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Les "opinions des mortels" de Parménide et un éventuel pythagorisme éléatique

"The "opinions of mortals" of Parmenides and a possible Eleatic Pythagoreanism

Résumé:

La Déesse de Parménide annonce toujours que les δόξαι sont un produit humain. Mais il y a un point qui n'a pas été en général remarqué dans les études consacrées à l'étude des δόξαι: elles décrivent une activité humaine qui consiste a expliquer la réalité par la présence de principes opposés, et qui est toujours en rapport avec la "nomination" (voir fr. 8.51, fr. 8.38-41, fr 9, fr. 19.3). Il y avait à l'époque de Parménide une école qui correspondait à ce portrait robot, ou s'agit-il d'un collage de Parménide? Quoi qu'il en soit, il est attesté la présence d'une branche du Pythagorisme qui se caractérisait, précisément, pour "placer" des noms sur les choses.

Mots-clés:
Parménide; Pythagoricien; Élée; nomination.

Abstract:

The Goddess of Parmenides always announces that the δόξαι are a human product. But there is one point that has not generally been noticed in the studies devoted to the study of the δόξαι: they describe a human activity that consists in explaining reality by the presence of opposite principles, and that is always related to "nomination" (see fr. 8.51, fr. 8.38-41, fr 9, fr. 19.3). Was there a school in Parmenides' time which corresponded to this sketch, or is it a collage of Parmenides'? In any case, it is attested the presence of a branch of Pythagorism which was characterized, precisely, by "placing" names on things.

Keywords:
Parmenides; Pythagorism; Elea; opinions; nomination

Dans la citation qui, selon Sextus Empiricus, sa source (Adv. Math. VII.111), ouvrait le Poème de Parménide, la Déesse, porte parole de l'auteur, offrait à celui qui venait de faire un mouvementé voyage pour la rencontrer, le point de départ de l'enseignement qui ferait de lui un "homme qui sait" (fr. 1.3 DK). Il devrait être au courant des deux manières possibles d'expliquer la réalité (la φύσις, πάντα τὰ ὄντα): aussi bien du noyau ("le cœur") de la vérité (ἀλήθεια) bien arrondie1 1 Nous préférons la leçon εὐκυκλέος, "bien arrondie" (Simplicius, De Caelo, 557.26) car elle est cohérente avec la méthode circulaire que Parménide décrit au fr. 5 DK: "Il est commun pour moi où je commence, car j'y reviendrai à nouveau". D'autres interprètes conservent ευπειθέος, selon Sextus. que des opinions (δόξαι) des mortels. Dans cette sorte de "programme d'études", la Déesse, véritable "maîtresse de philosophie", essaie, pour l'instant, de conserver une sorte d'équilibre entre les deux possibilités (le choix "ἠμέν...ἠδέ" ne suppose pas, a priori, une certaine hiérarchie), mais suggère cependant qu'elles ne sont pas au même niveau: la vérité possède la cohérence propre qui résulte de suivre un chemin qui persuade (cf. fr. 2.4 DK), tandis que, inversement, on ne peut pas faire confiance aux opinions; elles seront considérées παναπευθέα ("vides, "inconnaissables") au fr. 2.6 DK, et, déjà dans sa présentation, au fr. 1.30 DK, la Déesse avait dit qu'il n'y a pas une véritable πίστις chez elles, et, par conséquence, qu'il faut s'en méfier. Et, sans aucun doute, une différence plus subtile sépare la vérité des opinions: celles-ci sont le produit des humains ("mortels", fr. 1.30 DK, 6.4 DK, 8.51 DK, 8.61 DK; "hommes", fr. 19.3 DK), tandis que la vérité sera exposé dans un πιστὸν λόγον (fr. 8.50 DK) par la Déesse, dont le chemin est "éloigné de celui des hommes" (ἀπ' ἀνθρώπων ἐκτὸς, fr. 1. 27 DK).

La Déesse a déjà choisi dans quel domaine elle va développer son discours (que nous connaissons comme "la philosophie de Parménide"), mais elle se met à la place de son auditeur, qui devra aussi apprendre une possibilité qu'elle a déjà dévaluée; en effet, dans les deux derniers vers du fr. 1 DK2 2 Ces deux derniers vers (1.31-32 DK) manquent dans la citation de Sextus. La seule source est Simplicius. elle justifie la nécessité d'être au courant, aussi, des opinions des mortels, malgré leur absence de conviction: "Mais, cependant (ἀλλ`ἔμπης), tu dois apprendre aussi cela". La particule ἔμπης a une signification très précise: dans une phrase subordonnée, elle introduit la justification d'un point de la phase principale3 3 Cf. Biraud, 2007, passim. Au Livre 2.297 de l'Iliade, Ulysse envisage le retrait des Achéens, mais ajoute que, "cependant (ἔμπης), il serait honteux de rentrer à la maison les mains vides". ; dans le cas des opinions, la nécessité d'en être au courant, malgré son absence de vérité. Comme le philosophe doit atteindre la vérité (notion qui, à cette époque, suppose la découverte de quelque chose de caché ou d'oublié), la Déesse, pour encourager la recherche, propose, comme hypothèse, ce qui pourrait se passer si, au lieu de la vérité, tout était expliqué par les opinions: "Comment aurait été nécessaire4 4 A.P.D. Mourelatos traduit: "it was rightfully necessary, it was fated, it was proper, it was appropriate" (2008², 207). (χρῆν, imparfait irrealis5 5 Voir Kranz, 1917, 1170: "ta dokoûnta…Bestand haben müssten". Lorsque Hérodote commente l'hypothèse "irréelle" selon laquelle les vents étésiens auraient pu être la cause des crus du Nil, il dit que cette cause "aurait pu être" (χρῆν) aussi valable pour d'autres fleuves (II.20.8). ) que les croyances (τὰ δοκοῦντα), existent authentiquement (δοκίμως), en embrassant tout incessamment" (fr. 1.31b-32 DK). Vers la fin du fr. 9 DK, lorsqu'elle décrira les aspects d'un univers "doxique", la Déesse reviendra sur la question, mais au vers 31 et 32 du fr. 1 DK elle se limite à dire que, si la vérité n'existait pas, les opinions s'éparpilleraient toujours partout, car, mis à part les "principes" qu'elles proposent (lumière et obscurité), "il n'y a rien" (fr. 9.4 DK). Les vers 1.31-32 DK sont une prolongation du vers 1.30 DK. Tὰ δοκοῦντα (1.31), qui signifie "ce nous paraissent être les choses", "des croyances", n'introduit pas un troisième sujet à apprendre6 6 Cf., contre, le remarquable travail de Mouraviev, 2018, 61-86. ; le participe δοκοῦντα est synonyme de δóξαι (en plus, il aurait été déplacé de la part de Parménide de changer de sujet et d'introduire, après ἄλλ' ἔμπης, un sujet nouveau).

Nous avons privilégié le sens du verbe χρῆν car il est utilisé par Parménide, tel quel, ou avec des formes différentes (χρέος, χρεών, χρεόν, χρῆ), dans des passages essentiels du Poème. Ici, au vers 31 du fr. 1 DK, même s'il s'agit d'une hypothèse éventuelle, l'existence réelle des δόξαι aurait pu attirer la curiosité de l'auditeur de la Déesse. C'est pour éviter cette tentation, que la présentation formelle des opinions, vers la fin du fr. 8, sera précédée par le discours "digne de foi" (fr. 8.51), dans lequel la Déesse avait développé les σήματα du caractère nécessaire et absolu de l'activité d'être, qui est le "noyau" de la vérité. La présentation formelle des δόξαι, qui commence à 8.51 DK et qui s'appuie sur deux principes contradictoires, est opposée à l'alternative "être, ou ne pas être", déjà présentée (fr. 8.16 DK).

Dans ce travail nous essayerons de nous rapprocher des "opinions des mortels" (δόξαι βροτῶν) en fonction d'une lecture littérale du texte des fragments de Parménide, lecture que nous avons isolée, d'une manière chirurgicale, des interprètes et des commentaires anciens. D'une manière que pourrait paraître arbitraire, nous prendrons chaque fragment comme si nous l'avions reçu à l'intérieur des guillemets, c'est-à-dire, sans tenir compte des mots précédents et suivants la citation, car 90% de l'incompréhension d'un texte authentique trouve son origine, sans doute, dans ce qu'un interprète (dans le cas de Parménide, déjà depuis Platon!) a prétendu y trouver, commentaires que nous considérons aujourd'hui, à tort, comme des éclaircissements (!).

