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Archives: une littérature de l'infime

SEÇÃO ESPECIAL

Archives: une littérature de l'infime1 1 Conferência proferida no II Colóquio Internacional Michel Foucault: a Judicialização da Vida, em julho de 2013, na Universidade do Estado do Rio de Janeiro.

Philippe Artières

Doutor em história, pesquisador do Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) e école des Hautes études en Sciences Sociales (EHESS), diretor do Centre Michel Foucault em Paris, França

Endereço para correspondência Endereço para correspondência LAHIC - IIAC -EHESS - 105 Boulevard Raspail - 75006 Paris, France. E-mail: ph.artieres@wanadoo.fr

La conférence ici transcrite est construite sur un document; elle suit en cela l'un des chemins les plus fertiles adopté par Michel Foucault s'agissant de l'analyse de la juridicisation de la société dans sa recherche: l'analyse des archives. Ainsi, à travers l'enregistrement d'une audience préliminaire suite à une plainte d'abus sexuel sur une adolescente de 13 ans, au Québec, Canada, dans les années 1960, sont mis en évidence les parcours techniques et conceptuelles qui définissent les relations considérés comme l'objet du Pouvoir Judiciaire. Ce document, relation du face à face entre la jeune fille et le juge livre les détails des pratiques de judicialisation. Ce sont de considérations infimes, précises et intenses qui permettent d'appréhender les situations naturalisés par les équipes professionnelles et la manière dont les sujets s'y soumettent. Non seulement la soumission est présent dans l'archive-texte mais on perçoit aussi des formes de résistance, l'un n'allant pas sans l'autre. En lisant le texte, nous pouvons voir les subtilités de ces pratiques d'enquête, la surveillance de la famille, de ces lieux, de ses modes de vie, de sa routine. Nous verrons ci-aprés un extrait d'un dossier des archives du Québec:

«Ce 25ème jour d'août, l'an du Seigneur 1961, a comparu: Lucie T. âgée de 13 ans, écolière, Québec P. Q. Laquelle, après avoir prêté serment sur les saints évangiles, dépose et dit:

Interrogée par Me Christophe:

Lucie, en parlant fort et en regardant le juge ... Tu sais ce que c'est qu'un serment?

Oui.

Qu'est-ce qu'un serment?

Dire la vérité.

Si tu ne dis pas la vérité, qu'est ce qui va t'arriver?

Ca va être un mensonge.

Quel est le nom de ton père?

Maurice

Ta mère?

Renée

Tu es née quand?

Ah: ...

Quelle est la date de ta fête?

Le dix (10) septembre.

Quel âge as-tu, aujourd'hui?

Treize (13) ans.

Ca veut dire que tu vas avoir 14 ans, au mois d'octobre?

Oui.

Je te montre ici un extrait de baptême de la paroisse S. -Jacques-de-Montcalm ... Tu sais lire?

Oui.

Lis-le, puis dis-nous ... (LE TEMOIN COMMENCE LA LECTURE DU DOCUMENT À HAUTE VOIX) Non, non, lis-le pas fort, lis-le pour toi-même. (PUIS) Qu'est-ce que c'est, ça?

C'est «mon extrait».

Ton extrait de baptême?

...

Veux-tu le produire comme pièce p-l?

Oui.

Au mois d'octobre, où demeurais-tu?

Rue Couillard

C'est dans Québec, ça?

Oui.

Avec qui demeurais-tu là?

Ma mère, mon père, ma sœur ...

Qui, ta sœur?

Adèle.

Quel âge?

Quinze (15) ans.

Est-ce qu'il y en avait d'autres qui demeuraient là?

Mon frère, Marc.

Vous demeuriez dans la même maison?

Oui.

Voudrais-tu dire à la cour si, entre les mois d'octobre et décembre 1960, il se serait passé quelque chose, entre ton père et toi?

Oui.

Dis ça à monsieur le Juge, en parlant fort.

Mon père a fait du mal avec moi.

Qu'est-ce que ça veut dire: «a fait du mal»?

Il a mis son pipi dans mon pipi.

C'est arrivé chez vous, ça?

Oui.

Dans la maison?

Oui.

A quelle place, dans la maison?

Je comprends pas

Dans la cuisine, le salon, dans une chambre à coucher? A quelle place?

Une chambre.

Quelle chambre?

