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La raison immobilière: Gérer un patrimoine immobilier ecclésiastique à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle)

Real Estate Rationalities: Managing Ecclesiastical Property at the end of the Middle Ages (14th-15th Centuries)

Résumé

Cet article porte sur le patrimoine immobilier du chapitre de la basilique Saint-Pierre de Rome, étudié pour les XIVe-XVesiècles à partir des registres des censuali conservés à la Bibliothèque Apostolique Vaticane. Cette série documentaire permet de montrer comment un des plus puissants propriétaires ecclésiastiques de Rome gère les quelque 300 logements qu’il détient dans une ville qui connaît, au cours du XVesiècle, une très forte croissance démographique et économique. Les résultats de cette analyse mettent en lumière la pluralité des modalités de gestion de ce patrimoine immobilier hérité : si une petite fraction de cet ensemble de logements forme un « marché hors le marché », administré selon des logiques clientélaires ou charitables, le chapitre de Saint-Pierre se comporte pour le reste comme n’importe quel acteur privé du marché immobilier romain, visant à optimiser la rentabilité de son patrimoine, comme en témoignent l’inflation des loyers et les investissements spéculatifs qu’il pratique. Cette étude éclaire aussi les mécanismes de la formation des prix, en l’occurrence des loyers, qui apparaissent comme l’expression de l’interaction entre propriétaire et locataire et comme le fruit d’une négociation.

Mots-clés:
Patrimoine ecclésiastique; marché immobilier; prix

Abstract

This contribution examines the real estate holdings of the Vatican’s Chapter of St. Peter in Rome during the 14th-15th centuries, based on the censuali preserved in the Vatican Apostolic Library. Through this collection of records, we gain insight into how one of Rome’s most powerful ecclesiastical owners managed a portfolio composed of over 300 houses and apartments in a city that underwent strong demographic and economic growth during this period. This analysis highlights the Chapter’s multifaceted approach to property management: if a slight portion of the houses constitute a “market outside the market”, run according to principles of charity or clientelism, regarding the rest of them the Chapter of St. Peter behaved like any other private actor in the Roman real estate market. Their aim to optimize rentability was visible in rising rents and the pursuit of speculative investments. Furthermore, this study sheds light on the mechanisms of price formation, in this case rent setting, which appear to result from interactions and negotiations between landlord and tenant.

Keywords:
Ecclesiastical patrimony; real estate; price

Introduction

Le problème de la rationalité des économies médiévales se pose, on le sait, de manière particulièrement aiguë pour l’historien médiéviste qui cherche à comprendre les mécanismes de la formation des prix, notamment des prix des biens fonciers et immobiliers. À la question de savoir si les économies médiévales peuvent être qualifiées d’« économies de marché », au sens capitaliste du terme, l’analyse du marché de la terre invite à répondre par la négative (FELLER ; GRAMAIN ; WEBER, 2005FELLER, Laurent ; GRAMAIN, Agnès ; WEBER, Florence. La Fortune de Karol : Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au Haut Moyen Âge. Rome : École française de Rome, 2005., p. 131 ; MENJOT, 2008MENJOT, Denis. L’économie de marchés au Moyen Âge : Quelques approches de médiévistes sur le marché. In : ROMAN, Yves ; DALAISON, Julie (Éd.). L’économie antique, une économie de marché ? Lyon : Association de Boccard, 2008, p. 235-251.). On observe dans bien des cas, lorsqu’on étudie les transactions relatives à un même objet économique - qu’il s’agisse de parcelles de terre, comme l’ont démontré admirablement les auteurs de La Fortune de Karol, ou bien de logements comme on le verra ici - la coexistence de plusieurs marchés, animés par des logiques de fonctionnement et des acteurs distincts :

nous avons découvert que l’existence de grandeurs mesurées (surface des parcelles, évaluation monétaire des contreparties) dans notre documentation nous autorisait à parler non pas d’un marché de la terre mais d’un double marché, un marché des parcelles et un marché des exploitations, encadré par plusieurs institutions (FELLER ; GRAMAIN ; WEBER, 2005FELLER, Laurent ; GRAMAIN, Agnès ; WEBER, Florence. La Fortune de Karol : Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au Haut Moyen Âge. Rome : École française de Rome, 2005., p. 132).

On préférera donc parler d’une « économie de marchés » au pluriel (MENJOT, 2008MENJOT, Denis. L’économie de marchés au Moyen Âge : Quelques approches de médiévistes sur le marché. In : ROMAN, Yves ; DALAISON, Julie (Éd.). L’économie antique, une économie de marché ? Lyon : Association de Boccard, 2008, p. 235-251.) : les prix ont, en effet, une dynamique propre sur chaque marché et ne dépendent pas, loin s’en faut, de la seule « loi de l’offre et de la demande » (LARONCIÈRE, 1982LARONCIÈRE, Charles-Marie de. Prix et salaires à Florence au XIVe siècle, 1280-1380. Rome : École française de Rome, 1982.; BOURIN; MENANT; DRENDEL, 2011BOURIN, Monique ; MENANT, François ; DRENDEL, John (Éd.). Les disettes dans la conjoncture de 1300 en Méditerranée occidentale. Rome : École française de Rome, 2011.). Dans le cadre de cet article, je montrerai comment l’étude de la gestion d’un patrimoine immobilier par un même acteur économique, en l’occurrence une institution ecclésiastique, révèle la pluralité des logiques présidant à la détermination du prix pour un même objet (le logement), et donc en un sens la coexistence de plusieurs marchés immobiliers au sein d’un même contexte urbain (Rome).

État de la recherche

Le parc immobilier dont il sera question dans les pages qui vont suivre est celui du chapitre de la basilique Saint-Pierre de Rome entre 1350 et 1500. Il s’agira donc d’examiner les modes de gestion économique d’un patrimoine immobilier mis en œuvre par une institution ecclésiastique. Les archives ecclésiastiques sont sans nul doute un bon laboratoire pour travailler la question de la rationalité économique, puisque ces institutions sont soumises à des injonctions souvent présentées comme contradictoires : s’il faut garder présent à l’esprit qu’elles doivent se conformer à une éthique de la charité qui leur interdit de rechercher le profit pour lui-même, elles sont par ailleurs confrontées à la nécessité de trouver les ressources financières suffisantes pour garantir l’accomplissement de leurs missions charitables (GAZZINI; OLIVIERI, 2016GAZZINI, Marina; OLIVIERI, Antonio. Presentazione : L’ospedale, il denaro e altre ricchezze. Scritture e pratiche economiche dell’assistenza in Italia nel tardo Medioevo. Reti Medievali, v. 17, n. 1, 2016, p. 107-112., p. 108). Loin de considérer ces institutions ecclésiastiques - qu’il s’agisse de chapitres canoniaux, d’hôpitaux ou de confréries - comme des systèmes économiques fermés, qui seraient déconnectés du reste de l’économie urbaine, il convient de les étudier comme des acteurs économiques qui tiennent compte des évolutions des marchés urbains, et de chercher à comprendre quelles relations ils peuvent entretenir avec les autres acteurs, privés ou institutionnels, présents dans un même contexte urbain. Ce sont à la fois des « lieux d’assistance, de spiritualité et de solidarité, mais aussi des lieux économiques »1 1 Trad. libre de l’auteure : « luoghi di assistenza, di religiosità e di solidarietà, ma anche luoghi economici ». (GAZZINI, 2013, p. 263).2 2 Sur la gestion économique des patrimoines ecclésiastiques, voir entre autres : Gazzini ; Olivieri (2016) ; Gazzini (2013) ; Palermo (2016) ; Piccinni (2012) ; Riche (2005). C’est donc à la question de savoir comment s’articulent, dans la gestion concrète d’un patrimoine ecclésiastique, ces impératifs multiples, et comment ils peuvent composer ensemble une rationalité pratique qui lui est propre (GAZZINI ; OLIVIERI, 2016, p. 110),3 3 Étienne Hubert (1993, p. 225) insiste en conclusion de son étude comparative des patrimoines de quatre institutions ecclésiastiques romaines pour le XIVesiècle sur la pluralité des modes de gestion mis en œuvre : « En aucun cas, la propriété ecclésiastique ne saurait être considérée comme un ensemble homogène régi par une règle unique. Le comportement à l’égard de l’immobilier urbain diffère, en effet, selon les établissements et, peut-être davantage encore, en fonction des administrateurs eux-mêmes ». qu’est consacré cet article.