Parménide lui-même affirme dans le texte programmatique auquel nous avons fait allusion qu' "il est commun pour moi où je commence, car j'y reviendrai à nouveau" (fr. 5 DK). Cette déclaration supprime déjà a priori les essais malheureux de vouloir diviser le Poème en "parties"7 7 Arrangement arbitraire proposé par G. G. Fülleborn (1795, passim), et accepté aujourd'hui de manière unanime. L'arrangement est arbitraire parce qu'il suppose une "platonisation" de Parménide que Fülleborn a trouvée chez Simplicius, source qui, plus d'un millénaire après la mort du philosophe, et malgré sa citation littérale de grand nombre de passages du Poème, interprète sa philosophie selon des schémas platoniciens et surtout aristotéliciens. . En conséquence, comme il n'y a pas une "partie" qui s'occuperait de "La Doxa", si nous voulons savoir ce que Parménide lui-même considérait comme des δόξαι, nous devons partir du mot δόξα tel que l'on trouve dans les fragments pour constituer après un dossier en fonction de ce que les citations authentiques du Poème nous disent.

Le "mot" δόξαι se trouve, au pluriel, en 1.30 DK et en 8.51 DK, et au singulier en 19.1 DK. En 1.30 DK et 8.51 DK il est accompagné soit par le génitif "βροτῶν", soit pas l'adjectif "βροτείας", et en 19.1 DK sont les "ἄνθρωποι" qui ont placé "les choses" (τάδε) "κατὰ δόξαν". Une première étape de notre dossier sur les δόξαι commence par l'affirmation de la Déesse selon laquelle elles son toujours un produit humain, ce qui sera confirmé dans un autre passage (que nous analyserons) du fr. 6 DK quand elle décrira le chemin "πλάττονται"8 8 Sur notre préférence pour πλάττονται au lieu de πλάζονται, cf. Cordero, 1997², 147. par les "βροτοί", qui ne savent rien (6.4-5 DK).

Mais il y a un point qui n'a pas été en général remarqué dans les études consacrées à l'étude des δόξαι: elles décrivent toujours une activité qui est en rapport avec la "nomination". En 8.51 DK les "δόξας βροτείας" ont mis en place (κατέθεντο) deux points de vue pour "nommer" (ὀνομάζειν) les formes; en 19.3 DK les hommes ont "établi un nom distinctif" (ὄνομ'...κατέθεντο) pour chaque chose; dans un passage du fr. 8 DK (où le mot δόξα est absent) la Déesse dit que les hommes (βροτοί) ont établi (κατέθεντο) des noms (πάντ' ὄνομ') sur les choses, noms qu'ils avaient pris comme vrais (8.38-41 DK), et au premier vers du fr. 9 (où le mot δόξα est absent) la Déesse dit encore une fois que "tout a été nommé (ὀνόμασται) [par eux: les mortels] lumière et nuit". Nous pouvons maintenant ajouter une deuxième étape à notre dossier sur la δόξα: elle est toujours en rapport avec la nomination. Par conséquent, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que les δόξαι βροτῶν sont une activité humaine qui consiste à placer des noms sur les choses.

….Et nous arrivons au point central de ce travail: Parménide (a) a-t-il inventé de toutes pièces cette position, ou (b) s'agissait-t-il d'une croyance courante dans sa région et dans son époque, et qu'il a pris comme cible? A priori, les deux positions sont soutenables. Concernant (a), comme les solutions apportés par les philosophes antérieurs s'appuyaient sur des principes ou éléments, Parménide suggère qu'il aurait voulu se placer dans une situation préalable en affirmant qu'avant de proposer des "principes", comme font les δόξαι, il est prioritaire la "démonstration" de l'existence de l'activité d'être, ce qu'il a fait. Concernant (b), il ne serait pas impossible qu'une secte ou groupuscule pythagoricien, propre à sa région, en fonction de la théorie classique des contraires, aurait pu expliquer le réel par la cohabitation de la lumière et de la nuit, ce qui, pour Parménide, serait auto-contradictoire. Pour essayer de répondre à cette alternative, une étude détaillée de qu'est-ce que sont les δόξαι, pour Parménide (sans tenir compte de sources, interprètes et commentateurs) s'impose.

Les textes authentiques énumérés jusqu'ici nous offrent déjà un point de départ solide: les δόξαι énoncées par la Déesse, toujours à la troisième personne, ne lui appartiennent pas. La Déesse, divinité immortelle, se limite à exposer une "trompeuse série de paroles" (fr. 8. 51 DK) qui décrivent ce qu' "eux" (mortels, hommes) ont établi (κατέθεντο) comme deux points de vue (γνὠμαι)9 9 Aristote parle de "principes", mais le mot n'est pas dans le texte du Poème : "Il est évident que ceux qui ont philosophé (φιλοσοφέσαντας) sur la vérité, [comme Parménide] énonçaient certains principes et certaines causes (ἀρχάς τινας καὶ αἰτίας)" (Met. A.III.983b2). pour expliquer la réalité. Pour mener à bien notre étude des δόξαι, il y a, au moins, trois points à résoudre: (1) Que sont les δόξαι, telles qu'elles sont présentées par les "mortels"? (2) Pourquoi Parménide dit que le futur philosophe doit ("Tu dois [χρέω] apprendre tout…", fr. 1 .28) être au courant aussi des δόξαι? et (3) Qui sont "les mortels"?

Commençons par les δόξαι. Fidèle à sa méthode circulaire (cf. fr. 5 DK) (ce qui réfute l'existence de "parties" dans le Poème) la Déesse développe le "programme d'études" du fr. 1 dans un texte qui expose les fondements aussi bien d'un chemin "persuasif", celui de la vérité, que d'un chemin "vide", "sans contenu". Il est très probable que cette citation, connue aujourd'hui comme "fragment 2 DK", se trouvait dans le Poème après l'annonce de la fin du fr. 1 DK, car la Déesse met en évidence maintenant l'erreur du faux chemin: il prétend connaître ce qui n'est pas, et ce qui n'est pas, n'existe pas (2.7-8 DK). Comme exemple des gens qui suivent cette voie erronée, un autre texte, le fr. 6 DK, fait une description très sévère de la "méthode" des "mortels" (ils utilisent des sens insensibles et un intellect errant), et un autre texte, qui certainement suivait le précédent dans la version originale du Poème, conseille le futur philosophe d' "écarter sa pensé de cette voie de recherche" (7.3 DK). Il ne reste qu'une seule possibilité comme voie, et dans le long fr. 8 DK (qui devrait se trouver forcément dans le Poème après le fr. 7 DK) la Déesse expose les σήματα de l'activité d'être, ἐόν. Et vers la fin du fr. 8 DK, elle décide de revenir à la mauvaise possibilité, celle des "opinions", qu'elle avait déjà rejetée en fonction de ses "fabricants" (fr. 6.5 DK), mais maintenant elle décide d'exposer d'une manière brève et concise son contenu.

Commençons par la réponse à notre question (1),"Que sont les δόξαι, telles qu'elles sont présentées par les 'mortels'"? Opposées au πιστὸν λὸγον et au νόημα ἀμφὶς ἀληθείης qui se termine au vers 8.50-1 DK, la Déesse annonce à son disciple qu'il doit apprendre (μάνθανε) maintenant (ἀπὸ τοῦδε) les "opinions mortelles" (δόξας ... βροτείας), "en écoutant l'ordre trompeur (ἀπατηλόν) de ses paroles" (8.52 DK). Comme la Déesse a déjà décrit de manière très sévère, aux fr. 6 et 7 DK, la personnalité des fabricants des δόξαι, (fragments qui, dans l'original auraient du précéder le fr. 8 DK, car le vers 7.2 DK supprime l'une des voies de recherche, et pour cela au début du fr. 8.1 DK n'en reste qu'une), elle n'hésite pas au vers 8.52 DK à trouver une formule qui est opposée à la présentation du πιστὸν λὸγον: face à la vérité de celui-ci, l'ensemble doxique des mots sera "trompeur". Consciemment la Déesse n'utilise pas le mot λόγος10 10 Rossetti (2017, 67-113) se trompe quand il appelle lógos cet ensemble et propose comme titre d'une section d'e son livre "Quale sapere caratterizza il secondo logos" (67-113). : la présentation des δόξαι n'est qu'un ensemble ordonné (non chaotique, cependant: il est un κόσμος) de ἐπέα.

