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LE GRAND BASCULEMENT DE LA VIOLENCE

VIOLENCE ON THE MOVE

VIOLÊNCIA EM MOVIMENTO

Résumé

L'article est basé sur des cartes originales produites à partir des données de l'Atlas de la violence publié par l'Institut de recherche économique appliquée (Ipea) et le Forum brésilien de la sécurité publique, qui montrent d'énormes différences spatiales dans la distribution des homicides. Elles associent le nombre d'homicides enregistrés dans chacune des communes du pays (représenté par la taille des cercles proportionnels) et la proportion de ces homicides par rapport à la population municipale (représentée par un dégradé de couleurs), tandis que le fond de carte est coloré en fonction de l'indice de développement municipal calculé par Firjan. La carte dessinée pour l'année 2021 confirme une nette évolution par rapport aux situations précédentes (1989, 1999, 2009 et 201), un déplacement de la criminalité vers les régions Nordeste et Nord, tandis que le nombre et la proportion d'homicides par rapport à la population diminuent rapidement dans les principales capitales du Sudeste.

Mots-clés:
Violence; Mouvement; Crime

Abstract

The article is based on original maps produced using data from the Atlas of Violence published by the Institute for Applied Economic Research (Ipea) and the Brazilian Public Security Forum, showing huge spatial differences in the distribution of homicides. They associate the number of homicides recorded in each of the country's municipalities (represented by the size of the proportional circles) and the proportion of these homicides in relation to the municipal population (represented by a color gradation), while the background map is colored according to the municipal development index calculated by Firjan. The map drawn for the year 2021 confirms a clear evolution in relation to previous situations (1989, 1999, 2009 and 201), a shift in crime towards the Northeast and North regions, while the number and proportion of homicides in the population fell rapidly in the main capitals of the Southeast.

Keywords:
Violence; Movement; Crime

Resumo

O artigo se baseia em mapas originais produzidos usando dados do Atlas da Violência publicado pelo Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (Ipea) e o Fórum Brasileiro de Segurança Pública, que mostram enormes espaciais na distribuição dos homicídios. Eles associam o número de homicídios registrados em cada um dos municípios do país (representado pelo tamanho dos círculos proporcionais) e a proporção desses homicídios em relação à população municipal (representada por uma gradação de cor), enquanto o mapa de fundo é colorido de acordo com o índice de desenvolvimento municipal calculado pela Firjan. O mapa desenhado para o ano 2021 confirma uma nítida evolução em relação a situações anteriores (1989, 1999, 2009 e 201), um deslocamento da criminalidade para as regiões Nordeste e Norte, enquanto o número e a proporção de homicídios na população caíam rapidamente nas principais capitais do Sudeste.

Palavras-chave:
Violência; Movimento; Criminalidade

INTRODUCTION

L’Institut de recherche économique appliquée (Ipea), en partenariat avec le Forum brésilien de la sécurité publique, publie annuellement un Atlas da violência (Atlas de la violence) dont l’édition 2023, lancée le 5 décembre 2023, est accessible et téléchargeable en ligne à l’adresse https://www.ipea.gov.br/atlasviolencia/publicacoes . Cette nouvelle édition, comme les précédentes, analyse la violence dans tout le pays en se basant principalement sur les données du Système d'information sur la mortalité (SIM) et du Système d'information sur les maladies à déclaration obligatoire (Sinan), tous deux du ministère de la Santé.

Les données les plus récentes datent de 2021 : selon ces registres officiels du ministère de la santé, 47 847 personnes ont été tuées au Brésil en 2021, une réduction de 4,8 % du taux d'homicide par rapport à l'année précédente, tandis que par rapport à 2011, le taux d'homicide a baissé de 18,3 %.

Les auteurs ont analysé les micro-données pour les quelques 616 095 homicides qui ont eu lieu au Brésil entre 2011 et 2021. La publication détaille les différentes catégories de victimes de la violence : les jeunes, les femmes, les Noirs, les personnes handicapées, les personnes âgées, les autochtones et les LGBTQI+. Le résultat de ces analyses est que les victimes d'homicide sont principalement des hommes (92 %), en particulier des jeunes hommes, chez qui la violence est désormais la principale cause de décès : en 2021, 49% des jeunes âgés de 15 à 29 ans décédés dans le pays, toutes causes confondues, ont été victimes de violences mortelles, et sur les 47 847 homicides commis, 50,6 % ont touché des personnes de ce groupe d'âge. Au total, si l'on considère la série historique des onze dernières années (2011-2021), il y a eu au Brésil 326 532 jeunes victimes de violence mortelle. Les Noirs1 sont les principales victimes d'homicide, 76 % chez les hommes et 66 % chez les femmes, et le plus grand nombre de victimes se trouve dans la population ayant un faible niveau d'éducation (jusqu'à sept ans de scolarité), 73 % et 64 % des victimes, pour les hommes et les femmes respectivement.