Ma chambre à moi.

Avec qui couchais-tu, dans cette chambre-là?

Avec ma sœur.

Est-ce arrivé plusieurs fois, ça?

Cinq, six fois.

A quel temps de la journée c'est arrivé?

Le midi.

Qui était dans la maison, à part toi, dans la maison, le midi?

Ma sœur, Adèle.

Est-ce qu'elle voyait faire ça, elle?

Oui.

Est-ce que d'autres, aussi, t'auraient vue?

Non.

De quelle façon ça arrivait, ces affaires-là? Etais-tu habillée ou déshabillée?

Déshabillée.

Est-ce toi qui te déshabillais?

Non.

Qui te déshabillais?

Mon père.

De quelle façon est-ce qu'il te déshabillait?

Il m'enlevait mes caleçons.

Tu veux dire ton pantalon?

Oui.

Qu'est ce qu'il faisait, là?

Il mettait son pipi dans mon pipi.

Est-ce qu'il y avait quelqu'un d'autre, dans la maison, avec toi?

Rien que Adèle.

Quelqu'un d'autre?

Non.

Ca arrivait comment, ça?

Le midi.

Est-ce que tu te déshabillais, pour ça?

Il ôtait mes pantalons.

Tu faisais ça de toi-même?

Non.

De quelle façon est-ce que ça arrivait?

Avec mon papa.

Est-ce qu'il te disait quelque chose, ton papa?

Non.

Est-ce que ça te faisait mal, ce qu'il te faisait?

Non.

Qu'est-ce qu'il faisait?

LE JUGE: «Elle l'a déclaré, tout à l'heure. »

Est-ce qu'il a fait autre chose que ça, avec toi?

Non.

C'est arrivé cinq, six fois?

Oui.

C'a arrêté quand?

Quand ma mère est revenue de l'hôpital.

Est-ce qu'à ce moment-là, quand ton père faisait ça, avec toi, ta mère était à l'hôpital?

Oui.

Ta mère est revenue quand, de l'hôpital?

Euh: ...

Cette année, en 1961?

Au mois de mai.

Est-ce que ton père t'aurait demandé quelque chose d'autre, à part ça, de faire autre chose avec toi?

Non.

Contre-interrogée par Me Barbette c. r

C'était toujours le midi ça?

Oui.

Quand ta mère était à l'hôpital, qui gardait la maison?

Ma sœur, Adèle.

Qui est-ce qu'il y avait, à la maison?

Moi, ma sœur Adèle et mes frères.

Combien de tes frères?

Trois (3).

Par le juge

Dans la maison, quand ça arrivait, ce que tu nous as raconté, tantôt, d'après ce que tu dis, il y avait, à part toi et ton père, ta sœur, Adèle?

Oui.

Est-ce qu'il y avait de tes frères qui étaient dans la maison, à ce moment-là?

Oui, rien que mon frère, Marc.

Quel âge a-t-il?

Douze (12) ans.

Par Me Barbette. c. r.

Tu avais trois frères qui demeuraient avec vous autres, à cet endroit-là?

Oui.

Est-ce qu'ils venaient manger à la maison, le midi, tes frères?

Oui.

Est-ce que ça se passait pendant qu'ils étaient là?

Non, après qu'ils étaient partis.

Est-ce qu'ils travaillaient tes frères?

Non.

Ton père, est-ce qu'il travaillait?

Oui.

Dans la maison, chez vous, il y a combien d'étages?

«Une» étage.

Il n'y a pas d'escalier pour monter en haut?

Non.

Il y a combien de chambres, en tout?

Deux.

Deux chambres à coucher?

Oui.

A part ça, qu'est-ce qu'il y a?

Un salon, une cuisine.

Tu dis que ça se passait dans ta chambre?

Oui.

Ta chambre, où tu couchais, avec Adèle?

Oui.

Adèle était-elle dans la chambre, à ce temps-là?

Euh: ... Non. Non.

Elle n'était pas là?

Non. Des fois, elle était dans la cuisine.

Peux-tu nous dire à peu près à quelle date se seraient passé ces choses-là?

Je ne suis pas sûre.

Dans le mois de mai?

Oui.

Cette année?

Non: l'année passée; maman était à l'hôpital.

Ce serait passé au mois de mai, l'année passée, 1960?

Oui.

Par le juge:

Quel âge avais-tu, dans ces temps-là?