Malgré l'incapacité de ses auteurs (nous reviendrons sur la personnalité des "mortels"), les δόξαι proposent une explication de la réalité: "Ils [= les mortels] ont posé (κατέθεντο) deux points de vue pour nommer les formes (μορφάς)" (8.52 DK)11 11 Nous avons proposé cette traduction dans notre travail cité à la Note 8. La plupart des auteurs placent μορφάς comme objet de κατέθεντο et traduisent, à tort, "ils ont posé deux formes". H.Diels avait déjà cité le vers 717 des Élégies de Théognis (1893, 92): γνώμην ταύτην καταθέσθαι, Nous avons trouvé la bonne traduction dans le remarquable travail de R. Cherubin, 2005, 2, "mortals laid down two judgments or opinions to name forms or appearances". . Le sujet de la phase est clair et précis12 12 Simplicius cite trois fois ce vers (In Phys. 30, 39 et 180) et dans son commentaire il dit que "c'est Parménide qui a choisi deux éléments opposés" et que, d'une certaine manière, il a divisé l'être, qui est un (In Phys. 31). Concernant Simplicius, le titre du volume de I. A. Licciardi est un témoin très lucide (2016). : il s'agit des "mortels"13 13 Cf., contra,A. H. Coxon: "This passage constitutes the longest surviving fragment of the 'belief of mortals' and sets the fundamental principles of P.'s treatment of the physical world" (1896, 218). ; et le mot δόξαι est remplacée par un synonyme, γνώμας14 14 Au vers 8.61 γνώμη remplace δόξα: βροτῶν γνώμη. . Or, soumis à l'expérience quotidienne (nous verrons que le vers 7.3 DK dit qu'ils sont victimes de l' ἔθος πολύπειρον), la réalité, pour eux, est un ensemble de silhouettes qu'il faut organiser en plaçant des noms sur les "formes" du réel qui sont le plus évidents: le changement quotidien du jour et de la nuit, garanties de l'ordre cosmique (malgré le côté redondant de l'expression). C'est-à-dire qu'au lieu de chercher qu'est-ce que le réel, les mortels "posent" des noms sur les choses, et après, comme dit la Déesse au vers 8.39 DK, "les mortels croient qu'ils sont vrais".

La Déesse, au vers suivant, commente, déjà d'une manière critique, ce qu'elle trouvera comme défaut principal des δόξαι, la cohabitation de principes opposés: "Dont ils n'ont pas fait une unité; en quoi ils se sont trompés (πεπλανημένοι εἰσιν)". Le sujet de la phrase est toujours "ils" (autrement, la Déesse aurait tombée sur une auto-critique), et, comme les vers suivants nous montreront que les deux "points de vue" sont la lumière du feu et l'obscurité, d'une manière inattendue la Déesse s'accorde avec la critique d'Héraclite à Hésiode: "Il ne savait pas que le jour et la nuit son la même chose" (fr. 57 DK), c'est-à-dire, une journée. Et, peut être avec un zeste d'ironie, la Déesse attribue l'erreur à "l'intellect errant (πλακτόν νὸον)" qui se trouve dans la poitrine des mortels (fr. 6.6 DK). Enfin, le vers 8.55 confirme que les deux "points de vue" sont non seulement différentes mais opposés: "En ce qui concerne leur aspect (δέμας), ils ont jugé l'existence d'opposés (ἀντία) et ont placé des preuves (σήματα) séparées (χωρίς) les unes des autres". Il semble évident que, même dans le cas des σήματα, la Déesse oppose les σήματα de l'ἐόν, qui découlent les uns des autres, à ceux des δόξαι, qui sont opposés.

Étant donné que les mortels ont proposé un διάκοσμον (cf. fr. 8.60 DK) basé sur deux principes opposés, il ne serait pas déplacé adopter pour l'instant la terminologie aristotélicienne et les appeler des "causes", comme c'était le cas, mutatis mutandis, des éléments dans le cas des φυσιολόγοι précédents (nous reviendrons sur ce sujet). Dans le rapport de la Déesse, ces causes sont le feu enflammé (et des synonymes15 15 Le fr. 9.1 remplace le feu enflamme par la lumière, "φαός". ) et l'obscurité (et des synonymes): "D'une parte, le feu éthérée de la flamme doux et très léger, absolument le même que lui-même, mais pas le même que l'autre; d'autre part, ce qui est en soi son contraire (τἀντία), la sombre nuit, d'aspect épais et lourd" (fr. 8.56-9 DK). Presque un siècle avant Platon, les mortels de Parménide opposent d'une manière polaire l'identité et la différence, ce qui renforce leͺcaractère absolu qu'ils confèrent aux deux notions contraires, car, comme dit le fr. 9 DK, "en dehors de l'une et de l'autre (οὐδετέρῳ), il n'y a rien (μηδέν)" (fr. 9.4 DK).

Nous avons dit (voir Note 12) que Simplicius cite ce passage trois fois, mais dans une occasion, à la page 180 d'In Phys., il ajoute deux vers, comme s'ils étaient un commentaire à ce qu'il vient de dire: "Je t'exprime cet arrangement (διάκοσμον) semblable (ἐοικότα)16 16 Nous interprétons: "…semblable au vrai". afin d'empêcher que n'importe quel point de vue des mortels (βροτῶν γνώμη) puisse l'emporter (παρελάσσῃ)17 17 Le verbe παρελάυνω est très souvent utilisé dans le cas des courses des chars. Si nous tenons compte que l'auditeur de la Déesse se déplace lui aussi dans un char, l'image est tout à fait pertinente. [sur toi]" (fr. 8.61-2 DK). Ce commentaire semble placer le feu ou la lumière et l'obscurité des mortels au même niveau des ἀρχαί des philosophes précédents, ce qui nous autorise -pour l'instant- à trouver chez Parménide une analyse (critique) des διακοσμήσεις fondées sur des éléments opposés. Cependant, la διακόσμησις est qualifié de "semblable"18 18 Pour une analyse très subtil de ce passage, cf. Cherubin , 2005, 1-24. Étant donné que lumière et obscurité sont essentiels pour l'expérience humaine, Cherubin traduit ἐοικότα par "approprié (fitting)" (p. 17). car, comme la Déesse avait dit en 1.31-2 DK, "si" la vérité n'existait pas, il n'y aurait que des δόξαι. Mais, comme dit la dernière phrase, il ne faut pas que cette opinion s'impose dans la quête de la connaissance.

La citation du texte parménidien qui décrit les δόξαι finit au vers 8.60 DK. Jusqu'ici, nous avons trouvé des renseignements sur les δόξαι et ses auteurs, les mortels, vers la fin du fr.1 DK, au fr. 2 DK, au fr. 6 DK, au fr. 7 DK, au fr. 8 DK et au fr. 19 DK. On sait que dix-neuf citations de Parménide (dont l'une, en latin), ont été récupérées. Si nous cherchons soit une nouvelle description des principes opposés, feu ou lumière (et équivalents) et obscurité (et équivalents), ou d'une διακόσμησις qui pourrait être le résultat de sa cohabitation simultanée, nous trouvons encore deux fragments sur le sujet: les fr. 9 DK et 12 DK19 19 Nous utilisions par commodité ces chiffres, totalement arbitraires, placées sur les citations par H. Diels en s'appuyant sur l'arrangement de Fülleborn. . Regardons le fr. 9. Après avoir cité le fr. 8 DK, Simplicius ajoute la formule "καὶ μετ' ὀλίγα πάλιν" (équivalente à "et juste après") (Ιn Phys. 180), et cite les quatre vers du fr. 9 DK, où l'on voit le "mode d'emploi" des principes opposés: "Mais comme tout a été nommé (ὀνόμασται) lumière et nuit, et ce qui a ses propres puissances (δυνάμεις) à été [nommé] grâce à celles-ci ou à celles-la, le tout est plein en même temps (ὁμοῦ) de lumière et de nuit obscure, égales l'une à l'autre, car en dehors d'elles il n'y a rien". Dans la διακόσμησις des mortels, toutes choses sont des manifestations de la lumière et de l'obscurité, mais ce texte ajoute un élément très important: les noms collés sur les choses dérivent des "puissances" ou "possibilités" propres à chaque chose. Autrement dit, dans chaque chose il y a de la lumière et de l'obscurité qui sont la cause génétique, on pourrait dire, des noms qu'elles reçoivent.