Quelques réserves doivent être faites - les auteurs le rappellent - en ce qui concerne les données sur la mortalité violente issues du système d'information sur la mortalité (SIM/MS), Ils avaient déjà mis en garde, en 2021, contre la perte de qualité de cette source d'information, en raison du nombre élevé de « morts violentes de cause indéterminée » (MVCI), qui a considérablement augmenté depuis 2019 : ce sont des morts violentes dont les causes pourraient être des homicides, des accidents ou des suicides, mais qui n'ont pas été identifiées par le système.

Ces réserves ne remettent pas en cause les analyses faites par les auteurs de l’atlas, qui montrent donc d’énormes disparités sociales dans les manifestations de la violence, qui se doublent de très fortes disparités spatiales. L’atlas ne contient que des cartes par État, qui rendent mal compte des contrastes à échelle plus fine, mais l’ouvrage inclut des statistiques par commune à partir desquelles ont été faites les cartes suivantes

CARTOGRAPHIES DE LA VIOLENCE

La figure 1 associe le nombre des homicides constatés en 2021 dans chaque commune du pays (représenté par la taille des cercles proportionnels) et le taux de ces mêmes homicides par rapport à la population communale (représenté par une gradation de couleur), tandis que le fond de carte est coloré en fonction de l’indice de développement municipal calculé par annuellement par la Firjan2. La carte fait apparaître un très fort contraste entre le nombre et les taux très élevés d’homicide dans le Nordeste et en Amazonie alors que les mêmes valeurs sont beaucoup plus basses dans le Sudeste et le sud, à quelques exceptions près, notamment dans l’État de Rio de Janeiro.

Figure 1
Répartition des homicides en 2021.

Cette configuration peut apparaître à première vue banale, il n’est pas très étonnant que la criminalité soit plus élevée dans les régions les plus pauvres du pays ou dans celle où se développent des fronts pionniers de grande ampleur, avec leur cortège de conflits fonciers, notamment aux confins du Maranhão ont et du Pará oriental. Mais en réalité cette opposition résulte d’un complet bouleversement par rapport aux situations antérieures, comme le montrent les cartes suivantes, élaborées à partir des données disponibles dans l’atlas. Parmi les années disponibles on a choisi celles des décennies suivant les plus anciennes, de 1989 : 1999, 2009 et 2019.

On observe clairement sur les figures 2 à 5 qu’à la fin du XXe siècle (carte des situations en 1989 et en 1999) les homicides étaient principalement concentrés dans les grandes villes du pays, notamment à Rio de Janeiro et São Paulo, tout particulièrement à São Paulo en 1999 où cette ville a compté plus de 6500 homicides, plus du double de ce qui se produisaient alors de à Rio de Janeiro.

Figure 2
Répartition des homicides en 1989.

Figure 3
Répartition des homicides en 1999.

Figure 4
Répartition des homicides en 2009.

Figure 5
Répartition des homicides en 2019.

Dans les décennies suivantes, comme en attestent les cartes montrant la situation en 2009 et 2019, il s’est produit un basculement complet de la criminalité vers les régions Nordeste et Nord, tandis que le nombre et la proportion des homicides dans la population diminue rapidement dans les grandes capitales du Sudeste. Cette évolution est plus complète à São Paulo qu’à Rio de Janeiro, au point que la ville passe progressivement dans les catégories ou le taux domicile pour 100 000 habitants est plus faible, au point d’être quasiment invisible sur la carte de 2019 et sur celle de 2021, tant le cercle qui lui correspond est petit, clair et presque dissimulé par celui des communes voisines, où la situation est moins favorable.

La figure 6, qui récapitulent les précédentes, montre bien que le nombre des homicides, d’abord concentrés dans le Sudeste, notamment Rio de Janeiro et São Paulo, y diminue progressivement en nombre et en taux pour 100 000 habitants, tandis qu’elle s’accroît fortement dans les autres régions comme l’Amazonie et le Nordeste.

Figure 6
Évolution du nombre et du taux des homicides entre 1989 et 2019.