Le patrimoine immobilier de Saint-Pierre présente plusieurs particularités qui le distinguent des autres propriétaires ecclésiastiques de Rome :4 4 Sur les institutions ecclésiastiques romaines à la fin du Moyen Âge, envisagées sous l’angle économique, voir notamment : Dionisi (2003) ; Gauvain (2004 ; 2011) ; Hubert (1993) ; Palermo (2010) ; Peri (2015). d’abord, il s’agit d’un très grand propriétaire foncier et immobilier, puisqu’il possède à l’intérieur de la muraille aurélienne un parc locatif comptant plusieurs centaines de logements - 319 si l’on considère le registre de 1454, qui semble être l’un des plus exhaustifs pour la période étudiée (Tableau 1).5 5 Le nombre de logements composant ce patrimoine immobilier, pour la période étudiée (1454-1484), est compris entre 319 et 411. Le travail d’identification que j’ai mené à partir des registres des Censuali me conduit à recenser, au maximum, 411 logements différents, mais il reste difficile de donner, pour chaque année, le chiffre exact du nombre de logements dont le chapitre est propriétaire, car aucun registre n’en fournit jamais une liste exhaustive. J’ai écarté de cette étude les quelques boutiques-ateliers (apothecae), boucheries, fours à chaux, moulins et jardins qui apparaissent parmi cette liste de logements. Ce grand propriétaire ecclésiastique présente en outre, du point de vue des structures juridiques de la propriété, la particularité d’être, dans l’immense majorité des cas, à la fois le propriétaire du sol et de l’immeuble (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 181 ; 1995). Cette situation exceptionnelle l’avantage par rapport à la plupart des autres institutions ecclésiastiques de Rome dont les patrimoines immobiliers sont plus réduits - 24 maisons pour S. Maria dell’Anima par exemple (PALERMO, 2010PALERMO, Luciano. Il patrimonio immobiliare, la rendita e le finanze di S. Maria dell’Anima nel Rinascimento. In : MATHEUS, Michael (Éd.). S. Maria dell’Anima : Zur Geschichte einer ›deutschen Stiftung‹ in Rom. Berlin : De Gruyter, 2010, p. 279 -325.) - et qui ne sont que très rarement propriétaires des édifices construits sur les parcelles qui leur appartiennent. Les cens récognitifs qu’elles prélèvent au titre de la seule propriété du sol représentent des sommes bien inférieures à celles que peut représenter l’encaissement des loyers perçus par le chapitre de Saint-Pierre sur son parc de logements (HUBERT, 1995, p. 194-195). Enfin, le chapitre est, dans l’immense majorité des cas, l’unique propriétaire des immeubles. Il arrive, pour quelques rares immeubles, qu’il en partage la propriété, et donc la gestion, avec une autre institution ecclésiastique (S. Spirito in Sassia, S. Salvatore ad Sancta Sanctorum ou encore l’église S. Tommaso degli Spagnoli),6 6 Respectivement : BIBLIOTHÈQUE APOSTOLIQUE VATICANE (BAV), Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 61r, pour les deux premiers ; f. 42r, pour la troisième (« maison au lion ou au cochon, dont les trois quarts appartiennent à notre basilique [Saint-Pierre] et le dernier quart à l’église S. Tommaso degli Spagnoli » ; trad. libre de l’auteure : « domus cum signo leonis vel porci pro tribus partibus est nostre basilice et pro alia quarta parte est ecclesie sancti thome de ispanis »). mais dans tous les cas, il en détient la majorité des parts. Il a donc toute latitude pour transformer, agrandir ou réaménager les immeubles et les logements comme il l’entend.

Tableau 1 :
Évolution du parc de logements géré par le Chapitre de Saint-Pierre entre 1454 et 1484

La seconde raison qui a motivé cette étude tient à une autre singularité qui le distingue d’institutions ecclésiastiques telles que S. Silvestro in Capite, Santa Maria Nova ou S. Salvatore ad Sancta Sanctorum: le chapitre de Saint-Pierre est un propriétaire ecclésiastique atypique, en ce sens qu’il a mis en œuvre, dès le XIVe siècle, une gestion « dynamique et moderne » de son patrimoine immobilier, ce qui le rapproche des acteurs privés du marché immobilier (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 208-213). Cela se traduit notamment par une politique d’acquisition, certes limitée mais significative, d’immeubles sur le marché romain : son patrimoine immobilier s’accroît en effet entre 1350, date du premier inventaire conservé qui recense 189 logements (dont 150 en pleine propriété), et 1454, date à laquelle je dénombre 319 logements.7 7 Pour Alexis Gauvain (2004), le nombre de logements reste constant entre 1350 et la période qu’il étudie, 1472-1503, mais il ne tient pas compte du censuale de 1454. Si, pour l’essentiel, ces biens immobiliers ont été légués au chapitre, en particulier par les chanoines et leurs familles, une partie des legs en numéraire a été investie dans l’immobilier dès le XIVe siècle. Il s’agit là d’une attitude relativement inhabituelle de la part d’un propriétaire ecclésiastique, qui contredit l’idée selon laquelle les institutions ecclésiastiques se contenteraient d’administrer de manière passive et peu rationnelle un patrimoine hérité.

Toute la question est de savoir ce qu’il en est un siècle plus tard, car, aussi étrange que cela puisse paraître, le patrimoine immobilier de Saint-Pierre n’a pas fait l’objet, pour le Quattrocento, d’une étude approfondie comparable à celle menée par Étienne Hubert (1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230.) pour le second XIVe siècle, à l’exception notable d’Alexis Gauvain (2004GAUVAIN, Alexis. Il patrimonio del Capitolo di San Pietro in Vaticano alla fine del XV secolo : Primi resultati. Dimensioni e problemi della ricerca storica, n. 2, p. 49-76, luglio-dic. 2004.; 2011). L’étude que je propose ici vise donc à combler cette lacune, qui est d’autant plus surprenante dans la bibliographie que cette période est précisément celle d’un changement de conjoncture majeur : le retour du pape et de la curie pontificale à Rome impulse une croissance démographique et économique telle qu’elle modifie radicalement la société urbaine.

Sources et méthodologie

Nous disposons d’une documentation sérielle très bien conservée, la série des censuali, qui permet une analyse fine de la structure et des modes de gestion de ce patrimoine immobilier sur la longue durée.8 8 Le premier inventaire des logements de Saint-Pierre conservé a été compilé en 1350 (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Inventari, 1350. 1) et les registres de comptes sont conservés à partir de 1384. Les résultats présentés ici reposent sur le dépouillement systématique des registres des censuali du chapitre de Saint-Pierre pour le second XVe siècle, de 1450 au début des années 1490.9 9 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450-1497. 6 à 14. Il s’agit d’une part d’effectuer une étude similaire à celle conduite par Étienne Hubert (1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230.) pour le second XIVe siècle, afin de mesurer les changements qui ont pu caractériser les modalités de gestion de ce patrimoine immobilier entre 1350 et 1500 ; d’autre part, d’étudier quelles peuvent être les stratégies immobilières d’une institution ecclésiastique dans un contexte de croissance économique, de forte inflation des prix de l’immobilier et de difficultés croissantes, pour de nombreux locataires, à accéder au logement (TROADEC, 2020TROADEC, Cécile. Roma crescit : Une histoire économique et sociale de Rome au XVe siècle. Rome : École française de Rome, 2020., p. 295-370). Autrement dit, dans quelle mesure le chapitre adapte-t-il ses pratiques à cette nouvelle conjoncture ? Cherche-t-il à proposer des logements à des loyers inférieurs à ceux pratiqués sur le marché privé, afin de favoriser l’accès au logement ? Ou au contraire, se comporte-t-il de la même manière qu’un acteur privé, augmentant ses loyers pour les aligner sur ceux du marché privé ?

Pour apporter des réponses à ces questions, il m’a fallu reconstituer le parc immobilier du chapitre de Saint-Pierre et établir, aussi précisément que possible, une « biographie des logements » composant ce parc immobilier. Cela suppose un travail minutieux et rigoureux d’identification de chaque logement, qu’il faut pouvoir suivre d’un registre à l’autre, d’une année à l’autre. La traçabilité de chaque logement est en effet loin d’être évidente, car les pratiques d’écriture varient d’un registre à l’autre. Il convient dès lors d’attribuer à chaque logement un numéro de référence (que j’ai établi à partir du censuale de 1454 puisqu’il est le plus complet), puis de tenter de le retrouver dans les registres antérieurs et postérieurs. On peut pour ce faire s’appuyer sur un faisceau d’indices concordants permettant d’identifier un logement : sa localisation (par paroisse) quand elle est indiquée ;10 10 Ce critère peut s’avérer trompeur, étant donné qu’un même logement peut être localisé dans des paroisses mitoyennes mais différentes selon le rédacteur du registre. La carte des paroisses réalisée par Susanna Passigli (1993) s’avère ainsi très précieuse pour élucider certaines identifications. l’héraldique, c’est-à-dire les blasons ou symboles qui sont peints sur la façade de la maison ; l’identité des locataires successifs qui ont occupé le logement ;11 11 Les censuali mentionnent très souvent le nom du ou des locataires précédents, ce qui permet de confirmer l’identification du logement dans de nombreux cas. sa position au sein de la liste des logements car, dans une certaine mesure mais cela est loin d’être systématique, les censuali enregistrent les logements suivant un ordre immuable ; en dernier ressort, et à titre de confirmation uniquement, le montant du loyer. Cette enquête fait apparaître que tous les logements ne sont pas toujours renseignés dans chaque censuale: on ne doit donc pas déduire de l’absence d’un logement dans un registre qu’il n’est plus la propriété du chapitre, car il peut « réapparaître » dans le registre suivant. De telles omissions font signe vers une gestion lacunaire, peut-être négligente. En outre, la tenue des registres se fait de moins en moins précise à mesure qu’on avance dans la période, à tel point qu’à partir des années 1490, les mentions des paroisses et des emblèmes peints sur les maisons sont quasiment absents. On en est alors réduits à des hypothèses, et le travail de traçage s’avère beaucoup plus fastidieux, mais à l’exception de quelques logements non localisés, on parvient à reconstituer, patiemment, l’ensemble du parc locatif (Tableau 2).

