qui prend la forme d’un inventaire, instaure le temps d’une vision : en passant un à un, à tour de rôle, chaque objet, en respectant l’ordre dans lequel ils apparaissent, la narratrice impose un rythme et une durée. Si le lecteur n’est pas contraint de lui obéir, il ne peut manquer de remarquer l’effet recherché qui est souligné par les injonctions, les commentaires et les digressions qui tentent d’instruire une vision de la scène. Ce n’est pas un dénombrement neutre et objectif d’objets mais une description vivante qui incite le lecteur à les voir en images. La narratrice ne s’arrête pas là : elle module si bien sa description des objets en tenant compte des mouvements de la vision qu’elle se permet de transgresser la frontière du récit, en immergeant le lecteur dans la scène6 6 On y reconnait aisément les figures connues de l’hypotypose et de la métalepse. . Ce qui lui permet de pousser le jeu au point de transfigurer les choses décrites en véritables biens dont le lecteur semble pouvoir s’emparer :

C’est vrai, vous achèteriez un bibelot à Harry et vous le rapporteriez chez vous, vous le poseriez sur votre cheminée […] et chaque fois que vous iriez prendre place sur votre canapé, il serait là, dans votre champ de vision, vous rappelant les aventures de notre trentenaire […] Et ça, ça vient d’où, tu l’as trouvé où, tu l’as acheté où, vous leur répondriez Ah, ça, ça vient de Western. (Montalbetti, 2005MONTALBETTI, Christine. Western. Paris: P.O.L, 2005., p. 114).

En supposant la continuité entre les mondes fictionnel et réel, cette immersion illusoire et humoristique exprime malgré tout une réalité : le temps d’une vision, celle entre autres du cinéma, est aussi le temps d’un désir.

La narratrice impose ici une conduite visuelle en demandant explicitement de voir (« Jetons un œil »; « voyez-vous »). Ces demandes sont des énoncés cinéfictionnels qui fonctionnent comme des actes illocutoires qui cherchent à agir sur le lecteur. Mais dans quel but ? Il est peu probable que la narratrice-autrice tente de favoriser l’immersion du lecteur dans l’univers de fiction, car on sait bien que ses interpellations directes gênent cet effet plutôt que de le provoquer. Il n’est peut-être exagéré de penser alors que ses demandes sont des actes illocutoires indirects qui incitent le lecteur à imaginer l’expérience d’un spectateur au cinéma qui, captivé par la force immersive des images au cinéma, a l’impression de pouvoir toucher les êtres et les objets qu’elles donnent à voir. Cette hypothèse m’apparaît plausible. J’y ajouterais d’ailleurs ceci pour la compléter : les énonciations illocutoires de la narratrice-autrice invitent indirectement les lecteurs à interroger l’agentivité des images en mouvement, c’est-à-dire leur pouvoir d’affecter et d’agir sur les états mentaux comme des personnes dotées d’intentionnalité7 7 La thèse de Gell (2009) a ceci de particulier qu’elle étend les notions de « personnalité », d’« agent social » et d’« agentivité » aux objets. Selon lui, les relations sociales ne sont pas uniquement performées par des individus ou des institutions, mais aussi par l’intermédiaire de choses qui peuvent être aussi tangibles que des voitures ou bien précaires comme des images. .

Troisième moment de la Cinéfiction : la littérature comme remake

Les objets techniques ont une valeur heuristique puisqu’ils nous permettent de découvrir nos potentialités et d’interroger nos modes d’existence. Critiquant la technophobie sans pour autant soutenir la technocratie, Gilbert Simondon insiste sur le caractère intime de nos expériences avec la technologie. Sa thèse repose sur l’idée que la technologie nous aide à définir nos formes de vie en devenir, notre individuation. Produit de la technologie, les images cinématographiques ont aussi attisé la crainte de la culture réticente aux effets techniques et à ses effets délétères, dont la paresse. Pourtant, comme « individu technique », elles font partie de

[c]ette extension de la culture […] [qui] possède une valeur politique et sociale [qui] peut donner à l’homme des moyens pour penser son existence et sa situation en fonction de la réalité qui l’entoure. Cette œuvre d’élargissement et d’approfondissement de la culture a aussi un rôle proprement philosophique à jouer car elle conduit à la critique d’une certain nombre de mythes et de stéréotypes, comme celui du robot, ou des automates parfaits au service d’une humanité paresseuse et comblée. (Simondon, 2012SIMONDON, Gilbert. Du mode d’existence des objets techniques. Paris: Aubier, 2012., p. 16).

En performant des images cinématographiques, la littérature ne s’abandonne pas à l’attrait du cinéma mais participe de « cette extension de la culture » que Simondon défendait il y a déjà longtemps. Le concept de « cinématière » développé récemment par Sébastien Rongier manifeste à bien des égards cet esprit d’ouverture.

Lacinématièrespécifie un mode de relation esthétique et critique à l’image cinématographique, la considérant comme produit médiatique et technique. Elle devient un véritable matériau de travail, une matière d’image, un corps à la fois générique et inachevé produisant, dans des supports autres que le cinéma, des formes originales à partir d’un impensé de l’image. En définissant ce concept, Sébastien Rongier s’est intéressé tout particulièrement à ce qu’il appelle le « remake » qui consiste en la remédiation d’un film en arts et en littérature pour en exploiter, étendre, interroger, les potentialités, ce qui rappelle le cinématisme d’Eisenstein.