Concernant le fr. 12 DK, la citation de Simplicius revient aux deux éléments opposés, le feu ou la lumière et l'obscurité, ce qui nous autorise à mettre ce texte en rapport avec les δοξαί: "Les anneaux (?) les plus étroits sont pleins de feu pur; ceux qui suivent, de nuit; mais entre eux s'échappe une portion de flamme. Au milieu d'eux (les anneaux?) se trouve la déesse qui gouverne tout. Elle commande complètement l'odieux enfantement et l'union, poussant la femelle à s'unir au mâle, et, à son tour, et inversement, le mâle à la femelle" (fr. 12.4-6a DK). Le texte est très obscur. La référence aux "anneaux" se trouve dans un commentaire d'Aétius (II.7.1), qui affirme que la déesse est "la mère de toute génération", ce qui ajoute de l'obscurité à un texte déjà obscur. De la citation textuelle de Parménide on peut déduire simplement que, si une διακόσμησις doit surgir des deux principes contradictoires, les mortels ont supposé qu'il doit y avoir une déesse20 20 En revanche, la véritable "physique" de Parménide, qui n'a rien à voir avec les δόξαι des mortels, rappelle que Éros fut conçu comme le premier des dieux (fr. 13 DK). que, comme elle fait avec les sexes (sa spécialité), est aussi capable de les unir.

Nous n'avons plus d'éléments, dans les citations du Poème récupérées, pour répondre à notre première question, "que sont les δόξαι, telles qu'elles sont présentées par les 'mortels'". Dans les onze citations sur lesquelles nous n'avons rien dit (fr. DK 3, 4, 5, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17 et 18), les mortels et ses deux principes contradictoires sont absents. Il y a des textes qui justifient peut-être une διακόσμησις, mais celle-ci ne consiste pas à placer des noms sur les choses, et dans un texte conservé par Clément d'Alexandrie la Déesse (non "les mortels") encourage son auditeur à suivre ce chemin: "Tu connaîtras (εἰσῃ) la nature (φύσις) éthérée de tous les signes qui sont dans l'éther, et les actions destructrices de la flamme pure du brillant soleil, et d'où tout cela provient; et tu apprendras les actions de la rotation de la lune tournante, et de sa nature (φύσις); et tu connaîtras (εἰδήσεις) aussi le ciel englobant, d'où il naquît, et comment la nécessite qui le conduit l'enchaîne pour maintenir les limites des astres" (fr. 10 DK). Ce nouveau projet de recherche continue au fr. 11 DK, placé, encore une fois, en dehors du couple "lumière-nuit": "…comment la terre, le soleil, la lune, l'éther commun, la voie lactée et l'Olympe suprême, et la puissance brûlante des astres ont pris naissance…". Ces deux citations ne réduisent pas toutes choses à deux principes contradictoires, et elles proposent la nécessité (ἀνάγκη, fr. 10.7 DK), et non pas une énigmatique déesse, comme garantie de l'unité du cosmos. Dans les autres textes placés arbitrairement dans le dossier "La Doxa" dans la lecture devenue orthodoxe du Poème, il n'y a pas des références au couple lumière-nuit. Ils s'occupent d'une explication des "dérapages" du νόος (fr. 16 DK), de deux réflexions sur la procréation (fr. 17 DK et 18 DK), d'une allusion à la naissance d'Éros (fr.13 DK) et enfin de deux textes (fr. 14 DK et fr. 15 DK) sur la lune, qui pourraient faire partie de un véritable διακόσμησις parménidienne, et non d'une élucubration "des mortels".

(2) Notre deuxième question était "pourquoi Parménide dit que le futur philosophe doit ("Tu dois [χρέω] apprendre tout…", fr. 1 .28 DK) être au courant aussi des δόξαι". La réponse est simple. Pour des raisons de chronologie, Parménide est le premier philosophe dont nous possédons un texte qui met en scène un maître de philosophie et son disciple. Si quelqu'un l'avait fait avant lui, nous ne possédons pas un texte pour le confirmer. En revanche, il y a un antécédent dans un autre domaine: Hésiode. Dans les Erga, l'auteur, maître de mythologie, va au-delà de son domaine et montre à son frère Persès qu'il n'y pas, comme on croit, un seul type de lutte (ἔρις); il y en a deux, l'une louable, et l'autre à condamner (Erga, 11-13). Et, contrairement à ce que l'on croit dans son temps, il devient avocat de "celle qui éveille au travail même au plus indolent" (Erga, 20).

Parménide, maître de philosophie, s'adresse lui aussi a quelqu'un qui, futur philosophe, veut trouver une explication de la réalité, mais, s'il est poussé vers le savoir par la force de son θυμός (fr. 1.1 DK), et s'il a choisi comme guides des "très sages cavales" (πολύφραστοι...ἵπποι, fr.1.4 DK), c'est parce qu'il a déjà une idée de ce que les rares philosophes qui l'ont précédé ont trouvé comme solution. Il est certain que, aussi bien le triumvirat de Milet comme Xénophane (Héraclite est contemporain de Parménide et une connaissance réciproque21 21 Diogène Laërce, apud Apollodore, place l' akmé des deux philosophes à l'Olympiade 69e (= 504-1) (IX.1 et IX.24). est très improbable) "avaient appelé phúsis non pas à la matière ou substrat d'un monde qu'il concevaient déjà comme un cosmos, mais à la clé (key) de sa compréhension"22 22 Philip, 1966, 44. . Pace Aristotelis, ni l'humidité de Thalès, ni la φύσις indéfinie d'Anaximandre, ni l'air d'Anaximène, ne sont pas la matière de la réalité; ils sont sa raison d'être, car ces philosophes concevaient la réalité comme vivante et les solutions apportées par les phusiólogoi étaient en rapport avec la vie (l'ἄπειρον, par exemple, possédait les germes23 23 Cf. Ps. Plutarque, Strom. 2. des contraires). Ce support, malgré la redondance, faisait l'unité du cosmos (qui est, en réalité, un "ordre"). Mais pour Parménide il y a un fait préalable, et il le présente comme "le cœur" de la vérité à son auditeur: si le cosmos est un ordre c'est parce qu'il existe, et, s'il existe, c'est parce qu'il y a de l'être. Et pour démontrer que la philosophie "des autres" se trompe, car elle suit un chemin (ὁδός) erronée, plein de contradictions, qui relativise le fait d'être, ce qui (Platon le montrera) ouvre la porte à son inexistence (ou, si l'on veut, à l'existence du non-être), Parménide élabore soit de toutes pièces une théorie le plus cohérente possible, mais erronée, soit il la présente comme un choix alternatif.

Nous venons de dire que la raison d'être du cosmos est sa régularité, son rythme, ce qui le sépare du chaos. Et la manifestation la plus évidente du rythme cosmique est l'alternance du jour et de la nuit, des saisons. Il ne faut pas faire une recherche spéciale pour privilégier cette alternance, et, comme dit le fr. 9 DK, pour la considérer comme présente partout, parce qu'elle s'est emparée des "puissances" ou "possibilités" ("cachées", dirait Héraclite) de chaque chose. Dans un caillou il y avait pour Anaximène de l'air, mais concentré; dans la pierre aimantée il y avait, pour Thalès, une ψυχή; dans "s'engendrer et mourir" (voir fr. 8.40 DK), pour les mortels de Parménide, il y a de la lumière et de l'obscurité.

L'apprenti philosophe doit être au courant de cette manière d'expliquer la réalité, soit parce qu'elle fait partie de l' "habitude invétérée" (fr. 7.3 DK) propre à son temps, soit parce que Parménide l'a inventé, et quand il choisira la "bonne voie", il aura "jugé avec le λόγος" (fr. 7.5 DK), et confirmera alors qu'il est un véritable "homme qui sait" (fr. 1.3 DK).