Tableau 2 :
Évolution du parc de logements géré par le Chapitre de Saint-Pierre, par paroisse

Un marché hors le marché ?

De prime abord, la lecture des censuali de Saint-Pierre pour le second XVe siècle peut donner l’impression d’une gestion passive, routinière, empirique et peu rationnelle de ce patrimoine immobilier. Le chapitre se contenterait d’encaisser les loyers auprès des locataires, sans chercher à mettre en œuvre de véritables stratégies d’optimisation de la rentabilité d’un parc immobilier hérité et ancien, constitué par l’accumulation des legs testamentaires. Les loyers, modiques pour nombre de logements, seraient largement inférieurs à ceux pratiqués sur le marché immobilier privé. Il n’y aurait donc pas de volonté de la part du chapitre d’augmenter les loyers pour les aligner sur le marché privé, parce qu’une institution charitable ne saurait se donner pour horizon ni la recherche du profit, ni la rentabilité économique.14 14 Une telle gestion routinière a pu être mise en évidence pour d’autres institutions charitables de Rome, comme S. Silvestro in Capite (HUBERT, 1993, p. 213, p. 226) ou S. Maria dell’Anima, caractérisée comme organisation « no profit » par Luciano Palermo (2010). On pourrait alors qualifier ce parc locatif de « marché hors le marché », puisqu’il obéirait à des logiques différentes de celles qui régissent le marché privé.

Un premier argument permet d’étayer cette idée : les pratiques d’écriture des camériers qui tenaient les censuali semblent indiquer que ce parc immobilier est considéré comme une source de revenus parmi d’autres. Les loyers versés par les locataires sont en effet enregistrés à la suite des sommes perçues par le chapitre au titre de la location des grands domaines fonciers qu’il possède dans la Campagne romaine (casali) et des jardins et enclos maraîchers situés de part et d’autre de la muraille aurélienne (vineae). Dans la mesure où on met sur le même plan des éléments aussi disparates que les casali, les vineae, les logements, mais aussi les boutiques-ateliers, les fours à chaux, les moulins ou encore les étals du marché au poisson, il n’est pas certain qu’on envisage d’élaborer une gestion spécifique, adaptée aux particularités de chacune de ces catégories. Est-il possible de mettre en œuvre une gestion rationnelle de ce patrimoine, sans prendre en compte les évolutions, importantes, du marché immobilier privé, autrement dit sans tenir compte de l’inflation des prix de l’immobilier et des écarts de loyer qui s’accentuent alors entre les différents quartiers de Rome ?

Ce point peut être conforté par le fait que les revenus générés par ce parc immobilier représentent une part mineure des revenus annuels globaux du chapitre de Saint-Pierre : ce sont les revenus produits par les grands domaines fonciers de la Campagne romaine, les casali, qui constituent l’essentiel des recettes annuelles du chapitre - 62% en 1483 par exemple, soit 3050 ducats sur un total de 4895 (MONTEL, 1971MONTEL, Robert. Un casale de la Campagne Romaine e la fin du XIVe siècle au début du XVIIe: Le domaine de Porto d’après les archives du Chapitre de Saint-Pierre. Mélanges de l’École française de Rome : Moyen Âge, Temps modernes, v. 83, n. 1, p. 31-87, 1971.; 1973, p. 441 ; 1979 ; 1987 ; MAIRE VIGUEUR, 1974MAIRE VIGUEUR, Jean-Claude. Les « casali » des églises romaines à la fin du Moyen Âge (1348-1428). Mélanges de l’École française de Rome : Moyen Âge, Temps Modernes, v. 86, n. 1, p. 63-136, 1974.). Ce rapport était pourtant inversé quelques décennies plus tôt, puisque, à la fin du XIVe siècle, les entrées liées au patrimoine immobilier représentaient plus de la moitié des revenus globaux - 1675 florins soit 52,4% - et étaient largement supérieures aux recettes générées par les casali - 913 florins soit 28,6% (MONTEL, 1972 ; HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 213). La part prise par les casali dans son budget annuel ne signifie pas nécessairement que le chapitre a pour autant délaissé la gestion de son parc immobilier, même si dans l’esprit des chanoines, et peut-être des camériers qui tenaient les registres de comptes, l’attention était davantage portée sur la constitution et la gestion de cet immense patrimoine foncier (22 600 hectares à la fin du XVIe siècle), qui générait, comparativement aux logements, des revenus autrement plus importants.15 15 C’est l’inverse pour d’autres institutions comme S. Maria dell’Anima, dont le patrimoine immobilier représente entre 50 et 80% des revenus dans la seconde moitié du XVesiècle (PALERMO, 2010).

Un second argument semble confirmer l’idée d’une administration peu efficace du patrimoine immobilier de Saint-Pierre. Une partie non négligeable de ce parc immobilier est en effet inoccupée (vacat) ou en ruines (in ruina) : 20 à 40% des logements ne rapportent rien pour cette raison au milieu du siècle (Tableau 1). Certaines parcelles sur lesquelles se dressait auparavant une maison sont retournées à l’état de jardin ou d’enclos maraîcher.16 16 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 52r. Ces logements délabrés sont pour l’essentiel situés dans le quartier Borgo,17 17 Sur l’évolution de Borgo à la fin du Moyen Âge : Palermo (2008) ; Vaquero Piñeiro (2008). le registre de 1454 recensant de manière très minutieuse plusieurs ensembles de logements délabrés et vacants. En voici un exemple parmi tant d’autres :

Domus cum signo grifonis Domus cum signo capitis sarraceni Domus cum signo bilanciis Domus cum signo guantorum Domus cum signo ursi post dictam domum Domus cum signo galli sunt omnes in ruina18 18 Trad. libre de l’auteure : « maison au griffon, maison à la tête de Sarrasin, maison à la balance, maison aux gants, maison à l’ours située derrière cette dernière, maison au coq : elles sont toutes en ruine ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 41r.

Ces destructions sont le résultat des guerres du schisme et de l’occupation de la ville par les troupes de Ladislas : « en 1416, la moitié des 300 maisons du chapitre étaient désormais abandonnées et en ruine » (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 225). La situation semble s’être grandement améliorée à partir de 1475 (Tableau 1), mais il y a là un effet de source : ces logements précaires existent toujours et demeurent inoccupés, si bien qu’ils ne figurent plus dans les registres, les camériers faisant manifestement le choix significatif de ne plus mentionner que les biens générant un revenu.