Le remake n’a rien à voir ici avec la logique commerciale qui se réduit au principe du toujours-semblable. La littérature et l’art, propose Rongier, sont « en complète contradiction avec cette stratégie [en déployant] une véritable politique de la mémoire du cinématographique dans des formes qui ne sont plus cinématographiques » (Rongier, 2015RONGIER, Sébastien. Cinématière. Arts et cinéma. Paris: Klincksieck, 2015., p. 191). Rongier développe cette idée en s’inspirant de l’installation vidéographique Remake (1994-1995) de Pierre Huyghe, qui consiste en un dépouillement affectif et décoratif des scènes de Rear Window d’Hitchcock. Contrairement au remake cinématographique qui s’efforce à faire oublier l’œuvre première, le remake en art « refait » un film sous une autre forme médiatique, une nouvelle technique, pour fouiller les potentialités des images, pour en démonter la logique, pour en interroger les effets. Autrement dit, il le performe à nouveau pour problématiser les régimes de visibilité cinématographique mais aussi nos façons de voir au cinéma et, par extension, de percevoir des images en général.

Le roman Cinéma de Tanguy Viel est en ce sens un remake du film Sleuth de Joseph Mankiewicz (1972). Le narrateur et seul personnage du roman raconte en détails son visionnement du film qu’il a vu des centaines de fois. Il s’adresse directement à nous, comme si nous étions son confident. En performant littéralement son visionnement en une description méticuleuse de Sleuth (qu’il voit sur un magnétoscope dont la technologie lui permet de mettre les images sur pause, au ralenti, en accéléré, en marche arrière, etc.), il s’impose comme l’interprétant final du film, le mettant en mots pour convaincre « ses amis » - parmi lesquels il faut inclure les lecteurs - de l’admirer autant qu’il en est fou.

Souvent, quand je me suis donné la peine d’expliquer les choses à des amis, j’ai essayé d’être le plus clair possible avec la chronologie, non pas du tout pour qu’ils acceptent de trouver ça formidable, je l’ai déjà dit, cela m’est plus qu’égal, au contraire, ils peuvent détester, ça me rassure, mais qu’au moins ils puissent comprendre, saisir les enjeux multiples, même si bien sûr, moi, je ne sépare pas tout ça, le fait entre autres de comprendre pour aimer, mais cela me regarde, c’est ma façon à moi de comprendre, et ma façon à moi d’aimer, mais le manque de goût de chacun ne devrait pas empêcher d’avoir du recul, ça ne devrait pas empêcher l’admiration quand les choses décidément sont plus rapides que soi, et plus vives, et plus complètes, et plus intelligentes (Viel, 1999VIEL, Tanguy. Cinéma. Paris: Les Éditions de Minuit, 1999., p. 74-75).

Si son interprétation donne l’occasion de réfléchir aux stratégies narratives et aux images qui manipulent la spectatrice, elle tourne néanmoins à l’obsession, comme si le film reprenait ses droits sur le narrateur qui perd la raison en essayant d’en déconstruire les effets et d’en épuiser les possibilités. L’expérience qui se trame dans le roman Cinéma nous renseigne sur une vérité de notre rapport aux images cinématographiques : en essayant d’épuiser l’interprétation d’un film, le personnage nous montre, bien malgré lui, qu’il s’agit d’une conduite illusoire qui peut s’abîmer dans le délire.

Le roman de Patrick Chatelier, Pas le bon, pas le truand est un autre exemple de remake en littérature. Ce récit refait la célèbre scène de l’arrivée de la brute dans Le Bon, la brute et le truand (1966) de Sergio Leone. Chatelier étire cette scène (qui dure environ neuf minutes à l’origine) sur plus d’une centaine de pages, relatant l’histoire d’un jeune garçon, « l’idiot », qui va assister aux meurtres de son ami, de son père et de sa mère, tous les trois tués par la brute, comme dans le film. En refaisant la scène de Leone dans son déroulement chronologique, Chatelier la performe autrement en ralentissant son rythme et en arrêtant les images, comme s’il les voyait sur un magnétoscope (son personnage les voit sur un écran dans une pièce sombre d’où il ressortira hébété). Ces pauses lui permettent de faire des hypothèses sur les puissances des images qui n’ont pas été actualisées dans le film, comme la continuité d’un geste, un élément de décor, un mobile :

Regarde, sinon tu vas le rater : le geste de Butler. Visualise les hypothèses. Georges a bougé, c’est un fait établi, et avec le peu de faits établis dans les parages cela devient un événement. De ce geste premier peuvent déboucher des milliers de gestes autrement plus vastes, glorieux ou inutiles qui fabriqueront une histoire, un drame, une épopée, tout est possible à ce moment précis par ce geste fondateur, tout est possible y compris l’invraisemblable : Georges s’apprête à dégainer son arme et tuer tout le monde sur un coup de folie, Georges Butler s’apprête à expliquer la recette de pâtes en sauce, Georges Butler s’apprête à confesser que l’étranger surnommé la brute est son amant. Et les autres réagiront sous l’impact des balles, devant le talent du chef ou face à l’incroyable aveu. (Chatelier, 2010CHATELIER, Patrick. Pas le bon, pas le truand. Paris: Gallimard, 2010., p. 103).