(3) Il restait une troisième question à répondre: "Qui sont les mortels?". Les réponses à la question sont tellement nombreuses que nous préférons ne pas les résumer, et ceci pour une raison très simple: influencés par Aristote (et la doxographie aristotélicienne24 24 Écoutons Simplicius: "Par la suite, il discourt sur les opinions, en y posant d'autres principes, qu'Aristote rappelle dans le passage suivant en disant: 'Parménide aussi prend le chaud et le froid, et il les appelle feu et terre'"(In Phys. 46). Le passage d'Aristote auquel fait allusion Simplicius est celui-ci: "Mais, contraint de suivre les phénomènes et concevant que l'un est d'ordre rationnel et le multiple d'ordre sensible, il revient à deux causes et à deux principes qu'il nomme chaud et froid, comme s'il disait feu et terre. De ces causes il range le chaud du côté de l'être, et l'autre, du côte du non être" (Aristote, Met. 986b31). Sur l'équivalence entre "feu" et "lumière", cf. Simplicius: "'lumière et ténèbres', ou 'feu et terre'" (In. Phys. 30). ), qui attribue les δόξαι à Parménide lui-même, 99,9% des interprétations s'appuient sur la division arbitraire du Poème en deux "parties", considèrent comme "doxique" tout ce que l'on trouve entre le vers 8.51 DK et le fr. 19 DK, et les discussions tournent autour du bien ou mal fondé des δόξαι, de son application aux "apparences" (sujet qui n'existe pas chez Parménide25 25 Quand Platon décide de justifier la possibilité de τὸ φαίνεσθαι et de τὸ δοκεῖν afin de définir le sophiste, il dit que, préalablement, il faut réfuter Parménide, car, pour celui-ci, ces notions supposent qu'il y a du non-être, ce que Parménide refusait (236e1). ), etc. "Δόξα", pour Parménide, est ce qu'il appelle δόξα (fr. 1.30 DK, fr. 1.51 DK, fr.19.1 DK), ou, quand le mot n'est pas là (fr. 8.40 DK, fr. 9 DK, fr. 12 DK), elle expose une διακόσμησις basée sur deux principes opposés, lumière et nuit. Voilà le défaut de la δόξα: c'est la cohabitation des opposés (ils sont présents simultanément, ὁμοῦ, fr. 9.3 DK), qu'il va critiquer. Le philosophe, pour Parménide, doit trancher (...ἤ...), car il est capable de κρινεῖν; les mortels, partisans de "…καί…", constituent, en revanche, une ἄκριτα φῦλα. Pour eux, "être et ne pas être sont la même chose et pas la même" (fr. 6.8-9 DK).

La description détaillée que Parménide fait des "mortels", avant la présentation formelle des δόξαι, à partir du fr. 8.51 DK, même si elle est impitoyable, n'est pas décisive pour décider notre question sur ses fabricants. Parménide aurait pu décrire l'état d'esprit des membres d'une école existante, ou l'avoir inventé de toutes pièces. Ce qui est important, en revanche, est l'étape de son raisonnement où il a proposé cette description, les fr. 6 DK et 7 DK, qui, dans la logique du λόγος parménidien, quoi qu'il en soit l'ordre originaire des fragments, devraient précéder le fr. 8 DK26 26 Nous avons déjà dit qu'au début du fr. 8 DK affirme qu'il reste "une seule voie" de recherche, parce que la deuxième avait été supprimé avant, en 7.2 DK. . Or, les chercheurs qui se sont intéressés aux δόξαι, semblent ne pas avoir remarqué que Parménide précède leur présentation, en 8.51 DK, par une présentation très sévère des "mortels", ce qui avance le caractère "trompeur" du discours doxique. Autrement dit, tout étude sur le statut des δοξαι doit commencer avant sa présentation formelle au fr. 8 DK, notamment par la caractérisation de la personnalité de ses créateurs, puisque, dans le Poème, elles ne sont jamais séparés des "mortels qui ne savent rien" (6.4 DK).

Ce diagnostic parménidien est lapidaire, car, qu'est-ce que peut produire quelqu'un qui ne sait rien? Le premier vers du fr. 7 DK donne la réponse: rien; c'est-à-dire, des εἶναι μὴ ἐόντα, des réalités qui n'existent pas. Si Parménide consacre huit vers et demi (fr. 6.4-9 DK + fr. 7.3-5a DK) à décrire l'état d'esprit de ceux qui "fabriquent" (πλάττονται, de πλάσσω) ce chemin erronée c'est pour montrer que leur pensée est victime d'une disjonction. En effet, la première critique qu'ils reçoivent est celle de "δίκρανοι": ils regardent27 27 La tête est le siège de la vue, de l'ouie, de l'odorat et de la langue; le siège de la pensée est la poitrine. en même temps vers deux directions différentes, et, dans leur poitrine le νοός recueille des sensations opposées et divague. D'autre part, il est intéressant de signaler le caractère passif des "mortels", opposé à la volonté (θυμός) du futur philosophe: ils sont "entraînés" (φοροῦνται, fr. 6.6 DK) comme des automates, étonnés (τεθηπότες, fr. 6.7 DK), obligés (βιάσθω, fr.7.3 DK) par l'habitude invétérée (fr. 7.3 DK).

Du point de vue philosophique, ces gens sont incapables de juger (ils sont une ἄκριτα φῦλα, fr. 6.7 DK, tandis que l'auditeur de la Déesse est invité à juger [κρινεῖν] avec le λόγος) et, dans leurs têtes, ils croient (νενόμισται) qu'être et ne pas être son la même chose et pas la même (fr. 6.8-9 DK). Lorsque la Déesse s'adresse à nouveau à son auditeur, elle ne peut pas s'empêcher de lui dire (avant la description formelle des δόξαι au fr. 8 DK): "Éloigne ta pensée (νόημα) de ce chemin de recherche".

Nous pouvons maintenant reprendre notre analyse de la description des δόξαι de la part de Parménide, ce qui va nous aider à traiter la question de ses créateurs. Le chemin de la recherche qu'il faut éviter est celui qui justifie la réalité moyennant une διακόσμησις qui, a partir d'une opposition fondamentale, celle de la lumière et de l'obscurité, qui, cependant, existent ensemble, a mis un nom distinctif pour chaque chose (Peut être conscients de la nécessité de justifier, en même temps, la génération, ils ont proposé aussi l'existence d'une déesse qui attire sexuellement lés opposés). L'existence simultanée des opposés est peut-être ce qui nous permettrait, mutatis mutandis, de mettre en rapport cette théorie critiquée par la Déesse avec les διακoσμήσεις de certains philosophes précédents, et, dans ce cas, on pourrait la mettre en rapport avec l'"habitude invétérée" qui guide les mortels. S'il en est ainsi, les "mortels" pourraient être les philosophes précédents. Concernant Thalès, par exemple, il reste un témoignage de Galien, très douteux, selon lequel il aurait dit que, "après avoir soutenu que le premier élément c'est l'eau, les autres se mélangent par combinaison, solidification et composition des choses" (In Hipp. de hum., I.1 = 11 B 3 DK). En ce qui concerne Anaximandre, nous devons dépendre des doxographes (avec le risque que cela suppose), mais, selon le témoignage du Ps.Plutarque, à l'intérieur de la phúsis ápeiron se trouvent les "germes" (γόνιμα) des quatre éléments (Strom. 2); et, selon Xénophane, "tout est issu de la terre et de l'eau" (fr. 33 DK). Mais le cas qui se rapproche le plus des "opinions" des mortels est celui de Anaximène, qui explique la réalité par des raréfactions et des relâchements d'un seul élément, l'air, qui serait ainsi présent, mais altéré, dans les contraires (Plutarque, De prim. frig., 7, 947 F = 13 B 1 DK).

À partir de ce bilan très sommaire des φυσιολóγοι qui ont précédé Parménide, on pourrait dire que les δόξαι, dans l'alternative de laquelle nous sommes partis, envisageraient, donc, une position ou théorie vraisemblablement authentique, qu'il faut connaître pour la dépasser.

Mais il y a un point associé aux δόξαι, qui est toujours présente dans le Poème (même quand Parménide, sans parler des δόξαι, décrit l'activité des βροτοί au vers 8.38 DK): la nomination. Or, rien de pareil ne se trouve dans les φυσιολóγοι de Milet (au moins dans les rares mots authentiques qui ont été récupérés), ni chez Xénophane; cependant, la notion, pour Parménide, est indissociable de l'activité des βροτοί qu'il critique. Quel lien pourrait-il donc exister entre les δόξαι et la nomination? Pour trouver une explication, nous devons essayer d'envisager la deuxième possibilité proposé au début de ce travail: celle d'un collage parménidien. Nous rentrons maintenant dans un terrain très hypothétique, car il faut trouver un mouvement ou un philosophe partisan de la nomination (une sorte de pré-nominaliste, avant la lettre), compatible avec une explication de la réalité moyennant des opposés, qui aurait permis à Parménide de les faire coïncider.