Enfin, un troisième argument tient au fait qu’une partie des logements ne produit aucun revenu (ou un revenu faible, de l’ordre de quelques florins ou ducats)19 19 Il s’agit bien de loyers ici, et non de cens récognitifs dont les montants seraient inférieurs (de l’ordre de quelques sous). pour plusieurs raisons. D’abord parce que certains immeubles sont occupés à titre gratuit ou quasi gratuit par des membres de la curie, cardinaux, évêques ;20 20 Plusieurs logements sont occupés par des évêques, dont Bartolomeo Maraschi, évêque de Città di Castello (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475-1478. 11, f. 10r ; f. 27v), Giovanni Andrea Bocciacci, évêque de Modène (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 61v-62r), Andrea della Valle, chanoine et évêque de Crotone (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1497. 14, f. 213r), les évêques de Salerne (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1484. 12, f. 19v), d’Orvieto (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 79v), d’Aléria (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1484. 12, f. 21r ; 1485. 13, f. 47v-49r ; 1491. 14, f. 46v), de Tarazona (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1481. 12, f. 13v). Certains font réparer le logement à leurs frais (l’évêque de Volterra : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 49v) ou reconstruire (l’évêque d’Aléria : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1481. 12, f. 17r). par des souverains comme le roi de Naples, Ladislas, ou la reine de Chypre, Charlotte de Lusignan ;21 21 Deux maisons de Borgo sont louées ad vitam suam à la « reine de Chypre », Charlotte de Lusignan (m. 1487) : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 19r ; 1481-1484. 12, f. 14v ; f. 17r ; f. 21v ; f. 46r ; 1485. 13, f. 47r ; f. 79v. par le préfet de Rome ;22 22 Le logement occupé par le préfet de Rome (praefectus Urbis), Simone Bonadies, à partir de 1475, se situe dans le quartier Borgo (paroisse San Gregorio de Cortina) : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali,1475-1478. 11, f. 8v ; f. 25v ; 1481-1484. 12, f. 11v ; f. 17v ; 1485. 13, f. 42r. Le loyer (3 ou 4 ducats) ne semble plus être versé depuis que le logement a été attribué au préfet (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 8v : et nihil solvet [« et il ne paiera rien »]; 1481. 12, f. 11v : et nichil habetur). par des soldats.23 23 Plusieurs logements sont occupés par des hommes d’armes : l’un d’entre eux, par exemple, fut occupé par les troupes du roi de Naples Ladislas, puis par d’autres hommes d’armes, à titre gratuit : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1478. 11, f. 10v ; f. 27v (nunc presenti anno fuit occupata a stipendiariis : nihil [« depuis cette année elle est occupée par des soldats : rien »]). Certaines familles de la noblesse citadine romaine, comme les Della Valle, Massimi ou Porcari, profitent de ce qu’un de leurs membres est chanoine de Saint-Pierre pour accéder à des logements à un prix raisonnable dans des quartiers où la pression immobilière est très forte. Ces logements sont ainsi extraits du marché immobilier romain et les transactions qui les concernent peuvent être caractérisées comme des transactions non marchandes : l’octroi d’un logement de Saint-Pierre à ces puissants et prestigieux bénéficiaires est un moyen pour le chapitre d’établir, ou de renforcer, des relations de clientèle. Toutefois, cela n’exclut pas que le chapitre exige, dans certains cas, le versement d’un véritable loyer : Giovanni Andrea Bocciacci, évêque de Modène, s’acquitte ainsi d’un loyer annuel de 26 ducats, mais on peut faire l’hypothèse qu’il reste en-deçà des prix du marché privé. Cela est évident dans le cas du palais loué par Lorenzo Muti, membre éminent de la noblesse citadine, pour 1 ou 2 florins annuels (selon que la curie est, ou non, à Rome), soit une somme ridicule pour un tel complexe résidentiel, doté de dépendances, d’une écurie et de nombreuses pièces. Dans les lieux depuis 1421, Lorenzo n’a en outre payé aucun loyer pour les années 1443, 1444, 1446, 1449 et 1451, sans pour autant en être jamais expulsé, au moins jusqu’en 1462.24 24 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 91v : Attende quod iste non solvit de annis 1443, 1444, 1446, 1449 et 1451; 1461. 8, f. 115r ; 1462. 9, f. 45v.

Ce manque à gagner pour le chapitre tient en second lieu aux innombrables arriérés de loyer dus par de nombreux locataires au chapitre. Ces sommes impayées apparaissent très explicitement dans les censuali, qui enregistrent de manière fort scrupuleuse et systématique les montants qui ont été effectivement versés par les différents locataires, avec, bien sûr, la date de ces versements. L’historien peut ainsi étudier non seulement l’évolution des loyers théoriques, fixés par les contractants au moment de la signature du bail, mais aussi les modalités du paiement effectif du loyer. Les registres des censuali font ainsi état, à d’innombrables reprises, de loyers impayés, parfois depuis plusieurs années, sans que cela n’entraîne immédiatement l’expulsion du locataire. Ainsi, le boulanger Georgio Ser Visto n’a rien payé pour les années 1447, 1448 et 1449, indique le censuale de 1454, soit un arriéré qui se monte à 27 ducats.25 25 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 45v : Attende quod de anno 1447 et 1448 et 1449 nihil solvit et de annis quos solvit restat multum solvere. Dans le registre de 1450, le camérier renvoie au censuale de 1434 pour rappeler que l’ancien locataire de la maison au lion leur doit toujours une forte somme (tenetur pro resto dicte domus in magna quantitate ut patet in censuali anni 1434). Une manicule ajoutée dans la marge pointe encore vers la nécessité de récupérer ce loyer impayé.26 26 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 42v. Mais le nouveau locataire, un Florentin du nom de Papia de Magis, ne paie pas davantage son loyer en 1450-1451 et le logement est bientôt reloué, début juillet 1454, à un barbier, Rolino.27 27 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 46v. Il en va de même de la maison à l’éléphant : son locataire, un Allemand nommé Henrico di Giovanni, était entré dans le logement le 18 avril 1446, promettant de verser 4 ducats de loyer. Il y demeure jusqu’en 1449 mais ne paie que 3 ducats 20 bolognini, si bien qu’il doit au chapitre la somme de 11 ducats 52 bolognini. La maison à l’éléphant est relouée, en juillet 1450, à un nouveau locataire: on peut donc supposer que Henrico a été expulsé du logement.28 28 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 54v. Certains locataires justifient leurs arriérés de loyer en dénonçant les conditions déplorables de leur habitat, qui menace ruine : Giuliano Panatta, qui doit verser 1 ducat au chapitre pour une petite maison située dans la paroisse S. Tommaso de Hispanis, nihil solvit quia domus minatur ruinam.29 29 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 15v. On pourrait multiplier les exemples, tant ces situations sont récurrentes qui témoignent des difficultés rencontrées par nombre de locataires appartenant aux milieux populaires, et parfois étrangers, pour s’acquitter de leur loyer et, plus largement, pour accéder au logement dans une ville où les prix de l’immobilier augmentent et où les inégalités s’accroissent.

Du point de vue du chapitre, les rédacteurs des censuali se disent soucieux de récupérer les arriérés de loyers et d’assainir la gestion du parc immobilier: sans cesse ils attestent leur empressement (diligentia) à requérir auprès des mauvais locataires le paiement des sommes dues.30 30 Par exemple les colophons dans BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1461. 8, f. 122r ; 1462. 9, f. 52r : Attende quia multe de dictis possesionibus cedutis a jure suo fiat diligentia ad reparandum recuperandum more solito. Finis. Toujours ils précisent qu’ils ont exigé le versement du solde (petatur residuum), quand bien même il s’agit de sommes dérisoires (1 florin) et quand bien même leur demande ne fut pas suivie d’effet.31 31 Par exemple : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 51v ; f. 52v. Ces tentatives de justification, lorsqu’ils ajoutent que la maison est en ruine ou mal située (male disposta),32 32 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 49r. s’inscrivent bien sûr dans la perspective de la reddition de comptes à laquelle ils sont soumis en sortie de charge. Mais elle fait signe aussi vers la conscience de la nécessité de faire fructifier ce patrimoine, dans l’optique d’accroître les richesses d’une institution ecclésiastique et charitable qui pourra ainsi en faire bénéficier l’ensemble de la communauté urbaine.

Les indices d’une gestion rationnelle

À bien des égards, le chapitre de Saint-Pierre se comporte comme un acteur privé du marché immobilier, cherchant à accroître les bénéfices qu’il retire de son parc de logements par une gestion raisonnée. À deux exceptions près, où le locataire est tenu de s’acquitter d’un cens récognitif, tous les logements possédés par Saint-Pierre sont loués contre le versement d’un véritable loyer dont le montant n’est pas négligeable. Seul un immeuble est dédié aux plus démunis .33 33 Une domus ad usum pauperum attestée à partir de 1475 près de l’actuelle église S. Caterina della Rota : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 18r. L’institution s’affranchit ainsi fréquemment du souhait exprimé par le testateur que le logement légué au chapitre soit occupé à titre gratuit, pro amore Dei, par un locataire pauvre. Cela ne doit pas nous surprendre car une telle attitude n’est pas propre au chapitre de Saint-Pierre. Élisabeth Crouzet-Pavan (2015, p. 610) observe le même phénomène pour Venise : « la gestion de ces legs témoigne des arrangements que le chapitre prend avec les souhaits des testateurs. Deux des sept maisons de Santa Croce sont louées ».

La recherche de rentabilité se manifeste tout d’abord par une inflation des loyers qui évolue conformément à ce qu’on observe sur le marché privé.34 34 On observe la même pratique de la part de S. Maria dell’Anima (PALERMO, 2010) ou de S. Giacomo degli Spagnoli (VAQUERO PIÑEIRO, 1989 ; 1999) au XVesiècle. À titre d’exemple, la maison au lion qui était louée 28 florins en 1446 voit ce loyer multiplié par deux lorsqu’elle est relouée, en 1449, à Papia de Magis (22 ducats).35 35 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 42v. De plus, le raccourcissement de la durée des baux locatifs permet au chapitre d’augmenter régulièrement le loyer, à chaque changement de locataire ou bien même à l’occasion du renouvellement du bail auprès du même locataire : le loyer de Tommaso di Renzo Leonis qui occupe la domus cum signo camerariorum près de la basilique Saint-Pierre passe de 22 à 26 ducats entre 1444 et 1447.36 36 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 41r. Celui de la domus cum signo rocche est multiplié par quatre en moins de trente ans (passant de 4 à 16 ducats entre 1436 et 1462).37 37 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1436. 4, f. 244r (4 ducats) ; 1454. 7, f. 72rv (22 puis 15 ducats) ; 1461. 8, f. 99v ; 1462. 9, f. 31v (16 ducats). Cela n’est pas nouveau : en 1350 déjà, année jubilaire, « les loyers furent multipliés globalement par 5 ou par 6 et rapportèrent, si l’on en croit l’inventaire compilé cette année-là, 3200 florins environ » (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 213). À l’échelle d’une année aussi, les loyers connaissent d’importantes variations : à Rome, les loyers sur le marché privé varient fortement selon que le pape et la curie sont présents ou absents. Ils peuvent être multipliés par 2, 4, 6, 9, voire davantage (VAQUERO PIÑEIRO, 1992VAQUERO PIÑEIRO, Manuel. Il mercato immobiliare. In: CONVEGNO ALLE ORIGINI DELLA NUEVA ROMA: MARTINO V (1417-1431), 1992, Rome. Atti… Rome : Istituto Storico Italiano per il Medioevo, 1992, p. 555-569., p. 566 ; TROADEC, 2020TROADEC, Cécile. Roma crescit : Une histoire économique et sociale de Rome au XVe siècle. Rome : École française de Rome, 2020., p. 54), et le chapitre ne déroge pas à cette particularité du marché immobilier romain.