Le remake de Chatelier adopte une approche figurale de la scène en considérant chaque élément qui la compose, aussi bien les objets du décor que les gestes des personnages, un regard, un clin d’œil, comme des figures en devenir, comportant virtuellement une autre histoire. Le roman de Chatelier poursuit et étend ainsi une conduite qui est propre à une expérience des images en mouvement, une expérience du film attentive à sa dimension figurale, à ce

[q]uelque chose qui est instable, toujours en devenir, qui procède d’une logique du visuel comme acte, et quelque chose qui vient du dedans de l’image elle-même, qui est toujours au travail dans le corps même de l’image, dans la chair vive de sa visualité. (Gervais et Lemieux, 2012GERVAIS, Bertrand; LEMIEUX, Audrey (org.). Perspectives croisées sur la figure. À la rencontre du lisible et du visible. Montréal: Presses de l’Université du Québec, 2012., p. 168).

Le roman de Chatelier est cinéfictionnel en ce qu’il performe, par l’entremise d’un remake littéraire d’une scène de film, une conduite spectatorielle attentive aux potentialités des images en mouvement.

Point Oméga: le remake d’un remake

Le roman Point Oméga de Don DeLillo a ceci de particulier qu’il est le remake d’un remake artistique de Psycho (1960) d’Hitchcock. L’installation vidéographique 24 Hour Psycho (199324 HOURS Psycho. Direction: Douglas Gordon. Production: Douglas Gordon. Interprètes: Janet Leigh. Reino Unido, 1993. 1.440 min.) de l’artiste Douglas Gordon fait l’objet d’une attention particulière dans le prologue et l’épilogue du roman dans lesquels le narrateur décrit les sentiments qu’un homme ressent face aux images au ralenti :

Le film lui conférait le sentiment d’être quelqu’un qui regarde un film. La signification de tout cela lui échappait. Il ressentait constamment des choses dont le souvenir lui échappait. Mais ce n’était pas vraiment un film, n’est-ce pas, au sens strict. C’était un enregistrement. Mais c’était aussi un film. Au sens large il regardait un film, une image animée, une pellicule plus ou moins en mouvement (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 18).

Enchâssé entre le prologue et l’épilogue, le récit central de Point Oméga n’a rien à voir en apparence avec le film d’Hitchcock, mis à part l’évocation d’une visite au musée pour voir l’installation de Gordon et quelques éléments qui rappellent vaguement le récit d’origine (une maison isolée dans le désert, la disparition d’une femme, un couteau, etc.). Cependant, comme le propose Laura Biegler dans son analyse du roman, l’expérience de 24 Hour Psycho encadre le récit, comme s’il était une sorte de remake du remake de l’installation vidéographique au sens où DeLillo conduit son récit au ralenti. Pour Biegler, cet encadrement met en perspective la dimension poétique et lyrique de l’écriture, comme si DeLillo cadrait les mots en gros plans pour les isoler sur la page, freinant par le fait même le déroulement de l’histoire. En imposant ainsi une conduite de lecture lente, comme si l’on voyait des images ralenties et muettes, le sens du récit central de Point Omega n’est pas déterminé par la logique causale des événements et la linéarité narrative, mais par la disposition des mots sur la page, les blancs, les répétitions et les pauses, bref, par tout ce qui troue la narration et que Biegler associe à des stratégiques lyriques et poétiques.

Point Omega’s unusual brevity (it is the shortest of DeLillo’s recent short novels) and eventlessness (nothing much happens, and much of what happens evades reconstruction) are key to this operation. I argue that the novel endorses lyric and poetic strategies - among them, slowing down the reading process by amplifying the demand for “speakerly appropriation” (Schlaffer), and spacing the narrative by exploiting the cinematic frame as the prime compositional measure - with the effect of impairing the temporal reign of emplotment along with the knowledge-generating logic of cause and effect (Bieger, 2018BIEGER, Laura. Say the Words: Reading for Cohesion in Don DeLillo’s Novel Point Omega. Narrative, v. 26, n. 1, p. 1-16, 2018. https://doi.org/10.1353/nar.2018.0000
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, s. p.).

Il se passe pourtant des choses dans le récit central. Un jeune homme, Finley, désire faire un documentaire sur un ancien stratège de la guerre du Golfe, un vieil homme dénommé Elster. Il se rend chez lui dans le désert pour réaliser un film sous la forme d’un long plan-séquence où l’on verrait l’homme, adossé à un mur, discuter non seulement de son expérience comme stratège mais aussi de la vie en général, de son rapport au monde. Finley ne tourne finalement aucune image. Il semble engourdi par la chaleur du désert et magnétisé par les divagations d’Elster sur le devenir du monde et de la planète que certains critiques n’hésitent pas à interpréter comme des poèmes. La fille d’Elster, Jessie, à la conduite erratique, vient les rejoindre dans le désert, avant d’y disparaître. Cet événement sort les deux hommes de la torpeur et jette le père dans un désarroi si profond qu’il en devient muet, mettant fin à des soliloques dont la poéticité, dirait Biegler, ressort d’effets syntaxiques et de visions hyperboliques :

“Le déroulement du temps. C’est ce que je ressens ici, dit-il. Le temps qui vieillit lentement. Immensément vieux. Pas jour après jour. Je parle du temps profond, du temps immémorial. De nos vies qui régressent vers le lointain passé. Voilà ce qu’il y a là, dehors. Le désert du Pléistocène, la loi de l’extinction.” […] “Nous nous vidons complètement de notre être, Des pierres. À moins que les pierres ne soient dotées d’être. À moins qu’un bouleversement profondément mystique n’introduise de l’être dans une pierre.” (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 86-87).