Le tableau 1, qui recense les 10 pires taux d’homicides pour 100 000 habitants en 1999 et 2021, confirme cette évolution : alors qu’en 1999 cinq d’entre eux se situaient dans les régions Sud et Sudeste, trois dans le Centre-Ouest est seulement un seul dans le Nordeste et en Amazonie, en 2021 un seul se situe dans le Sudeste et le Nord amazonien, deux dans le Centre-Ouest contre six dans le Nordeste.

Tableau 1
Les 10 pires taux d’homicide pour 100000 habitants en 1999 et 2021.

Ce déplacement se voit aussi très bien sur la figure 7 qui retrace l’évolution du nombre d’homicides dans les principales villes brésiliennes entre 1989 et 2021. Dans les villes du Sud, du Sudeste et du centre Ouest (à l’exception de Goiânia et Brasilia) ce sont les secteurs les plus clairs (les plus anciens) qui prédominent, alors que dans le Nordeste et en Amazonie ce sont les secteurs les plus sombres (les plus récents).

Figure 7
Homicides dans les principales villes 1987-2017.

Figure 8
Taux d’homicides à l’échelle mondiale. Source : Taux d'homicide en 2022, données par pays selon l'UNODC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) https://dataunodc.un.org/dp-intentional-homicide-victims, retravaillé comme « Liste des pays par taux d'homicide volontaire », https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_d%27homicide_volontair.

Figure 9
Le thermomètre de la violence. Rodrigues, Artur, et al., 2017Rodrigues, Artur, Hernandes, Raphael, Mariani e Bergamo, Marlene, “Mapa da morte em SP vai da Suécia até o México”, Folha de S. Paulo 12/10/2017, https://temas.folha.uol.com.br/mapa-da-morte/introducao/mapa-da-morte-em-sp-vai-da-suecia-ate-o-mexico-locais-dos-crimes-se-repetem.shtml
https://temas.folha.uol.com.br/mapa-da-m...
, https://temas.folha.uol.com.br/mapa-da-morte/introducao/mapa-da-morte-em-sp-vai-da-suecia-ate-o-mexico-locais-dos-crimes-se-repetem.shtml.

Le tableau 2 précise ces évolutions contrastées. Les chiffres en rouge indiquent que la le nombre et le taux des homicides a diminué, et que la commune a reculé d’un certain nombre de rangs dans le classement national, alors que les chiffres noirs indiquent au contraire une progression, particulièrement forte pour ceux qui sont soulignés en caractères gras.

Tableau 2
Évolution des homicides dans les principales villes du pays entre 1999 et 2021

Parmi les premiers figurent São Paulo et Rio de Janeiro, où le nombre d’homicides a diminué de plusieurs milliers, ce qui les a faits reculer d’autant de places dans le classement. C’est aussi le cas de Brasília, de Belo Horizonte (et dans une moindre mesure de Curitiba et de Porto Alegre, où la situation initiale était moins grave). En revanche la péjoration est sensible pour Fortaleza, Salvador, Manaus et São Luís do Maranhão, où le nombre et le taux d’homicides ont fortement augmenté. Ces villes n’ont pourtant pas « monté » dans le classement national par nombre d’homicides, en revanche elles ont tristement « progressé » dans celui des taux d’homicides pour 100 000 habitants, de quelques places pour São Luís do Maranhão, de quelques centaines pour Fortaleza et Manaus et de près de 2 000 pour Salvador.

Diverses hypothèses peuvent expliquer ce transfert de la violence des grandes villes du Sudeste vers le Nordeste et l’Amazonie. L’une d’entre elles - qui vaut au moins pour São Paulo - est l’efficacité de la répression qui a été menée à l’échelle de cet État. L’autre - plus inquiétante - est la quasi-institutionnalisation des relations entre les grandes organisations criminelles comme le PCC (Primeiro Comando da Capital), qui a calmé la guerre des gangs, accompagné de leur extension vers le nord du pays au contraire cette guerre fait rage. À défaut de pouvoir trancher pour le moment une autre façon de mettre en perspective et de situer le cas du Brésil à l’échelle mondiale.

SITUATION DU BRÉSIL DANS LES HOMICIDES MONDIAUX

Dans les données disponibles à l’échelle mondiale (avec des dates légèrement différentes) le Brésil vient en seconde position, dépassé seulement par l’Inde, 6,8 fois plus peuplé que lui, et donc avec un taux d’homicides par 100 000 habitants bien plus faible, 3,2 contre 19,4. En faisant le même calcul pour tous les pays du monde la situation du Brésil est en effet préoccupante. Il ne vient certes qu’en vingtième rang, mais derrière des pays beaucoup moins peuplés que lui, principalement des petits pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, mais aussi d’Amérique latine (Mexique, Colombie et Venezuela) ou d’Afrique australe (Afrique du Sud, Lesotho et Eswatini).