Faire varier le loyer n’est pas la seule manière d’augmenter la valeur de ce patrimoine immobilier. L’entretien des logements repose, depuis le début du XVesiècle, sur les locataires, qui doivent prendre à leur compte tous les travaux de réparation, agrandissement ou amélioration du bâtiment. Il s’était agi alors de généraliser les baux emphytéotiques ad domum faciendam ou reparandam afin de réduire les dépenses considérables qu’aurait générées la restauration d’un patrimoine bâti en grande partie détruit par les troupes de Ladislas: « dès les années 1410, le chapitre commença de concéder ses immeubles en emphytéose, afin de se décharger de frais d’entretien désormais trop lourds » (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 225). Une cinquantaine d’années plus tard, on se trouve donc dans une phase de transition, où coexistent des baux emphytéotiques à faible loyer, héritage du début du siècle, et des contrats de location de très courte durée (inférieure à trois ans) créés par le chapitre sur le modèle de ce qui se pratique sur le marché privé, afin de pouvoir réévaluer plus fréquemment à la hausse les loyers. Dans les deux cas, les travaux restent à la charge du locataire, mais les dépenses engagées, toujours notées scrupuleusement, sont défalquées du loyer. À l’approche des années jubilaires, en 1475 notamment, on enjoint fortement les locataires à « faire comme font les autres maisons » (et in jubileo facere sic alie domus facient), autrement dit à veiller au bon état de l’édifice, notamment de sa façade, garantie d’un paysage urbain harmonieux.38 38 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 43r, par exemple. Certains logements du chapitre ont fait l’objet d’une véritable rénovation et ont été ensuite vendus, avec une belle plus-value : la domus cum signo rocche évoquée plus haut est revendue, après travaux, 500 ducats en 1464.39 39 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1465. 10, f. 9r. Une partie des logements de Saint-Pierre fait donc l’objet de pratiques spéculatives, qui n’ont rien à envier à ce qu’on peut observer sur le marché privé.

Étant données la forte croissance démographique de la ville et l’augmentation de la demande en logements qui en résulte, des travaux peuvent être entrepris pour partager un bâtiment en plusieurs logements plus petits et indépendants. Une fois encore, c’est un trait qui distingue le chapitre de Saint-Pierre de d’autres propriétaires ecclésiastiques :

Alors que, au XIIIe siècle et pendant la première moitié du XIVe siècle encore, les partages d’immeubles se faisaient généralement dans le sens vertical, (…) le chapitre de Saint-Pierre divisait en revanche ses maisons par étage. (…) La division d’immeubles en plusieurs unités d’habitation témoigne à l’évidence de la volonté de rentabiliser davantage le parc immobilier sur une toile de fond de pression démographique accrue (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 185).

Là encore, le chapitre ne se comporte pas différemment des entrepreneurs privés (BROISE, 1989BROISE, Henri. Les maisons d’habitation à Rome aux XVe et XVIe siècles : Les leçons de la documentation graphique. In : COLLOQUE D’UNE VILLE À L’AUTRE : STRUCTURES MATÉRIELLES ET ORGANISATION DE L’ESPACE DANS LES VILLES EUROPÉENNES (XIIIe-XVIe siècle), 1986, Rome. Actes… Rome : École française de Rome, 1989, p. 609-629.) et, ce faisant, il augmente le revenu généré par une même parcelle : dans la paroisse S. Celso, la maison au verre est partagée en 1481 entre plusieurs locataires (divisa inter plures pensionarios).40 40 BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 11r ; 1481. 12, f. 18r. Si l’on additionne les loyers prélevés par le chapitre pour les cinq nouveaux logements ainsi créés, très inégaux au demeurant (de 3 à 20 ducats), ce total (53 ducats) dépasse largement le montant du loyer initial de la maison au verre avant travaux (30 ducats).

À l’échelle de l’espace urbain, le chapitre de Saint-Pierre recompose son parc de logements (GAUVAIN, 2004GAUVAIN, Alexis. Il patrimonio del Capitolo di San Pietro in Vaticano alla fine del XV secolo : Primi resultati. Dimensioni e problemi della ricerca storica, n. 2, p. 49-76, luglio-dic. 2004.) et fait évoluer les loyers en tenant compte des dynamiques du marché immobilier privé. En effet, on observe à partir du milieu du siècle, une tendance à la gentrification dans certaines paroisses et, plus largement, la mise en place d’une hiérarchisation des différents quartiers de Rome (TROADEC, 2020TROADEC, Cécile. Roma crescit : Une histoire économique et sociale de Rome au XVe siècle. Rome : École française de Rome, 2020., p. 356-370). La comparaison des quatre cartes que j’ai réalisées à partir des censuali pour les années 1454, 1462, 1475 et 1484 (Figures 1 à 4)41 41 Il faut préciser que ces cartes ne font pas figurer les logements situés «in burgo» sans autre précision sur la paroisse de localisation et qu’il ne faut donc pas sous-estimer l’importance des logements possédés par le chapitre à Borgo encore au XVesiècle, dont une grande partie seront détruits dans le cadre du chantier de reconstruction de la basilique et du réaménagement général du quartier. montre à l’évidence ces recompositions et comment le chapitre concentre ses investissements non plus à Borgo comme c’était le cas un siècle auparavant (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 186), mais vers les quartiers dans lesquels désormais la rente immobilière est la plus élevée (Ponte, Parione, Regola, Sant’Eustachio, et en particulier les paroisses S. Celso, S. Orso, S. Biagio alla Pagnotta, S. Lorenzo in Damaso autour du Campo de’ Fiori).42 42 Le parc immobilier reste toutefois disséminé dans plusieurs quartiers de Rome, tandis que celui de S. Maria dell’Anima tend à se concentrer dans le quartier Parione (PALERMO, 2010). L’adjonction d’un ensemble de logements autour de S. Caterina della Rota, non loin de l’actuel Palais Farnèse, en est une belle illustration. À l’inverse, l’imprécision avec laquelle les censuali localisent les logements situés dans des quartiers périphériques comme le Trastevere manifeste une certaine méconnaissance, du moins un désintérêt, pour des biens immobiliers considérés comme peu rentables.

Figure 1 :
Géographie du patrimoine immobilier de Saint-Pierre en 145443 43 Le fond de carte utilisé est emprunté à Passigli (1993).

Figure 2 :
Géographie du patrimoine immobilier de Saint-Pierre en 1462

Figure 3 :
Géographie du patrimoine immobilier de Saint-Pierre en 1475

Figure 4 :
Géographie du patrimoine immobilier de Saint-Pierre en 1484

Les loyers fixés par le chapitre suivent cette tendance à la hiérarchisation des quartiers de Rome qu’on peut décrire en étudiant les actes notariés.44 44 Sur la différenciation de la rente immobilière selon les quartiers de Rome : Hubert (2008) ; Palermo (1995) ; Strangio ; Vaquero Piñeiro (2004) ; Troadec (2020, p. 356-370). En 1350, les loyers fixés par le chapitre étaient plus élevés à mesure qu’on s’approchait de la basilique Saint-Pierre (HUBERT, 1993HUBERT, Étienne. Économie de la propriété immobilière : Les établissements religieux et leurs patrimoines au XIVe siècle. In : HUBERT, Étienne (Éd.). Rome aux XIIIe et XIVe siècles : Cinq études. Rome : École française de Rome, 1993, p. 175-230., p. 209). Il en va tout autrement un siècle plus tard. Prenons l’année 1481 : à proximité de la basilique, dans le quartier Borgo, le loyer médian est de 3 ducats seulement (les loyers s’échelonnant entre 1 florin et 30 ducats) tandis qu’il est de 9,5 ducats pour la paroisse S. Celso dans le quartier Ponte (compris entre 2,5 et 50 ducats). Même le plus petit loyer est cinq fois plus élevé à S. Celso qu’il ne l’est à Borgo (2,5 ducats contre 1 florin), si bien que l’on comprend qu’il est désormais bien plus facile de se loger près de la basilique Saint-Pierre que de l’autre côté du Tibre. Toutefois, dans les dernières années du siècle et au début du XVIe siècle, c’est-à-dire au moment de l’ouverture de la via Alessandrina, on observe une soudaine augmentation des loyers pour les logements du chapitre situés à Borgo, à tel point que les revenus qui en sont issus sont supérieurs à ceux des logements de Parione pour la première fois en 1503 (GAUVAIN, 2004GAUVAIN, Alexis. Il patrimonio del Capitolo di San Pietro in Vaticano alla fine del XV secolo : Primi resultati. Dimensioni e problemi della ricerca storica, n. 2, p. 49-76, luglio-dic. 2004.).