« Comment ce serait, de vivre au ralenti ? » (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 126) Cette question posée dans l’épilogue du roman par une femme qui rencontre l’homme fasciné par les images de 24 Hour Psycho a suscité de nombreux commentaires et nourrit des interprétations spéculatives sur la lenteur dans le récit de DeLillo.

Dans son essai On Slowness dont plusieurs pages sont consacrées à Point Oméga, Lutz Koepnick (2014KOEPNICK, Lutz. On Slowness. Toward an aesthetic of the contemporary. New York: Columbia University Press, 2014.) saisit la lenteur du récit par contraste avec le rythme accéléré de la vie moderne. La lenteur cependant n’est pas une stratégie pour déjouer ou annuler la vitesse, mais pour faire voir le temps autrement, en l’associant aux mouvements, aux gestes, aux conduites qui l’expriment. Selon Koepnick, la lenteur de 24 Hour Psycho se manifeste, dans le roman, par l’entremise de phénomènes, qui font hésiter la marche du récit, et de manières d’être qui donnent une impression de finitude et de mort. Koepnick ne cache pas sa sympathie pour le personnage d’Elster qui délaisse la temporalité humaine en adoptant le temps géologique : l’effritement des pierres et la formation du paysage désertique sont ses unités de mesure pour évaluer la durée et le devenir des phénomènes. En faisant de la lenteur un phénomène physique plutôt que mystique ou religieux, Koepnick la conçoit comme un médium, c’est-à-dire comme un artifice qui ne sert pas à tromper ou à créer des illusions, mais à changer la perception. En faisant hésiter aussi bien le spectateur que la lectrice, le ralenti des images et le rythme lent du récit affectent les postulats les plus communs qui médiatisent nos perceptions habituelles : la causalité, la progression linéaire, l’irréversibilité du temps.

Le ralenti des images est performé dans le récit de DeLillo sous la forme d’une composition qui produit des effets sur la conduite de lecture : le récit ne pousse pas la lectrice en avant dans la progression narrative, mais l’ennuie en la sommant de lire en suivant le rythme des images au ralenti ou celui d’une longue et lente contemplation d’un paysage : « Like Gordon’s 24 Hour Psycho, DeLillo’s text wants to be read two words a second. It leads the reader into a desert of language in which each word counts like a tiny plant creeping up between the rocks » (Koepnick, 2014KOEPNICK, Lutz. On Slowness. Toward an aesthetic of the contemporary. New York: Columbia University Press, 2014., p. 274). Si cette comparaison ne peut être prise au sens littéral, puisque cela supposerait d’établir le rythme normal de lecture à 24 mots par seconde, elle manifeste toutefois la volonté de l’essayiste de trouver un équivalent entre la vitesse des images en mouvement d’un film et le rythme de lecture imposé par le texte, entre la conduite des personnages et celle des lecteurs. Koepnick arrive d’ailleurs à la même conclusion que Laura Biegler, en associant la lenteur du récit à la poésie. N’hésitant pas à considérer DeLillo comme un poète de l’entropie, il emprunte le ton emphatique du personnage Elster pour révéler la dimension poétique du roman :

Each word, each phrase, strikes the reader as if being wrest away from the deserts of utter silence. Each marks on the page thus reverberates with and reminds us of everything that remains and must remain unsaid, that exceeds communicability no matter how much we desire to grasp the text’s meaning. (Koepnick, 2014KOEPNICK, Lutz. On Slowness. Toward an aesthetic of the contemporary. New York: Columbia University Press, 2014., p. 275).

Si la lenteur caractérise une manière d’être poétique comme le supposent ces critiques, il faut toutefois se garder de la restreindre à une conception aussi rebattue de la poésie, en la trouvant uniquement dans les mots isolés par des alinéas et des blancs, ou dans la tonalité lyrique et les silences d’Elster. La poésie a de nombreuses manières d’être qui ne contredisent pas toujours la vitesse, la progression logique du récit et la transparence des mots. Il vaut mieux, à mon sens, laisser de côté l’esthétique classique de la poésie textuelle pour saisir en quoi la lenteur de Point Oméga prolonge une conduite cinématographiquement poétique. Koepnick avait pourtant pressenti la poésie dans la manière d’être des personnages, mais en limitant son analyse aux traces textuelles et aux propos d’Elster, il n’a pas développé son impression.