Euh: ... Douze ans.

Par Me Barbette:

Il se serait passé ... ça se passait sur une période de combien de temps?

Euh: ... Cinq minutes.

Quand tu dis que c'est arrivé cinq, six fois, est-ce l'espace d'une semaine? d'un mois?

Une semaine ...

Cinq, six fois dans l'espace d'une semaine, au mois de mai 1960?

Oui.

Pour se rendre à ta chambre à coucher, de la cuisine, par où est-ce qu'il faut passer?

Dans la chambre de ma mère.

En entrant dans la maison, comment c'est divisé: est-ce qu'il y a un corridor, en entrant?

Non.

Dans quelle chambre est-ce qu'on entre de dehors?

On entre dans la chambre de ma mère puis dans ma chambre.

Est-ce qu'il y a une porte, en arrière et en avant, à cette maison-là?

Une porte en arrière.

Une porte en arrière, seulement?

Oui.

Quand tu rentres, où arrives-tu, exactement?

Dans la cuisine.

Et de la cuisine, où peux-tu aller?

Dans le salon.

Dans le salon puis dans la chambre de ta mère?

...

Alors, il n'y a que quatre pièces: deux chambres à coucher, un salon et une cuisine?

Oui.

Au mois de juin, cette année, où demeurais-tu?

Chez ma sœur.

Laquelle?

Yvonne.

Est-ce qu'elle est mariée, elle?

Oui.

Est-ce elle qui t'a dit de raconter ces choses-là?

Non.

Non?

...

Elle ne t'en a pas parlé, de conter ces choses-là?

Non.

Qui t'a dit de raconter ces choses-là?

C'est ma sœur Adèle.

Par le juge:

Qui t'a conseillé de dire ce que tu viens de raconter?

Ma sœur.

Ta sœur, Adèle?

Oui.

Par Me Barbette c. r.

Quand t'a-t-elle dit ça?

Avant que ma mère arrive.

A ce moment-là, est-ce que tu demeurais encore avec ton père?

Oui.

Tu n'étais pas encore rendue chez ton autre sœur?

Non.

Quand tu dis que ta mère est revenue au mois de mai, l'an passé, ce n'est pas le dernier mois de mai?

Non.

Quand est-elle revenue, ta mère, de l'hôpital?

C'est au mois de mai.

De quelle année?

...

Par le juge:

Est-ce cette année ou l'année précédente?

L'année précédente.

Réinterrogée par Me Christophe

Quand c'est arrivé, ces choses-là, avec ton père, est-ce que tu allais à la classe?

Non ... Oui, oui, j'allais à la classe.

Alors, est-ce que ce ne serait pas arrivé à l'automne ça, au mois d'octobre?

Oui.

Est-ce que ta maman était à la maison, à ce moment là?

OBJECTION PAR Me Barbette C. R.

OBJECTION MAINTENUE

Par le juge:

Est-ce arrivé au printemps, en été, en automne ou en hiver?

A l'automne.

Pourquoi as-tu déclaré que c'est arrivé au mois de mai?

...

Te souviens-tu avoir dit que c'était arrivé au mois de mai?

...

Te souviens-tu avoir déclaré ça, tantôt? Alors, est-ce au printemps ou à l'automne?

A l'automne.

Par Me Christophe:

Est-ce que c'était à l'automne, l'an passé, avant le dernier noël qu'on vient de passer?

Oui.

Alors, c'est en mil neuf-cent quoi?

1960.

Est-ce qu'au mois de mai, cette année, ton père ne t'aurait pas fait quelque chose?

Non.

OBJECTION PAR Me Barbette C. R.

Par Me Christophe:

Ta mère est revenue de l'hôpital avant noël ou après noël?

Avant noël.

Est-ce que ça s'est fait, avec ton père, avant que ta mère revienne de l'hôpital?