Nous venons d'utiliser la notion d'hypothèse car dans le bilan des philosophes pré-parménidiens, nous avons laissé de côte les Pythagoriciens. Nous l'avons fait exprès, car notre hypothèse doit s'appuyer sur des dates, et, si possible, sur des textes, et ceux qui concernent Pythagore ne sont pas certains. J.A. Philip avoue que "nous ne savons pas, et nous ne pouvons même pas découvrir (discover), les dates de la vie de Pythagore"28 28 Philip, 1966, 196. . Cet auteur propose, cependant, que les renseignements que l'on trouve dans les Chronica d'Apollodore sont "les plus probables que nous avons", et d'elles on déduit que Pythagore est arrivé à la Magne Grèce vers 532-1 av. J.C. Parménide, né une dizaine d'années auparavant, vers 544-41 av. J.C. -toujours selon Apollodore29 29 La chronologie que l'on peut déduire de la première partie du Parménide, l'année 515, n'est qu'une fiction littéraire. Ver Allen, 1983, 63. - aurait pu être au courant de ses idées, qui se sont répandues très rapidement (quand Pythagore arrive à Crotone il avait déjà une solide et sulfureuse réputation). Selon Diogène Laërce, Parménide aurait même été "auditeur" d'un pythagoricien, Ameinias (IX.21).

Mais…quelles idées pythagoriciennes auraient pu être connues -et critiqués- par Parménide, qui aurait même cohabité avec le Maître, qui serait mort vers 497, quand Parménide frôlait la quarantaine? La préférence qui nous fait associer la critique des δόξαι de quelques éléments philosophiques trouvés chez les Pythagoriciens30 30 Nous ne prétendons pas faire preuve d'originalité. On a très souvent vu chez les "mortels" un portrait robot des Pythagoriciens, mais nous nous approchons de l'école par le biais de la "nomination". se rapproche plus du sens commun que de l'histoire des idées. Parménide exige de son auditeur de ne pas suivre ce que l'habitude veut l'imposer, de ne pas se laisser entraîner par l'ἔθος πολύπειρον. Cet avertissement concernant le présent historique justifie les précautions de la Déesse, car Élée se trouve à deux cents kilomètres de Métaponte et à trois cents kilomètres de Crotone. Cependant, même si les Pythagoriciens pourraient être la cible de Parménide, nous avons utilisé la notion de "collage" car nous ne savons pas si ce qu'on savait des Pythagoriciens lorsque Parménide a écrit son Poème aurait pu justifier quelques traits des δόξαι des mortels, notamment la nomination.

On connaît la table des contraires des Pythagoriciens, parmi lesquels il y a "lumière/obscurité", mais Aristote, sa source, ne sait pas si cette théorie était originaire d'Alcméon, qui l'aurait transmise aux Pythagoriciens, ou viceversa (!) (Mét., A.5.986a28). Il affirme, en tout état de cause, que pour Alcméon la plupart des choses humaines vont par deux (986a32), ce qui pourrait correspondre aux δόξαι, mais des problèmes de chronologie placeraient Alcméon légèrement après Parménide. Enfin, concernant les contraires, même si Aristote considère que "pour le Pythagoriciens, ils sont les principes de l'être", il privilégie seulement le couple "limite/illimité" (987a10).

Or, pour compléter notre hypothèse, nous devons trouver chez les Pythagoriciens l'activité que Parménide associe toujours aux δόξαι, la nomination. Si nous regardons les premières étapes du mouvement, il est un fait connu que chez les acousmatiques avait une sorte de catéchisme qui, entre autres définitions, se posait des questions, par exemple, sur "le plus sage". Voici la réponse transmise par Jamblique: "Qu'est-ce que le plus sage? (τὸ σοφώτατον;); le nombre (ἀριθμός); et, après, celui qui a mis des noms sur les choses (δεύτερον δὲ τοῖς πρμάγμασι τὰ ὀνόματα τιθέμενον)" (V.P. 82). Et quelques chapitres auparavant, le même Jamblique avait attribué ce précepte à Pythagore lui-même: "En outre, il invoqua le témoignage du plus sage (σοφώτατον) de tous les êtres, celui qui avait mis en ordre la langue des hommes (συντάξαντα τὴν φωνὴν) et qui, en général, avait été l'inventeur qui plaça des noms (ἑυρετήν καταστάντα τῶν ὀνομάτων), soit s'il était un dieu, un daïmon, ou une sorte d'homme divin" (V.P. 56).

Il nous semble évident que la place privilégiée de ce σοφός expert en noms faisait partie de la tradition pythagoricienne. Proclus, dans son commentaire à l'Alcibiade revient sur la formule, et ajoute précisément la notion de σοφία: "…et le deuxième, en ce qui concerne la σοφία, celui qui avait τίθεναι les noms sur les choses" (II.259.16-18). Et, dans le commentaire au Timée encore Proclus dit que Platon, concernant "les noms ineffables" partageait ce Πυθαγορείων λόγον: "Concernant celui qui expose les noms secrets, selon le λόγος pythagoricien, il dit que le plus sage est le numéro, et, après, celui qui a mis les noms sur les choses" (καὶ δὴ καὶ περὶ ὀνομάτων ἀρρήτων τε καὶ ῥητῶν ἐνδειξάμενος ὄντως κατὰ τὸν τῶν Πυθαγορείων λόγον, ὅς φησι σοφώτατον μὲν εἶναι τὸν ἀριθμόν, δευτέρως δὲ τὸν τὰ ὀνόματα τοῖς πράγμασι θέμενον) (In Tim., I = II.276.15)31 31 La même idée se trouve dans le commentaire de Proclus au Cratyle, 16.5, et chez Élian: "La principale sagesse est celle du numéro et, après, celle de celui qui plaça les noms sur les choses" (Hist. Var., IV.17). .

Armand Delatte soutient que "cet ἄκουσμα est le plus curieux de toute la série, car il atteste des études de linguistique et d'étymologie"32 32 Delatte, 1915, 281. . Et il ajoute un commentaire que justifie notre hypothèse: "Il signifie évidemment que les noms conviennent si bien aux choses auxquelles ils s'appliquent, qu'il y a un rapport très étroit entre le sens étymologique33 33 Jamblique dit que, comme la femme est plus favorable à la piété, Pythagore avait proposé le nom d'une divinité pour chaque période de sa vie: Koré pour la femme célibataire, Nymphe pour celle qui allait se marier, Méter celle qui avait enfanté, el Maia pour la grand-mère (V.P. 56). et le sens réel, et même entre l'idée et le son, que celui qui a inventé le langage peut-être tenu pour un des plus sages parmi les hommes". C.J. de Vogel, pour sa part, soutient que la référence à Pythagore comme celui qui a mis de l' "ordre" dans le la langue "signifierait que Pythagore a été le premier, dans son école, à réfléchir sur le langage d'une manière philosophique"34 34 C J. de Vogel, 1966, 136. , et elle n'hésite pas à appeler le philosophe "εὑρετὴς ὀνομάτων"35 35 C.J. de Vogel , 1966, 218. .

Pour ajouter une nouvelle hypothèse à notre travail déjà hypothétique, nous pouvons nous demander sur quel critère le sage Pythagoricien décidait de placer un nom distinctif pour chaque chose. Le "sens étymologique" mentionné par A. Delatte serait valable pour les différents noms appliqués à l'évolution de la situation de la femme (voir note 33), mais si nous voulons trouver des cas plus généraux, nous risquons de faire des Pythagoriciens des ancêtres du naturalisme linguistique de Cratyle. Étant donné la conception des "mortels" qui prétend expliquer la réalité par la cohabitation des opposés les plus évidents, lumière et obscurité, en dehors desquels, il n'y a rien (fr. 9.30 DK), semblerait évident que, pour Parménide, le critère est celui de la conjonction qui, adapté aux cas particuliers, permet de parler à la fois de "s'engendrer et mourir, être et non-être" (fr. 8.40 DK).