Une autre façon de mettre en perspective la violence au Brésil, de surcroît en prenant en compte sa diversité à une échelle très fine, est un graphique paru dans la Folha de S. Paulo, qui compare la « température » (en fait le taux d’homicides par 100 000 habitants) des districts de São Paulo à celle de pays étrangers, de la Suède à l’Afrique du Sud.

São Paulo a donc des quartiers où le niveau de violence est proche de ceux de l’Europe, comme le Jardim Paulista, un quartier aisé de l’ouest qui a un taux de mortalité violente de 1,1 pour 100 000 habitants, semblable à celui de la Suède. Si l’on s’en tient aux crimes entraînant des décès, 33 des 96 districts de la ville ont des taux inférieurs à ceux des États-Unis (4,8). Mais Jaçanã (zone nord), avec 23 décès par 100 000 habitants, a un taux plus haut que celui du Mexique, en proie à une véritable guerre entre les trafiquants de drogue

Cette réalité tragique ne paraît pourtant pas être une préoccupation majeure pour les pouvoirs publics, qui semblent la considérer comme une sorte de fatalité. Reste à espérer qu’une prise de conscience se produira et mènera l’ensemble de la société à prendre les mesures nécessaires pour réduire ce fléau.

NOTES

  • 1
    Il s'agit de l'usage des regroupeurs noirs (noirs) et bruns (métis), respectivement 10,2% et45,3% de la population, selon les résultats du recensement de 2022.
  • 2
    L'IFDM - Indice de développement municipal de FIRJAN - est une étude du système FIRJAN(Federação das Indústrias do Estado do Rio de Janeiro) qui suit chaque année le développement socio-économique de plus de 5 000 communes brésiliennes dans trois domaines : l'emploi et le revenu, l'éducation et la santé. Créé en 2008, il repose exclusivement sur les statistiques publiées officiellement mises à disposition par les ministères du travail, de l'éducation et de la santé. Le meilleur indice disponible pour l'anniversaire 2018, calculé sur la base des données de 2016, est disponible à l'adresse https://www.firjan.com.br/ifdm/consulta-ao-indice/
    Une version en portugais et légèrement différente de ce texte a été publibliée sous titre “O grande deslocamento da violência” dans la revue Confins nº62 (https://journals.openedition.org/confins/)

BIBLIOGRAPHIE

  • Cerqueira, Daniel e Bueno, Samira, coordenadores. Atlas da violência, je Brasília: Ipea; FBSP, 2023. 115 p.
  • Dory, Daniel et Théry, Hervé, « Le terrorisme au Brésil : réalités, évolutions et incertitudes », Sécurité globale 2021/2 (N° 26), pp.17-35, https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2021-2-page-17.htm
    » https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2021-2-page-17.htm
  • Rodrigues, Artur, Hernandes, Raphael, Mariani e Bergamo, Marlene, “Mapa da morte em SP vai da Suécia até o México”, Folha de S. Paulo 12/10/2017, https://temas.folha.uol.com.br/mapa-da-morte/introducao/mapa-da-morte-em-sp-vai-da-suecia-ate-o-mexico-locais-dos-crimes-se-repetem.shtml
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  • Théry, Hervé, « Géographie de la violence », in Brésil, corruption, trafic, violence, criminalité, vers la fin du cauchemar, N. Dolo et B. Racouchot eds, Eska Editions, 2019, pp. 55-69, ISBN 978282240655
  • Théry, Hervé, « Image de la violence au Brésil », Carnet de recherche Braises, 2017, https://braises.hypotheses.org/1240
    » https://braises.hypotheses.org/1240
  • Théry, Hervé, « La carte du crime à São Paulo, entre Suède et Afrique du Sud », Braises, 2017, https://braises.hypotheses.org/1347
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  • Théry, Hervé, « Géographie de la violence au Brésil », Spécial Brésil demain, Sécurité globale numéro 16 nouvelle série, Eska, décembre 2018, ISSN 1959-6782, pp. 25-37

Edited by

Éditeurs Responsables
Alexandra Maria Oliveira
Alexandre Queiroz Pereira
Jader de Oliveira Santos
Lidriana de Souza Pinheiro

Publication Dates

  • Publication in this collection
    13 May 2024
  • Date of issue
    2024

History

  • Received
    10 Jan 2023
  • Accepted
    15 Jan 2023
  • Published
    10 Feb 2024
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