Dans un article consacré au « slow cinema », celui par exemple de Cemetery of Splendor du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Mark Goble constate que le cinéma, art de la vitesse, est devenu, au XXIe siècle, un vieux média et, par la même occasion, un art lent. Goble en arrive à cette conclusion en constatant le changement radical de nos modes de consommation des images en mouvement : non seulement on va de moins en moins au cinéma pour voir un film, mais on ne prend plus le temps d’en visionner un sans interruption. De toute manière, les images en mouvement qui sont consommées massivement aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles du cinéma et son format traditionnel de diffusion. Les films d’Apichatpong, tout comme ceux de Tsai-Ming Liang ou de Belà Tarr, illustrent parfaitement sa thèse : leur usage du long plan-séquence (« extreme long take ») produit des tableaux qui forcent notre attention. Ainsi, comme l’action se déroule dans la longue durée, on a le temps de fouiller l’image du regard pour voir ce qui se passe dans les détails ne se rapportant pas directement à l’action principale. Le long plan-séquence nous force à adopter un mode d’être attentionnel proche de la rêverie. Et c’est en cela que le cinéma, média lent, est poétique. En reprenant ces propos dans un article sur les romans de Don DeLillo (Goble, 2017GOBLE, Mark. Cinema. Fast and Slow. The Brooklyn Rail. September 2017. Disponible sur: https://brooklynrail.org/2017/09/criticspage/cinema-fast-and-slow . Accès à: 18 fevereiro 2019.
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), Mark Goble ne cherche plus la poétique de la lenteur dans les signes textuels mais dans les effets de longue durée qui nous engagent à adopter une attention particulière.

Penseur des médias, Mark Goble appréhende comment les grandes questions philosophiques sont prises en charge par les appareils techniques et les dispositifs médiatiques. La lenteur, selon lui, est un média, qui, bien qu’elle suscite de profondes méditations sur le temps, reste fondamentalement rattachée à une question cinématique. Il s’intéresse alors à tout ce qui, dans les récits de DeLillo, relève de l’utilisation d’un vocabulaire emprunté à l’histoire du cinéma et aux effets spéciaux pour réfléchir aux expériences variées de la vitesse (Goble, 2018GOBLE, Mark. DeLillo, Slowing Down. In: WENSTEIN, Cindy (ed.). A Question of Time: American Literature from Colonial Encounter to Contemporary Fiction. Cambridge: Cambridge University Press, 2018. p. 184-205, p. 189). En invitant à recourir à ce qui est poétique au cinéma pour comprendre la lenteur, la perspective de Goble mérite d’être prolongée en reprenant deux conceptions poétiques du cinéma dont la première, très connue, se trouve dans L’Expérience hérétique de Pier Paolo Pasolini et la seconde, dans L’Intelligence d’une machine et de Le Cinéma du diable, deux essais que Jean Epstein a écrits dans les années 1960. Je terminerai mon article en appréciant la lenteur dans Point Oméga à l’aune de ces conceptions ciné-poétiques.

Pasolini a une conception sémiotique, formelle, de la poésie au cinéma. Pour lui, le cinéma est poésie lorsque les cadrages, les plans et le montage des images expriment des mouvements irrationnels8 8 Ce phénomène rappelle celui que décrit Deleuze sous le concept de « mouvements aberrants » (Deleuze, 1985, p. 56-59). .Cette expressivité des images est un exercice de style qui correspond au discours implicite du cinéaste dans son film. Pasolini conceptualise cette expressivité sous le nom de « subjective indirecte libre », adaptant pour le cinéma la notion théorique en linguistique de discours indirect libre (Pasolini, 1976PASOLINI, Pier Paolo. Cinéma de poésie. In: PASOLINI, Pier Paolo. L’Expérience hérétique. Paris: Payot, 1976, p. 135-155., p. 145-147). On pourrait dire que la « subjective indirecte libre » du film 24 Hour Psycho correspond aux images au ralenti. Ce scandale technique ruine le chef d’œuvre d’Hitchcock en transformant les gestes et les actions des personnages en mouvements irrationnels, erratiques, c’est-à-dire en mouvements qui n’obéissent plus en apparence aux lois sensori-motrices ou à celles de la raison et du bon sens, des mouvements sans cause et sans effet. Cet exercice de style de Douglas Gordon, qui donne aux images leur expressivité singulière, correspond à ce que Pasolini appelle « poésie » au cinéma. Or, y aurait-il, dans Point Oméga, une expressivité des images qui caractériserait l’exercice de style de DeLillo, qui renverrait à son style tardif, sympathique aux mouvements altermondialistes de décélération, comme le note Mark Goble à la fin de son article (Goble, 2018GOBLE, Mark. DeLillo, Slowing Down. In: WENSTEIN, Cindy (ed.). A Question of Time: American Literature from Colonial Encounter to Contemporary Fiction. Cambridge: Cambridge University Press, 2018. p. 184-205 p. 202) ? Cette réflexion d’Elster, présentée par Finley sous la forme d’un discours indirect, rend visible :

La vraie vie n’est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moments infinitésimaux. C’est ce que disait Elster, ce qu’il répétait, de plus d’une façon. Sa vie se déroulait, disait-il, quand il était assis, les yeux fixés sur un mur nu, à penser au dîner. (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 23).