Le moment est venu de commencer à tirer les conclusions de notre sujet d'origine: les "opinions des mortels", étaient-elles une théorie authentique ou un collage de Parménide? Il serait illusoire (et naïf) d'affirmer le côté positif des"opinions" comme voie de recherche à retenir. Aussi bien la sévérité avec laquelle Parménide décrit ses "fabricants" comme la contradiction que la caractérise (la juxtaposition des contraires) la condamne à l'oubli: elle est "un chemin impensable et innommable, car il n'est pas le vrai chemin" (fr. 8.17 DK). Si quelqu'un pense que Parménide puisse partager une voie propre aux mortels "qui ne savent rien", c'est parce qu'il a écouté le chant des sirènes des commentateurs.

Concernant notre alternative du départ, nous avions dit qu'elle pourrait être valable comme description critique de la διακόσμησις des philosophes précédents, mais qu'il fallait trouver un place aussi pour la notion de nomination, toujours présente lorsque Parménide fait allusion aux δόξαι. Si nous reprenons notre idée de "collage", les références à la nomination de la part des premiers Pythagoriciens pourraient ajouter leur nombre aux philosophes critiqués. Mais nous avons utilisé plusieurs fois la catégorie d' "hypothèse" car ce qui est important dans la démarche parménidienne n'est pas individualiser une école ou une théorie qu'il critique, mais une méthode à critiquer. Il est difficile de savoir si, même quand Pythagore est encore en vie, il y avait déjà, en Élée, par exemple, des groupuscules ou des tendances qui donnaient plus d'importance à la nomination que les premiers Pythagoriciens. On ne le saura jamais. Nous ne saurons jamais non plus quel était le "pythagorisme" d' Ameinias, écouté, mais pas suivi, par Parménide, avant -on suppose- d'écrire son Poème.

Nous avons tout à l'heure parlée de la méthode que Parménide critique. Dans le fr. 2 DK, les deux possibilités, a priori, d'acheminer la pensée étaient représentées par deux chemins (ὁδοί) qui sont, à la fois, deux manières (ways36 36 Déjà à époque de Parménide ὁδός signifie aussi "manière de faire quelque chose". Cf. Pindare, Ol. VIII.13: "Les dieux, avec leur bonté, ont donné plusieurs moyens (ὁδοί) d'attendre le bonheur". ) d'essayer de connaître. La suite du Poème ne retient qu'une voie, car la deuxième est un chemin sans issue; il est un πολίντροπος κέλευθος (fr. 6.9 DK). Déjà au fr. 2, quand il présente les deux voies, Parménide démontre que ce qui condamne la voie erronée est le défaut génétique des mortels, la conjonction, car ils mélangent être et ne pas être, ils ont attribué la nécessite d'être (χρεών ἐστι) au non-être (μὴ εἶναι) (fr. 2.5 DK). La même cohabitation des termes opposés réapparaît à la fin du fr. 6 DK, dans leur incapacité de choisir entre ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν (fr. 8.16 DK), entre ἤ πάμπαν πελέναι χρών ἐστι ἤ οὐχί (fr. 8.11 DK). Parménide résume cette incapacité dans les conjonctions utilisées habituellement par les mortels entre des termes opposés, par exemple, γίγνεσθαι τε καί ὄλλυσθαι, et spécialement, εἶναι τε καὶ οὐχί (fr. 8.40 DK). Parménide semble chercher la cause de cette manière dichotomique d'expliquer (à tort) la réalité, et la trouve, comme nous l'avons déjà dit, dans les deux principes qui, presque naturellement, les mortels ont proposé comme γνώμαι, la lumière et l'obscurité. Ils sont les deux opposés les plus évidents, et si l'univers est un cosmos c'est parce que, étant opposés, ils ont "appris" à cohabiter. Rien (μεδήν) reste en dehors de ce couple (fr. 9.3 DK), qui, en fonction des réalités qu'il doit expliquer, comme dit le fr. 9 DK, s'applique aux δυνάμεις de chaque chose, en tant que "noms". Le fr. 19 DK est un résumé de ce monde "doxique": "Ainsi se sont produites (ἔφυ) ces choses, selon l'opinion (κατὰ δόξαν), et elles sont présentes maintenant. Et après, une fois développées, elles mourront. Pour chacune les hommes ont établi un nom distinctif".

L'explication que nous venons de proposer est la seule que nous avons trouvé pour introduire la "nomination" dans la description de la critique aux δόξαι, qui, d'une manière hypothétique, aurait pu se trouver dans une version "éléatique" du Pythagorisme, et que justifie la catégorie de "collage" de la part de Parménide.

Mais des problèmes subsistent, heureusement, car ils encouragent des nouvelles recherches. Voici deux cas qui ont besoin d'explication: (a) d'où vient cette déesse copulatrice du fr. 12 DK? et (b) quelle est la signification précise du couple "τόπον ἀλλάσσειν καὶ διά τε χρόα37 37 Aristote attribue l'utilisation pythagoricienne de χρώα/χροία comme synonyme de "limite d'une surface" chez les Pythagoriciens (Mét., N.31091a17). φανὸν ἀμείβειν" (fr. 8.41 DK), qui fait partie des ὀνόματα que les mortels prennent comme des vérités? Évidemment, une traduction du type: "changer de place et altérer la peau (ou "la couleur") évidente", n'est pas suffisante. Mais, pour l'instant, comme dit souvent Aristote, ἀνάγκη στῆναι.