La théorie du juste prix en acte

Au terme de cette analyse, il n’est pas possible de mettre en évidence une stratégie unique qui caractériserait dans son ensemble la gestion du patrimoine immobilier de Saint-Pierre. L’illusion créée par le fait que toutes ces transactions sont rassemblées dans une liste, enregistrée dans un même registre, lui-même inscrit dans une même série documentaire, celle des censuali, ne doit pas nous conduire à mettre sur le même plan des modes de gestion qui n’ont aucun point commun. Il apparaît clairement que le chapitre de Saint-Pierre n’adopte pas la même attitude selon les logements : d’abord, parce que certains logements font l’objet de transactions marchandes, pour lesquelles le chapitre se comporte comme n’importe quel acteur économique privé, tandis que d’autres logements sont le support et le moyen de la consolidation de relations clientélaires. La détermination des loyers dans chacune de ces deux situations est, on le comprend aisément, radicalement différente. On le voit, une partie du parc immobilier de Saint-Pierre constitue un « marché hors le marché », composé de logements dont l’accès est réservé à deux catégories d’individus : les membres ou proches de la curie pontificale au sens large d’une part, les locataires modestes et souvent primo-arrivants, qui peinent à se loger sur le marché privé, d’autre part (TROADEC, à paraître). Distinct du reste du patrimoine immobilier de Saint-Pierre, ce marché locatif « hors le marché » obéit à des logiques clientélaires ou charitables selon les cas : les montants des loyers sont généralement inférieurs à ceux pratiqués sur le marché privé et peuvent être négociés à la baisse par les occupants du logement.

Pour le reste en revanche, c’est-à-dire pour la grande majorité des logements qui composent ce patrimoine immobilier, tout se passe comme si le chapitre de Saint-Pierre était un acteur économique privé, parfaitement inscrit « dans le marché » : inflation des loyers, réduction de la durée du bail, expulsion des locataires mauvais payeurs, investissement spéculatif dans les quartiers de Rome dans lesquels le marché est le plus tendu, tous ces paramètres témoignent d’une politique immobilière rationnelle visant à garantir, voire à optimiser, la rentabilité de ce patrimoine (en partie) hérité. Malgré l’interdiction d’expulsion, stipulée par la papauté elle-même en vertu de la caritas, le chapitre de Saint-Pierre procède à l’expulsion de locataires qui se sont retrouvés dans l’incapacité de payer leur loyer, sans toutefois l’enregistrer de manière explicite dans les censuali. On le devine toutefois, lorsqu’on voit un nouveau locataire entrer dans les lieux juste après un rappel des arriérés de loyer dus au chapitre par le locataire précédent : « Il reste beaucoup à payer (pour cette maison). Elle est ensuite louée, à partir de l’année 1449, à maestro Pietro, allemand »45 45 Trad. libre de l’auteure : « Attende et videatur bene calculus quod restat multum solvere. Deinde locata est magistro Petro teutonico de anno 1449 ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 45r. (l’enjeu est d’autant plus grand que le jubilé approche), « L’épouse de Sanctificetur doit une grande somme d’argent pour le loyer de cette maison, qu’il faudra veiller à lui demander. Désormais, cette maison est louée à maestro Vincenzo ».46 46 Trad. libre de l’auteure : « Attende quia uxor Sanctificetur est debitrix in magna quantitate pro pensione dicte domus petatur. Nunc vero dicta domus locata est magistro Vincentio ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 45v.

Si le cas du chapitre de Saint-Pierre est quelque peu atypique, il invite à reconsidérer l’alternative longtemps posée par l’historiographie relative aux institutions ecclésiastiques opposant de manière exclusive charité et profit : un tel éventail de comportements économiques, mis en œuvre par un même propriétaire ecclésiastique pour un même objet, le logement, montre qu’il est impossible de dissocier la nature charitable de cette gestion de ses aspects entrepreneuriaux. Elle est à la fois caritative et productrice de richesses, qui seront ensuite redistribuées. On a là l’application d’une pensée économique qui, comme l’a démontré Giacomo Todeschini (2002TODESCHINI, Giacomo. Caritá profitto nella dottrina economica francescana da Bonaventura all’Olivi. Franciscan Studies, n. 60, p. 325-339, 2002.; 2005), associe de manière étroite à partir de la fin du XIIIe siècle les notions de charité et de profit. La mise à disposition des logements, rendus accessibles à des locataires dépourvus des moyens financiers et des « titres d’accès » à la propriété immobilière, s’inscrit dans la perspective d’une solidarité économique, d’une coopération sociale en vue du bien commun. Cet usage bon et éthique de la richesse légitime le profit retiré de patrimoines ecclésiastiques. Il n’y a donc là ni « pétrification du capital », ni immobilisme dans la gestion économique, mais une approche dynamique et fluide qui s’adapte aux réalités du marché afin de faire fructifier un patrimoine immobilier. Ce dossier illustre donc, à mon sens, l’étroite corrélation entre la logique de productivité et l’obligation morale de la charité mise en évidence par les travaux de Giacomo Todeschini notamment.

Si l’on en revient à la question initiale, celle de la détermination des prix, on comprend mieux la variabilité et l’incertitude qui définissent les loyers pratiqués par le chapitre de Saint-Pierre. Non seulement on observe des écarts importants entre les différents logements, loués à des tarifs très variables selon l’identité de leur occupant ou leur localisation, mais les loyers varient aussi et surtout fortement dans le temps, puisque pour de très nombreux logements, on observe des augmentations ou diminutions significatives du loyer à des intervalles parfois très rapprochés au cours de la période étudiée. Pour expliquer une telle instabilité des loyers, je voudrais souligner deux points. Tout d’abord, le loyer résulte d’une négociation entre le propriétaire et le locataire : il est donc le fruit d’une interaction sociale et l’expression d’un rapport de forces. « Le prix », écrit Paul Jorion (2016JORION, Paul. Le Prix. Paris : Flammarion, 2016., p. 22) dans son essai intitulé Le Prix, « est un phénomène de bord qui apparaît à la frontière où les acheteurs et les vendeurs se rencontrent. L’‘offre’ et la ‘demande’ ne se rencontrent pas, car elles sont inanimées ».

C’est ainsi que peuvent s’expliquer, à mon avis, les baisses de loyer accordées par le chapitre de Saint-Pierre à certains de ses locataires : elles pourraient apparaître, de prime abord, comme une anomalie, puisque la tendance générale est à l’inflation des prix de l’immobilier, ou être interprétées comme le signe d’une gestion passive ou « irrationnelle ». Bien au contraire, ces réductions de loyer sont en réalité le fruit d’une négociation raisonnée, dans laquelle peuvent intervenir des valeurs telles que la caritas - élément déterminant du « juste prix » (GUERREAU, 2001GUERREAU, Alain. Avant le marché, les marchés : En Europe, XIIIe-XVIIIe siècle (note critique). Annales HSS, v. 56, n. 6, p. 1129-1175, nov./déc. 2001.; PIRON, 2005PIRON, Sylvain. Le devoir de gratitude : Émergence et vogue de la notion d’antidora au XIIIe siècle. In : QUAGLIONI, Diego ; TODESCHINI, Giacomo ; VARANINI, Gian Maria (Éd.). Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione : Linguaggi a confronto (sec. XII-XVI). Rome : École française de Rome, 2005, p. 73-101.) -, mais aussi des arguments pratiques relatifs à l’état du logement ou à la nécessité bien comprise d’avoir un locataire solvable, plutôt qu’un logement vacant et donc improductif. On l’a dit, de nombreux logements restent vacants à Rome et il semble parfois difficile de trouver un locataire, solvable qui plus est. Les propriétaires immobiliers rencontrent les mêmes difficultés à Venise (CROUZET-PAVAN, 2015CROUZET-PAVAN, Élisabeth. Le Moyen Âge de Venise. Paris : Albin Michel, 2015., p. 611) ou à Paris (ROUX, 1989ROUX, Simone. Le coût du logement ordinaire à Paris au XVe siècle. In : COLLOQUE D’UNE VILLE À L’AUTRE : STRUCTURES MATÉRIELLES ET ORGANISATION DE L’ESPACE DANS LES VILLES EUROPÉENNES (XIIIe-XVIe siècle), 1986, Rome. Actes… Rome : École française de Rome, 1989, p. 243-263., p. 249) à la même époque. Par conséquent, le montant du loyer peut aussi être négocié à la baisse et apparaît comme le résultat d’un compromis entre un propriétaire ecclésiastique soucieux de placer un locataire dans chaque logement et des locataires conscients de la conjoncture et qui posent leurs conditions. Tous, cependant, ne sont pas logés à la même enseigne : la règle qui veut que, lorsque la curie est absente, le loyer diminue, ne s’applique pas dans les faits à tous les locataires de Saint-Pierre. Alors que les plus fortunés - les marchands florentins par exemple - réclament et obtiennent systématiquement qu’on défalque de leur loyer les indemnités dues à ce titre, l’immense majorité des locataires pauvres, et en particulier immigrés, reste tenue de payer la totalité de son loyer. Il est fort probable qu’ignorants de leurs droits, ils n’aient pas songé à demander cette réduction de loyer, à moins qu’ils n’en aient pas eu le temps ou le courage.