S’il y a quelque chose d’équivalent au cinéma de poésie dans Point Oméga, il se trouve non pas dans les discours indirects d’Elster, mais dans la manière dont ses micro-actions et ses menus gestes sont cadrés et mis en images dans les descriptions. La subjective indirecte libre correspond au style de l’auteur qui se révèle dans les descriptions imagées des formes de vie des personnages n’obéissant à aucune logique, ne suivant aucun plan, ignorant pour tout dire la raison. La marche improvisée et hasardeuse de Finley dans le désert sans eau ni boussole à la recherche de Jessie est un exemple d’action aberrante, tout comme celle de l’homme qui passe ses journées à visionner 24 Hour Psycho dans le prologue et l’épilogue du roman ou encore celle des mimiques de Jerry Lewis telles qu’elles sont cadrées par le montage d’images dans le seul film que Finley a réalisé9 9 « Je le faisais babiller au fil d’extraits incohérents, une année s’estompant dans un autre, d’autres fois c’était Jerry sans le son, qui fait le clown, les genoux en dedans et les dents en dehors, qui saute sur un trampoline au ralenti. La vieille copie mouchetée, la bande-son parasitée, les striures sur l’écran. Jerry insère des baguettes de tambour dans ses narines, il s’enfonce le micro dans la bouche ». (DeLillo, 2010, p. 34). C’est à se demander si Finley a réalisé son film en voulant intensifier, par des effets de montage et de faux raccords, l’interprétation que Deleuze fait des images burlesques de Jerry Lewis qui dessinent une « onde » correspondant à un « mouvement de monde ». (Deleuze, 1985, p. 89). . Ces exemples témoignent d’une manière extravagante d’habiter le temps et l’espace, comme la vie insensée d’Elster qui pense au dîner en fixant un mur, et dont Finley a l’intuition en imaginant une existence insubstantielle :

Un jour, bientôt, toutes nos paroles, les siennes et les miennes, seront comme celles de Jessie, de simples paroles en l’air, vides de toute substance. Nous serons là comme les mouches et les souris sont là, bornés, sans rien voir ni savoir d’autre que ce que nous permet notre nature limitée. Une vague idylle sur fond de plaine d’été. (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 85).

La poésie cinématographique dans Point Oméga ressort des gestes, des comportements et des actions des personnages, et non de leurs propos ou des procédés textuels qui ralentissent la lecture. C’est la manière d’être des personnages, qui émane de leurs formes de vie et de leur disposition mentale, qui caractérise la lenteur. Autrement dit, les personnages sont lents, non pas parce qu’ils se meuvent au ralenti comme Norman Bates dans 24 Hour Psycho, mais parce qu’ils s’adonnent à des pratiques et à des réflexions qui, du point de vue de la vie moderne accélérée, apparaissent inutiles et vaines. L’expressivité cinématographiquement poétique se retrouve dans le cadrage de ces pratiques irrationnelles, comme dans ce passage où Finley décrit son état de conscience qui lui permet de faire apparaître, sous la forme d’images mentales, deux scènes séparées dans l’espace mais simultanées dans le temps :

Nos chambres avaient une cloison commune, et je m’imaginais moi-même allongé sur mon lit, dans un état de conscience superficielle, à demi-hallucinatoire, il y a un mot pour ça, tentant de considérer le monde selon deux points de vue, assis sur la terrasse en même temps qu’étalé dans le lit, hypnagogique, voilà le mot, et Jessie est là, à moins d’un mètre, rêvant sereinement. […] Ou bien tout éveillé, impossible de dormir, l’un comme l’autre, elle est couchée sur le dos, les jambes écartées, et je suis assis, en train de fumer bien que j’aie plus touché une cigarette depuis cinq ans, et elle porte ce qu’elle porte habituellement pour dormir, un T-shirt qui descend à mi-cuisse. (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 87).

Si le premier paragraphe thématise la vision du personnage, le second vectorise un montage alterné dans une description qui imagine deux scènes qui ont lieu à des endroits différents mais qui ont une liaison de simultanéité temporelle. Le diagramme du montage alterné, qui apparaît dans la répétition de la conjonction « et », perpétue l’effet hypnotisant de 24 Hour Psycho, dont certaines images nous font expérimenter la vision hypnagogique dans la durée inhabituelle et plus intense d’un fondu enchaîné au ralenti (Figure 1).

Figure 1 :
Douglas Gordon, 24 Hour Psycho, 199324 HOURS Psycho. Direction: Douglas Gordon. Production: Douglas Gordon. Interprètes: Janet Leigh. Reino Unido, 1993. 1.440 min.

L’autre exemple de la relation entre cinéma et poésie et qui apparaît profitable pour caractériser la lenteur de Point Oméga se trouve dans les essais sur le cinéma que Jean Epstein a écrits dans les années 1940. Réalisateur, essayiste et écrivain, Epstein a une conception poétique et heuristique du cinéma qui émane de sa nature technique. Son « intelligence », comme il le dit, donne à voir un autre monde que celui que nous percevons et expérimentons quotidiennement sous la tutelle de la raison. Epstein croit que le cinéma est poésie lorsque les effets spéciaux nous libèrent de nos habitudes de perception en montrant des « [i]mages éventuellement aberrantes quant à l’état actuel de la réalité » (Epstein, 1947EPSTEIN, Jean. Le Cinéma du diable. Paris: Les Éditions Jacques Melot, 1947. http://classiques.uqac.ca/classiques/epstein_jean/cinema_du_diable/cinema_du_diable.html.
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, p. 47). Ces images aberrantes, poétiques ont une vertu thérapeutique, puisqu’elles nous éloignent « d’une vie de plus en plus mécanisée, réglementée, standardisée dans une économie de plus en plus dirigée, rationalisée » (Epstein, 1947EPSTEIN, Jean. Le Cinéma du diable. Paris: Les Éditions Jacques Melot, 1947. http://classiques.uqac.ca/classiques/epstein_jean/cinema_du_diable/cinema_du_diable.html.
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, p. 71).