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  • MOURAVIEV, S. (2018) "Ersatz de vérité et de réalité? ou Comment Parménide (B1, 28-32) a sauvé les apparences (avec la collaboration épistolaire de Scott Austin †2014)", Ὁδοὶ νοῆσαι. Ways to Think. Essays in honour en Néstor-Luis Cordero, ed. M. Pulpito-P. Spangenberg, Diogene, Bologne.
  • MOURELATOS, A. P. D. (2008²), The Route of Parmenides. Revised and expanded edition, Parmenides Publishing, Las Vegas/Zurich/Athens.
  • PHILIP, J. A. (1966), Pythagoras and early Pythagoreanism, University of Toronto Press, Toronto.
  • ROSSETTI, L. (2017), Un altro Parmenide, Diogene, Bologne.
  • 1
    Nous préférons la leçon εὐκυκλέος, "bien arrondie" (Simplicius, De Caelo, 557.26) car elle est cohérente avec la méthode circulaire que Parménide décrit au fr. 5 DK: "Il est commun pour moi où je commence, car j'y reviendrai à nouveau". D'autres interprètes conservent ευπειθέος, selon Sextus.
  • 2
    Ces deux derniers vers (1.31-32 DK) manquent dans la citation de Sextus. La seule source est Simplicius.
  • 3
    Cf. Biraud, 2007BIRAUD, M. (2007), "Les usages du connecteur concessif ἔμπης dans l'Odysée", Gaia, II., passim. Au Livre 2.297 de l'Iliade, Ulysse envisage le retrait des Achéens, mais ajoute que, "cependant (ἔμπης), il serait honteux de rentrer à la maison les mains vides".
  • 4
    A.P.D. Mourelatos traduit: "it was rightfully necessary, it was fated, it was proper, it was appropriate" (2008MOURELATOS, A. P. D. (2008²), The Route of Parmenides. Revised and expanded edition, Parmenides Publishing, Las Vegas/Zurich/Athens.², 207).
  • 5
    Voir Kranz, 1917KRANZ, W. (1916), "Über Afbau und Bedeutung des Parmenideischen Gedichtes", Sitzungsberichte der Königl.-Preussischen Akademie der Wisssenschaften, 47., 1170: "ta dokoûnta…Bestand haben müssten". Lorsque Hérodote commente l'hypothèse "irréelle" selon laquelle les vents étésiens auraient pu être la cause des crus du Nil, il dit que cette cause "aurait pu être" (χρῆν) aussi valable pour d'autres fleuves (II.20.8).
  • 6
    Cf., contre, le remarquable travail de Mouraviev, 2018MOURAVIEV, S. (2018) "Ersatz de vérité et de réalité? ou Comment Parménide (B1, 28-32) a sauvé les apparences (avec la collaboration épistolaire de Scott Austin †2014)", Ὁδοὶ νοῆσαι. Ways to Think. Essays in honour en Néstor-Luis Cordero, ed. M. Pulpito-P. Spangenberg, Diogene, Bologne., 61-86.
  • 7
    Arrangement arbitraire proposé par G. G. Fülleborn (1795FÜLLEBORN, G. G. (1795), Die Fragmente des Parmenides, Frommann, Züllichau., passim), et accepté aujourd'hui de manière unanime. L'arrangement est arbitraire parce qu'il suppose une "platonisation" de Parménide que Fülleborn a trouvée chez Simplicius, source qui, plus d'un millénaire après la mort du philosophe, et malgré sa citation littérale de grand nombre de passages du Poème, interprète sa philosophie selon des schémas platoniciens et surtout aristotéliciens.
  • 8
    Sur notre préférence pour πλάττονται au lieu de πλάζονται, cf. Cordero, 1997CORDERO, N. L. (1997²), Les deux chemins de Parménide, Ousia/Vrin, Bruxelles/Paris.², 147.
  • 9
    Aristote parle de "principes", mais le mot n'est pas dans le texte du Poème : "Il est évident que ceux qui ont philosophé (φιλοσοφέσαντας) sur la vérité, [comme Parménide] énonçaient certains principes et certaines causes (ἀρχάς τινας καὶ αἰτίας)" (Met. A.III.983b2).
  • 10
    Rossetti (2017ROSSETTI, L. (2017), Un altro Parmenide, Diogene, Bologne., 67-113) se trompe quand il appelle lógos cet ensemble et propose comme titre d'une section d'e son livre "Quale sapere caratterizza il secondo logos" (67-113).
  • 11
    Nous avons proposé cette traduction dans notre travail cité à la Note 8. La plupart des auteurs placent μορφάς comme objet de κατέθεντο et traduisent, à tort, "ils ont posé deux formes". H.Diels avait déjà cité le vers 717 des Élégies de Théognis (1893DIELS, H. (1893), Parmenides Lehrgedicht, G. Reimer, Berlin., 92): γνώμην ταύτην καταθέσθαι, Nous avons trouvé la bonne traduction dans le remarquable travail de R. Cherubin, 2005CHERUBIN, R. (2005), "Light, Night, and the Opinions of Mortals: Parmenides B8.51-61 and B9", Ancient Philosophy 25, 2., 2, "mortals laid down two judgments or opinions to name forms or appearances".
  • 12
    Simplicius cite trois fois ce vers (In Phys. 30, 39 et 180) et dans son commentaire il dit que "c'est Parménide qui a choisi deux éléments opposés" et que, d'une certaine manière, il a divisé l'être, qui est un (In Phys. 31). Concernant Simplicius, le titre du volume de I. A. Licciardi est un témoin très lucide (2016LICCIARDI, I. A. (2016), Parmenide tràdito, Parmenide tradíto, nel Commentario di Simplicio alla Fisica di Aristotele, Academia, Sankt Augustin.).
  • 13
    Cf., contra,A. H. Coxon: "This passage constitutes the longest surviving fragment of the 'belief of mortals' and sets the fundamental principles of P.'s treatment of the physical world" (1896COXON, A. H. (1986), The Fragments of Parmenides, Van Gorcum, Assen., 218).
  • 14
    Au vers 8.61 γνώμη remplace δόξα: βροτῶν γνώμη.
  • 15
    Le fr. 9.1 remplace le feu enflamme par la lumière, "φαός".
  • 16
    Nous interprétons: "…semblable au vrai".
  • 17
    Le verbe παρελάυνω est très souvent utilisé dans le cas des courses des chars. Si nous tenons compte que l'auditeur de la Déesse se déplace lui aussi dans un char, l'image est tout à fait pertinente.
  • 18
    Pour une analyse très subtil de ce passage, cf. Cherubin , 2005CHERUBIN, R. (2005), "Light, Night, and the Opinions of Mortals: Parmenides B8.51-61 and B9", Ancient Philosophy 25, 2., 1-24. Étant donné que lumière et obscurité sont essentiels pour l'expérience humaine, Cherubin traduit ἐοικότα par "approprié (fitting)" (p. 17).
  • 19
    Nous utilisions par commodité ces chiffres, totalement arbitraires, placées sur les citations par H. Diels en s'appuyant sur l'arrangement de Fülleborn.
  • 20
    En revanche, la véritable "physique" de Parménide, qui n'a rien à voir avec les δόξαι des mortels, rappelle que Éros fut conçu comme le premier des dieux (fr. 13 DK).
  • 21
    Diogène Laërce, apud Apollodore, place l' akmé des deux philosophes à l'Olympiade 69e (= 504-1) (IX.1 et IX.24).
  • 22
    Philip, 1966PHILIP, J. A. (1966), Pythagoras and early Pythagoreanism, University of Toronto Press, Toronto., 44.
  • 23
    Cf. Ps. Plutarque, Strom. 2.
  • 24
    Écoutons Simplicius: "Par la suite, il discourt sur les opinions, en y posant d'autres principes, qu'Aristote rappelle dans le passage suivant en disant: 'Parménide aussi prend le chaud et le froid, et il les appelle feu et terre'"(In Phys. 46). Le passage d'Aristote auquel fait allusion Simplicius est celui-ci: "Mais, contraint de suivre les phénomènes et concevant que l'un est d'ordre rationnel et le multiple d'ordre sensible, il revient à deux causes et à deux principes qu'il nomme chaud et froid, comme s'il disait feu et terre. De ces causes il range le chaud du côté de l'être, et l'autre, du côte du non être" (Aristote, Met. 986b31). Sur l'équivalence entre "feu" et "lumière", cf. Simplicius: "'lumière et ténèbres', ou 'feu et terre'" (In. Phys. 30).
  • 25
    Quand Platon décide de justifier la possibilité de τὸ φαίνεσθαι et de τὸ δοκεῖν afin de définir le sophiste, il dit que, préalablement, il faut réfuter Parménide, car, pour celui-ci, ces notions supposent qu'il y a du non-être, ce que Parménide refusait (236e1).
  • 26
    Nous avons déjà dit qu'au début du fr. 8 DK affirme qu'il reste "une seule voie" de recherche, parce que la deuxième avait été supprimé avant, en 7.2 DK.
  • 27
    La tête est le siège de la vue, de l'ouie, de l'odorat et de la langue; le siège de la pensée est la poitrine.
  • 28
    Philip, 1966PHILIP, J. A. (1966), Pythagoras and early Pythagoreanism, University of Toronto Press, Toronto., 196.
  • 29
    La chronologie que l'on peut déduire de la première partie du Parménide, l'année 515, n'est qu'une fiction littéraire. Ver Allen, 1983ALLEN, R.E. (1983), Plato's Parmenides, Blackwell: Oxford., 63.
  • 30
    Nous ne prétendons pas faire preuve d'originalité. On a très souvent vu chez les "mortels" un portrait robot des Pythagoriciens, mais nous nous approchons de l'école par le biais de la "nomination".
  • 31
    La même idée se trouve dans le commentaire de Proclus au Cratyle, 16.5, et chez Élian: "La principale sagesse est celle du numéro et, après, celle de celui qui plaça les noms sur les choses" (Hist. Var., IV.17).
  • 32
    Delatte, 1915DELATTE, A. (1915), Études sur la littérature pythagoricienne, E.Champion, Paris., 281.
  • 33
    Jamblique dit que, comme la femme est plus favorable à la piété, Pythagore avait proposé le nom d'une divinité pour chaque période de sa vie: Koré pour la femme célibataire, Nymphe pour celle qui allait se marier, Méter celle qui avait enfanté, el Maia pour la grand-mère (V.P. 56).
  • 34
    C J. de Vogel, 1966DE VOGEL, C. (1966), Pythagoras and early Pythagoreanism, Van Gorcum, Assen., 136.
  • 35
    C.J. de Vogel , 1966DE VOGEL, C. (1966), Pythagoras and early Pythagoreanism, Van Gorcum, Assen., 218.
  • 36
    Déjà à époque de Parménide ὁδός signifie aussi "manière de faire quelque chose". Cf. Pindare, Ol. VIII.13: "Les dieux, avec leur bonté, ont donné plusieurs moyens (ὁδοί) d'attendre le bonheur".
  • 37
    Aristote attribue l'utilisation pythagoricienne de χρώα/χροία comme synonyme de "limite d'une surface" chez les Pythagoriciens (Mét., N.31091a17).

Publication Dates

  • Publication in this collection
    10 Dec 2021
  • Date of issue
    2021

History

  • Received
    13 May 2021
  • Accepted
    17 May 2021
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