Second point : les règles qui président à la fixation du montant du loyer pour les logements du chapitre de Saint-Pierre semblent correspondre à ce que les juristes du XIIIe siècle ont pu définir comme le « juste prix » : celui qui est conforme aux prix observés sur le marché, en l’occurrence dans un même quartier, autrement dit celui qui résulte d’une « estimation commune » (MENJOT, 2008MENJOT, Denis. L’économie de marchés au Moyen Âge : Quelques approches de médiévistes sur le marché. In : ROMAN, Yves ; DALAISON, Julie (Éd.). L’économie antique, une économie de marché ? Lyon : Association de Boccard, 2008, p. 235-251.; LENOBLE, 2020LENOBLE, Clément. Iustum pretium, justice sociale, lois du marché et croissance : Histoire de sous-entendus. In : CHANKOWSKI, Véronique ; LENOBLE, Clément ; MAUCOURANT, Jérôme (Éd.). Les infortunes du juste prix : Marchés, justice sociale et bien commun de l’Antiquité à nos jours. Lormont : Le bord de l’eau, 2020, p. 69-101.). Le marché immobilier privé est, à Rome, très peu encadré et la seule règle qui semble valoir est celle-ci, à savoir de respecter une certaine conformité avec l’augmentation ou la diminution des loyers constatée dans les immeubles voisins (VAQUERO PIÑEIRO, 1992VAQUERO PIÑEIRO, Manuel. Il mercato immobiliare. In: CONVEGNO ALLE ORIGINI DELLA NUEVA ROMA: MARTINO V (1417-1431), 1992, Rome. Atti… Rome : Istituto Storico Italiano per il Medioevo, 1992, p. 555-569., p. 566). Les chanoines de Saint-Pierre qui tiennent les registres et définissent les lignes directrices de la gestion de ce patrimoine immobilier sont eux-mêmes issus, pour nombre d’entre eux, des familles de la noblesse citadine romaine. Ce sont précisément ces familles qui, dans la seconde moitié du XVe siècle, diversifient leurs placements et investissent de manière spéculative dans le marché immobilier romain (TROADEC, 2020TROADEC, Cécile. Roma crescit : Une histoire économique et sociale de Rome au XVe siècle. Rome : École française de Rome, 2020.; 2022). L’expertise qu’ils ont acquise dans ces échanges marchands ou dans l’exercice de charges municipales liées à l’urbanisme comme celle de magister stratarum Urbis (VERDI, 1997VERDI, Orietta. Maestri di edifici e di strade a Roma nel secolo XV : Fonti e problemi. Rome : Roma nel Rinascimento, 1997.) leur confère la légitimité pour dire le « juste prix » :

« l’“estimation commune” » devient une quantité variable et relative pesée par les membres de la communauté qui sont jugés par celle-ci comme les plus capables et les plus fiables, en raison de leur position sociale et de leur réputation. (…) L’estimation commune des scolastiques ne correspond donc ni à un contrôle de la communauté au sens large sur les prix ni à la formation des prix dans un marché libre et pur où ne jouent que l’offre, la demande et la concurrence. Elle donne le prix généralement observé sur les marchés, estimé et connu par les marchands les plus actifs et considérés de fait comme les plus compétents. C’est-à-dire que les scolastiques confient le soin aux marchands les plus importants de dire les prix (LENOBLE, 2020LENOBLE, Clément. Iustum pretium, justice sociale, lois du marché et croissance : Histoire de sous-entendus. In : CHANKOWSKI, Véronique ; LENOBLE, Clément ; MAUCOURANT, Jérôme (Éd.). Les infortunes du juste prix : Marchés, justice sociale et bien commun de l’Antiquité à nos jours. Lormont : Le bord de l’eau, 2020, p. 69-101., p. 100).

Une telle conception du iustum pretium contribue à éclairer l’incertitude et la variabilité des loyers tels qu’ils apparaissent dans la documentation, puisque la mesure du juste prix n’est pas, selon les scolastiques, exacte mais « incertaine et presque impossible » : elle « situe les prix dans une ‘latitude appropriée’ aux limites floues et variables » (LENOBLE, 2020LENOBLE, Clément. Iustum pretium, justice sociale, lois du marché et croissance : Histoire de sous-entendus. In : CHANKOWSKI, Véronique ; LENOBLE, Clément ; MAUCOURANT, Jérôme (Éd.). Les infortunes du juste prix : Marchés, justice sociale et bien commun de l’Antiquité à nos jours. Lormont : Le bord de l’eau, 2020, p. 69-101., p. 100).

Pour conclure, ce dossier documentaire met en lumière, pour un même objet économique, des usages concurrents : si la plupart des transactions sont marchandes, les logements de Saint-Pierre sont aussi envisagés comme le support de relations clientélaires, comme une réserve de foncier, comme un legs testamentaire générant un revenu appelé loyer, que le chapitre se contente de prélever de manière passive, ou comme un investissement spéculatif destiné à faire du profit. Logiques économiques et anthropologiques s’entremêlent pour composer des rationalités pratiques plurielles et fluctuantes, s’adaptant aux nécessités et objectifs propres à chaque situation (CROUZET-PAVAN, 2007CROUZET-PAVAN, Élisabeth. Le marché immobilier vénitien au Moyen Âge : entre nécessités économiques et logiques anthropologiques. In : XXXIII SEMANA DE ESTUDIOS MEDIEVALES : MERCADO INMOBILIARIO Y PAISAJES URBANOS EN EL OCCIDENTE EUROPEO (Siglos XI-XV), 2006, Estella. Actas… Pampelune : Gobierno de Navarra ; Institución Principe de Viana, 2007, p. 269-300.). En ce sens, on peut dire que le marché immobilier rejoint, toutes proportions gardées, les conclusions formulées pour un autre grand propriétaire ecclésiastique, le monastère de Casauria, dans La Fortune de Karol (FELLER ; GRAMAIN ; WEBER, 2005FELLER, Laurent ; GRAMAIN, Agnès ; WEBER, Florence. La Fortune de Karol : Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au Haut Moyen Âge. Rome : École française de Rome, 2005.), à propos du marché de la terre.

Remerciements

J’adresse mes remerciements aux organisateurs et participants des séminaires du LARHRA-Triangle « Entreprises, marchés, régulations » (Natacha Coquery, Guillaume Garner et Hervé Joly) et du GrHéco à l’EHESS (Laurent Herment et Laure Quennouëlle-Corre) avec lesquels j’ai eu le plaisir de discuter les résultats présentés ici.