Epstein est le contemporain des surréalistes qui adoraient les documentaires de leur ami Jean Painlevé dont les films naturalistes usaient d’effets spéciaux pour faire apparaître la formation du vivant. Epstein exprime sa fascination pour ce genre de film en décrivant les effets résultants de différentes intensités de ralenti :

À une projection ralentie, on observe, au contraire, une dégradation des formes qui, en subissant une diminution de leur mobilité, perdent aussi de leur qualité vitale. Par exemple, l’apparence humaine se trouve privée, en bonne partie, de sa spiritualité. Dans le regard, la pensée s’éteint : sur le visage, elle s’engourdit, devient illisible. Dans les gestes, les maladresses - signe de la volonté, rançon de la liberté - disparaissent, absorbées par l’infaillible grâce de l’instinct animal. Tout l’homme n’est plus qu’un être de muscles lisses, nageant dans un milieu dense, où d’épais courants portent et façonnent toujours ce clair descendant des vieilles faunes marines, des eaux mères. La régression va plus loin et dépasse le stade animal. Elle retrouve, dans les déploiements du torse, de la nuque, l’élasticité active de la tige ; dans les ondulations de la chevelure, de la crinière, agitées par le vent, les balancements de la forêt ; dans les battements des nageoires et des ailes, les palpitations des feuilles ; dans les enroulements et les déroulements des reptiles, le sens spirale [sic] de toutes les croissances végétales. Plus ralentie encore, toute substance vive retourne à sa viscosité fondamentale, laisse monter à sa surface sa nature colloïdale foncière. Enfin, quand il n’y a plus de mouvement visible dans un temps suffisamment étiré, l’homme devient statue, le vivant se confond avec l’inerte, l’univers involue en un désert de matière pure, sans trace d’esprit (Epstein, 1946EPSTEIN, Jean. L’Intelligence d’une machine. Paris: Les Éditions Jacques Melot, 1946. http://classiques.uqac.ca/classiques/epstein_jean/intelligence_machine/intelligence_machine.html.
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, p. 23).

Les impressions décrites par Epstein font écho à celles d’Elster suite à son visionnement de 24 Hour Psycho. Sa fille Jessie les révèle à Finley qui les ignorait, quand bien même il avait accompagné Elster au musée pour voir l’installation de Gordon :

- Il m’a dit que c’était comme de regarder mourir l’univers sur une période d’environ sept milliards d’années. - Nous sommes restés dix minutes. - Il m’a dit que c’était comme la contraction de l’univers. - Il pense à l’échelle cosmique. Comme nous savons. - La mort torride de l’univers, dit-elle. (DeLillo, 2010EISENSTEIN, Sergueï M. Cinématisme - Peinture et cinéma. Paris: Les Presses du Réel, 2009., p. 56-57).

Le cinéma de poésie d’Epstein nous ramène à l’époque des conceptions préscientifiques du monde, celle entre autres des atomistes initiée par Démocrite. Il nous fait penser à LucrèceLUCRÈCE -. De la nature. Livre II. Traduit par Henri Clouard. Paris: Garnier, 1964. qui, dans son célèbre ouvrage versifié De la nature, reconnaît la composition fugace de la matière dans celle momentanée des mots10 10 « Et dans nos vers eux-mêmes, l’ordre des lettres est essentiel, essentiels sont leurs arrangements; les mots, non tous pareils, mais se rassemblant en grande partie, ne diffèrent que par l’ordonnance des lettres. Ainsi en est-il des corps de la nature. Il suffit que changent leurs figures, - intervalles, direction, liens, poids, chocs, rencontres, mouvements, ordre, positions - pour qu’eux-mêmes se trouvent changés. » Lucrèce, De la nature, Livre II, trad. Henri Clouard, Paris, Garnier, 1964, p. 127. , ce que suggère à sa façon Elster en imaginant une guerre Haïku où quelques syllabes suffisent pour rendre compte de la formation éphémère de l’univers (DeLillo, 2010, p. 37). En renouant avec ce songe antique matérialiste, le roman ciné-poétique de DeLillo apparaît aussi vieux que lui.

Point Oméga est un remake cinéfictionnel au sens où la manière d’être des personnages adopte le rythme des images de 24 Hour Psycho: « Nous voulons être cette matière inerte que nous avons été » (DeLillo, 2010EISENSTEIN, Sergueï M. Cinématisme - Peinture et cinéma. Paris: Les Presses du Réel, 2009., p. 60). Et cette manière d’être se mesure à la rêverie métaphysique d’Elster sur le concept de « point oméga » de Teilhard de Chardin qui laisse imaginer un « bond hors de notre biologie » (DeLillo, 2010EISENSTEIN, Sergueï M. Cinématisme - Peinture et cinéma. Paris: Les Presses du Réel, 2009., p. 63), « une sublime mutation de l’âme et de l’esprit, ou une convulsion du monde » (DeLillo, 2010EISENSTEIN, Sergueï M. Cinématisme - Peinture et cinéma. Paris: Les Presses du Réel, 2009., p. 86). Le « point oméga » précise un mouvement aussi spontané qu’inexplicable, un mouvement aberrant, que seule l’intelligence irrationnelle du cinématographe, sa poésie dirait Epstein, parvient à cadrer. La conduite spéculative des personnages (dont l’étrange disparition de Jessie est un exemple) parachève la conduite des images au ralenti de Gordon, faisant du roman de Don DeLillo une cinéfiction.