Oui. »

«Je suis un marchand d'instruments, un faiseur de recettes, un indicateur d'objectifs, un cartographe, un releveur de plan, un armurier.... » (Foucault, 1994, p. 725) aimait à se définir, on le sait, Foucault. Parmi les armes et les explosifs du philosophe qui se rêvait marchand de canon, l'archive était l'une de celles qu'il livrait à ses contemporains. Les relations de Foucault aux archives sont désormais bien connues; nous avons montré comment la lecture de pages noircies d'écrits d'infâmes anonymes enfermés à la Bastille et à Bîcetre fut déterminante dans son entreprise d'histoire de la folie (Artières & Bert, 2011). Mais les archives n'étaient pas tant pour lui la matière de ses travaux, leur chair que leur squelette. L'originalité sans doute de la démarche foucaldienne, notamment pour les Mots et les choses, fut de placer les archives, ces fragments de discours du passé, ces «blocs discursifs» comme structurant, articulant sa thèse plus que comme sources ou illustrations de sa pensée. Deux exemples sont très révélateurs de cette pratique de travail: le cours au Collège de France, «Le Pouvoir psychiatrique» (Foucault, 2003) est entièrement construit sur un canevas d'archives; il s'ouvre par une crise du souverain anglais et se ferme sur une scénette mettant en présence des hystériques et Freud, tandis que plusieurs autres archives viennent orienter en son cœur la démonstration. Dans «Surveiller et punir» (Foucault, 1975) on retrouve cette même fonction des archives comme clé de voûte du propos. Le récit du supplice de Damien n'est pas décoratif aussi spectaculaire soit-il; il est le premier élément d'une série d'archives que Foucault semble avoir dans un geste initial dépliées et agencées et à partir duquel il articule ses développements théoriques. Le cahier iconographique ouvrant le volume signe cette façon de travailler par montage. La récente découverte des archives de lecture de Foucault, ces milliers de fiches, constituées de citations est un autre signe de cette écriture.

Tenter de produire un diagnostic de la juridicisation de la société dans une perspective foucaldienne me semble passer par l'archive et c'est pourquoi j'ai consacré l'essentiel de cette contribution à la simple transcription d'un document, l'audition préliminaire dans une affaire d'abus sexuel sur des enfants au Québec au début des années 1960. Mais publier ainsi de l'archive n'est pas qu'une précaution méthodologique.

L'autre raison qui impose cette plongée dans l'archive pour tenter l'analyse de cette juridicisation de nos sociétés tient au sujet même. Ce processus s'appuie précisément sur la constitution de dossiers individuels, sur la formation de données personnelles tout au long de la vie d'un sujet ; la multiplication d'invention de nouveaux illégalismes passe par ces actes d'inscription. Il ne s'agit plus de faire dire, mais d'écrire le moindre de nos petits gestes, de suivre au plus près l'ordinaire des existences pour identifier les foyers corrompus. Progressivement l'œil du juge s'introduit à l'intérieur des maisons, des immeubles, des appartements, des chambres, des lits. De l'architecture aux flux dans le lieu de vie tout est scruté en détail. On fait des plans des espaces, on dessine des tableaux des emplois du temps, on reconstitue les circulations, on dresse le petit théâtre de la vie ordinaire de chacun. Il me Je suis un marchand d'instruments, un faiseur de recettes, un indicateur d'objectifs, un cartographe, un releveur de plan, un armurier leurs faits et gestes; en somme d'une littérature de l'infime, qui est aussi un théâtre de la cruauté. Je suis un marchand d'instruments, un faiseur de recettes, un indicateur d'objectifs, un cartographe, un releveur de plan, un armurier Je suis un marchand d'instruments, un faiseur de recettes, un indicateur d'objectifs, un cartographe, un releveur de plan, un armurier Je suis un marchand d'instruments, un faiseur de recettes, un indicateur d'objectifs, un cartographe, un releveur de plan, un armurier.

Recebido em 19/12/2013

Aceito em 21/09/2014

  • Artières, P. & Bert, J-F. (2011). Un succès philosophique. L'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault Paris: PUC/IMEC Editeur.
  • Foucault, M. (1975). Surveiller et punir Paris: Gallimard.
  • Foucault, M. (1994) Dits et écrits 1954-1988 Paris: Gallimard
  • Foucault, M. (2003). Le Pouvoir psychiatrique Paris: Gallimard/Seuil.
  • Endereço para correspondência

    LAHIC - IIAC -EHESS -
    105 Boulevard Raspail -
    75006 Paris, France.
    E-mail:
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    Conferência proferida no II Colóquio Internacional Michel Foucault: a Judicialização da Vida, em julho de 2013, na Universidade do Estado do Rio de Janeiro.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      26 Nov 2014
    • Date of issue
      Sept 2014
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