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  • VERDI, Orietta. Maestri di edifici e di strade a Roma nel secolo XV : Fonti e problemi. Rome : Roma nel Rinascimento, 1997.
  • 1
    Trad. libre de l’auteure : « luoghi di assistenza, di religiosità e di solidarietà, ma anche luoghi economici ».
  • 2
    Sur la gestion économique des patrimoines ecclésiastiques, voir entre autres : Gazzini ; Olivieri (2016) ; Gazzini (2013) ; Palermo (2016) ; Piccinni (2012) ; Riche (2005).
  • 3
    Étienne Hubert (1993, p. 225) insiste en conclusion de son étude comparative des patrimoines de quatre institutions ecclésiastiques romaines pour le XIVesiècle sur la pluralité des modes de gestion mis en œuvre : « En aucun cas, la propriété ecclésiastique ne saurait être considérée comme un ensemble homogène régi par une règle unique. Le comportement à l’égard de l’immobilier urbain diffère, en effet, selon les établissements et, peut-être davantage encore, en fonction des administrateurs eux-mêmes ».
  • 4
    Sur les institutions ecclésiastiques romaines à la fin du Moyen Âge, envisagées sous l’angle économique, voir notamment : Dionisi (2003) ; Gauvain (2004 ; 2011) ; Hubert (1993) ; Palermo (2010) ; Peri (2015).
  • 5
    Le nombre de logements composant ce patrimoine immobilier, pour la période étudiée (1454-1484), est compris entre 319 et 411. Le travail d’identification que j’ai mené à partir des registres des Censuali me conduit à recenser, au maximum, 411 logements différents, mais il reste difficile de donner, pour chaque année, le chiffre exact du nombre de logements dont le chapitre est propriétaire, car aucun registre n’en fournit jamais une liste exhaustive. J’ai écarté de cette étude les quelques boutiques-ateliers (apothecae), boucheries, fours à chaux, moulins et jardins qui apparaissent parmi cette liste de logements.
  • 6
    Respectivement : BIBLIOTHÈQUE APOSTOLIQUE VATICANE (BAV), Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 61r, pour les deux premiers ; f. 42r, pour la troisième (« maison au lion ou au cochon, dont les trois quarts appartiennent à notre basilique [Saint-Pierre] et le dernier quart à l’église S. Tommaso degli Spagnoli » ; trad. libre de l’auteure : « domus cum signo leonis vel porci pro tribus partibus est nostre basilice et pro alia quarta parte est ecclesie sancti thome de ispanis »).
  • 7
    Pour Alexis Gauvain (2004), le nombre de logements reste constant entre 1350 et la période qu’il étudie, 1472-1503, mais il ne tient pas compte du censuale de 1454.
  • 8
    Le premier inventaire des logements de Saint-Pierre conservé a été compilé en 1350 (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Inventari, 1350. 1) et les registres de comptes sont conservés à partir de 1384.
  • 9
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450-1497. 6 à 14.
  • 10
    Ce critère peut s’avérer trompeur, étant donné qu’un même logement peut être localisé dans des paroisses mitoyennes mais différentes selon le rédacteur du registre. La carte des paroisses réalisée par Susanna Passigli (1993) s’avère ainsi très précieuse pour élucider certaines identifications.
  • 11
    Les censuali mentionnent très souvent le nom du ou des locataires précédents, ce qui permet de confirmer l’identification du logement dans de nombreux cas.
  • 12
    Données extraites de Hubert (1993, p. 187).
  • 13
    Certains logements sont simplement localisés «in burgo», sans précision sur la paroisse dans laquelle ils se situent.
  • 14
    Une telle gestion routinière a pu être mise en évidence pour d’autres institutions charitables de Rome, comme S. Silvestro in Capite (HUBERT, 1993, p. 213, p. 226) ou S. Maria dell’Anima, caractérisée comme organisation « no profit » par Luciano Palermo (2010).
  • 15
    C’est l’inverse pour d’autres institutions comme S. Maria dell’Anima, dont le patrimoine immobilier représente entre 50 et 80% des revenus dans la seconde moitié du XVesiècle (PALERMO, 2010).
  • 16
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 52r.
  • 17
    Sur l’évolution de Borgo à la fin du Moyen Âge : Palermo (2008) ; Vaquero Piñeiro (2008).
  • 18
    Trad. libre de l’auteure : « maison au griffon, maison à la tête de Sarrasin, maison à la balance, maison aux gants, maison à l’ours située derrière cette dernière, maison au coq : elles sont toutes en ruine ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 41r.
  • 19
    Il s’agit bien de loyers ici, et non de cens récognitifs dont les montants seraient inférieurs (de l’ordre de quelques sous).
  • 20
    Plusieurs logements sont occupés par des évêques, dont Bartolomeo Maraschi, évêque de Città di Castello (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475-1478. 11, f. 10r ; f. 27v), Giovanni Andrea Bocciacci, évêque de Modène (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 61v-62r), Andrea della Valle, chanoine et évêque de Crotone (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1497. 14, f. 213r), les évêques de Salerne (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1484. 12, f. 19v), d’Orvieto (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 79v), d’Aléria (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1484. 12, f. 21r ; 1485. 13, f. 47v-49r ; 1491. 14, f. 46v), de Tarazona (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1481. 12, f. 13v). Certains font réparer le logement à leurs frais (l’évêque de Volterra : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1485. 13, f. 49v) ou reconstruire (l’évêque d’Aléria : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1481. 12, f. 17r).
  • 21
    Deux maisons de Borgo sont louées ad vitam suam à la « reine de Chypre », Charlotte de Lusignan (m. 1487) : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 19r ; 1481-1484. 12, f. 14v ; f. 17r ; f. 21v ; f. 46r ; 1485. 13, f. 47r ; f. 79v.
  • 22
    Le logement occupé par le préfet de Rome (praefectus Urbis), Simone Bonadies, à partir de 1475, se situe dans le quartier Borgo (paroisse San Gregorio de Cortina) : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali,1475-1478. 11, f. 8v ; f. 25v ; 1481-1484. 12, f. 11v ; f. 17v ; 1485. 13, f. 42r. Le loyer (3 ou 4 ducats) ne semble plus être versé depuis que le logement a été attribué au préfet (BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 8v : et nihil solvet [« et il ne paiera rien »]; 1481. 12, f. 11v : et nichil habetur).
  • 23
    Plusieurs logements sont occupés par des hommes d’armes : l’un d’entre eux, par exemple, fut occupé par les troupes du roi de Naples Ladislas, puis par d’autres hommes d’armes, à titre gratuit : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1478. 11, f. 10v ; f. 27v (nunc presenti anno fuit occupata a stipendiariis : nihil [« depuis cette année elle est occupée par des soldats : rien »]).
  • 24
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 91v : Attende quod iste non solvit de annis 1443, 1444, 1446, 1449 et 1451; 1461. 8, f. 115r ; 1462. 9, f. 45v.
  • 25
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 45v : Attende quod de anno 1447 et 1448 et 1449 nihil solvit et de annis quos solvit restat multum solvere.
  • 26
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 42v.
  • 27
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 46v.
  • 28
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 54v.
  • 29
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 15v.
  • 30
    Par exemple les colophons dans BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1461. 8, f. 122r ; 1462. 9, f. 52r : Attende quia multe de dictis possesionibus cedutis a jure suo fiat diligentia ad reparandum recuperandum more solito. Finis.
  • 31
    Par exemple : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 51v ; f. 52v.
  • 32
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 49r.
  • 33
    Une domus ad usum pauperum attestée à partir de 1475 près de l’actuelle église S. Caterina della Rota : BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 18r.
  • 34
    On observe la même pratique de la part de S. Maria dell’Anima (PALERMO, 2010) ou de S. Giacomo degli Spagnoli (VAQUERO PIÑEIRO, 1989 ; 1999) au XVesiècle.
  • 35
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 42v.
  • 36
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 41r.
  • 37
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1436. 4, f. 244r (4 ducats) ; 1454. 7, f. 72rv (22 puis 15 ducats) ; 1461. 8, f. 99v ; 1462. 9, f. 31v (16 ducats).
  • 38
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 43r, par exemple.
  • 39
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1465. 10, f. 9r.
  • 40
    BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1475. 11, f. 11r ; 1481. 12, f. 18r.
  • 41
    Il faut préciser que ces cartes ne font pas figurer les logements situés «in burgo» sans autre précision sur la paroisse de localisation et qu’il ne faut donc pas sous-estimer l’importance des logements possédés par le chapitre à Borgo encore au XVesiècle, dont une grande partie seront détruits dans le cadre du chantier de reconstruction de la basilique et du réaménagement général du quartier.
  • 42
    Le parc immobilier reste toutefois disséminé dans plusieurs quartiers de Rome, tandis que celui de S. Maria dell’Anima tend à se concentrer dans le quartier Parione (PALERMO, 2010).
  • 43
    Le fond de carte utilisé est emprunté à Passigli (1993).
  • 44
    Sur la différenciation de la rente immobilière selon les quartiers de Rome : Hubert (2008) ; Palermo (1995) ; Strangio ; Vaquero Piñeiro (2004) ; Troadec (2020, p. 356-370).
  • 45
    Trad. libre de l’auteure : « Attende et videatur bene calculus quod restat multum solvere. Deinde locata est magistro Petro teutonico de anno 1449 ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1454. 7, f. 45r.
  • 46
    Trad. libre de l’auteure : « Attende quia uxor Sanctificetur est debitrix in magna quantitate pro pensione dicte domus petatur. Nunc vero dicta domus locata est magistro Vincentio ». BAV, Vatican. Chapitre de Saint-Pierre, Censuali, 1450. 6, f. 45v.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    09 Oct 2023
  • Date of issue
    May-Aug 2023

History

  • Received
    04 Dec 2022
  • Reviewed
    23 Mar 2023
  • Accepted
    23 Mar 2023
Pós-Graduação em História, Faculdade de Filosofia e Ciências Humanas, Universidade Federal de Minas Gerais Av. Antônio Carlos, 6627 , Pampulha, Cidade Universitária, Caixa Postal 253 - CEP 31270-901, Tel./Fax: (55 31) 3409-5045, Belo Horizonte - MG, Brasil - Belo Horizonte - MG - Brazil
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