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  • 1
    Dans cet article, le féminin et le masculin seront utilisés indifféremment et aléatoirement pour désigner le spectateur ou la spectatrice, le lecteur ou la lectrice.
  • 2
    Le code Hays désigne en fait le système d’autocensure que les principales compagnies (regroupées au sein de la Motion Picture Association of America) ont adopté entre les années 1930 et 1960 pour contrer les effets des lobbies qui avaient « réussi à imposer la création de censures officielles, à l’échelon des municipalités d’abord, à celui des États ensuite […] pour enrayer ce mouvement, qui affectait le box-office national, entravait le développement de l’industrie » (Bordat, 1987BORDAT, Francis. Le code Hays. L'autocensure du cinéma américain. Vingtième Siècle, Revue d'Histoire, n. 15, p. 3-16, 1987. https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1987_num_15_1_1879/
    https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_...
    , p. 3).
  • 3
    « Scenes of undressing should be avoided. When necessary for the plot, they should be kept within the limits of decency. When not necessary for the plot, they are to be avoided, as their effect on the ordinary spectator is harmful ». The Motion Picture Production Code of 1930The Motion Picture Production Code of 1930. Disponible sur: https://www1.und.edu/faculty/christopher-jacobs/_files/docs/hollywood-production-code.pdf . Accès à: 3 março 2019.
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    . Disponible sur: https://www1.und.edu/faculty/christopher-jacobs/_files/docs/hollywood-production-code.pdf. Accès à: 3 março 2019.
  • 4
    Audrey Vermetten propose cette idée en suivant les analyses de Philippe Hamon dans Introduction à l’analyse du descriptif (Vermetten, 2005VERMETTEN, Audrey. Un tropisme cinématographique. L’esthétique filmique dans Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry. Poétique, n. 144, p. 491-508, 2005., p. 495).
  • 5
    Ce schéma de l’histoire s’assimile à celui du synopsis d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone.
  • 6
    On y reconnait aisément les figures connues de l’hypotypose et de la métalepse.
  • 7
    La thèse de Gell (2009GELL, Alfred. L’art et ses agents, une théorie anthropologique. Paris: Les Presses du Réel, 2009.) a ceci de particulier qu’elle étend les notions de « personnalité », d’« agent social » et d’« agentivité » aux objets. Selon lui, les relations sociales ne sont pas uniquement performées par des individus ou des institutions, mais aussi par l’intermédiaire de choses qui peuvent être aussi tangibles que des voitures ou bien précaires comme des images.
  • 8
    Ce phénomène rappelle celui que décrit Deleuze sous le concept de « mouvements aberrants » (Deleuze, 1985DELEUZE, Gilles. L’image-temps. Paris: Les Éditions de Minuit, 1985., p. 56-59).
  • 9
    « Je le faisais babiller au fil d’extraits incohérents, une année s’estompant dans un autre, d’autres fois c’était Jerry sans le son, qui fait le clown, les genoux en dedans et les dents en dehors, qui saute sur un trampoline au ralenti. La vieille copie mouchetée, la bande-son parasitée, les striures sur l’écran. Jerry insère des baguettes de tambour dans ses narines, il s’enfonce le micro dans la bouche ». (DeLillo, 2010DELILLO, Don. Point Oméga. Traduction de Marianne Véron. Arles: Actes Sud, 2010., p. 34). C’est à se demander si Finley a réalisé son film en voulant intensifier, par des effets de montage et de faux raccords, l’interprétation que Deleuze fait des images burlesques de Jerry Lewis qui dessinent une « onde » correspondant à un « mouvement de monde ». (Deleuze, 1985DELEUZE, Gilles. L’image-temps. Paris: Les Éditions de Minuit, 1985., p. 89).
  • 10
    « Et dans nos vers eux-mêmes, l’ordre des lettres est essentiel, essentiels sont leurs arrangements; les mots, non tous pareils, mais se rassemblant en grande partie, ne diffèrent que par l’ordonnance des lettres. Ainsi en est-il des corps de la nature. Il suffit que changent leurs figures, - intervalles, direction, liens, poids, chocs, rencontres, mouvements, ordre, positions - pour qu’eux-mêmes se trouvent changés. » LucrèceLUCRÈCE -. De la nature. Livre II. Traduit par Henri Clouard. Paris: Garnier, 1964., De la nature, Livre II, trad. Henri Clouard, Paris, Garnier, 1964, p. 127.

Edited by

Editor-chefe:

Rachel Esteves Lima

Editor executivo:

Anderson Bastos Martins
Victor Coutinho Lage

Publication Dates

  • Publication in this collection
    01 Dec 2023
  • Date of issue
    May-Aug 2023

History

  • Received
    30 Aug 2023
  • Accepted
    21 Sept 2023
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