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Geografia: une expérience éditoriale transnationale aux premiers temps de L’Université de São Paulo et de L’Associação dos Geógrafos Brasileiros

Geografia: uma experiência editorial transnacional nos primeiros anos da Universidade de São Paulo e da Associação dos Geógrafos Brasileiros

RÉSUMÉ

Les premiers épisodes de la fondation puis du développement de l’Universidade de São Paulo (USP) furent le théâtre d’une aventure éditoriale transnationale autour de l’Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB) et de la Revista Geografia, dans laquelle les écoles française et brésilienne de géographie collaborèrent de manière à créer une pensée de synthèse, un imaginaire géographique globalisé. Le propos de ce texte est de traiter la manière dont se mit en place cette revue autour de Pierre Deffontaines, l’un des premiers exportateurs de l’école française au Brésil, afin de voir comment il considérait sa tâche et les objectifs qu’il se donnait. Cet article permettra en outre de présenter son apport éditorial grâce à l’importance accordée aux excursions, tant d’un point de vue scientifique qu’éducatif. Le développement de ce thème, ainsi que différentes participations de géographes français à cette revue apporteront un éclairage spécifique sur les ressorts de cette collaboration. En dernier lieu, nous aurons l’occasion de revenir dans cette aventure éditoriale sur le rôle central de Caio Prado Júnior aux côtés de Pierre Deffontaines.

Mots-clés
Revista Geografia; Pierre Deffontaines; Pierre Monbeig; Caio Prado Júnior; Université de São Paulo

RESUMO

Os primeiros episódios da fundação e do desenvolvimento da Universidade de São Paulo (USP) foram palco de uma aventura editorial transnacional em torno da Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB) e da Revista Geografia. Nessa história, as escolas francesa e brasileira de geografia colaboram para criar um pensamento de síntese, um imaginário geográfico global. O objetivo deste texto é discutir a maneira pela qual esta revista foi criada em torno de Pierre Deffontaines, um dos primeiros exportadores da escola francesa no Brasil, para ver como ele considerou sua tarefa e os objetivos que ele deu a si mesmo. Este artigo também permitirá apresentar sua contribuição editorial graças à importância dada às excursões, do ponto de vista científico e pedagógico. O desenvolvimento deste tema, bem como várias participações de geógrafos franceses nesta revista, lançarão uma luz específica sobre as fontes dessa colaboração. Por fim, a apresentação será uma oportunidade para retornar a esta aventura editorial sobre o papel central de Caio Prado Júnior ao lado de Pierre Deffontaines.

Palavras-chave
Revista Geografia; Pierre Deffontaines; Pierre Monbeig; Caio Prado Júnior; Universidade de São Paulo

Forger des outils pour exporter au Brésil la géographie française

En 1989, le géographe brésilien Orlando Valverde (1917-2006)1 1 Orlando Valverde fut l’un des fondateurs du Conselho Nacional de Geografia (Conseil national de géographie) de l’Instituto Brasileiro de Geografia et Estatistica (IBGE) ex-professeur visitant des universités de Los Angeles (UCLA), Heidelberg et Bordeaux, et de la Pontificia Universidade Católica PUC (Université catholique pontificale) de Rio de Janeiro. commentait en ces termes le caractère de son collègue français Pierre Deffontaines et la revue franco-brésilienne qu’il avait contribué à fonder : « la personnalité inquiète et extrêmement sympathique de Deffontaines a fait de lui plus qu’un professeur, un extraordinaire instigateur de travaux géographiques. Sous son impulsion, Caio Prado Júnior, Agenor Machado et un ou deux autres collègues, ont créé à São Paulo, en 1935 la très belle revue Geografia, qui ne connut que sept numéros2 2 Si la revue a bien été publiée en sept livres, il faut noter que cela représente les huit numéros. La numérotation particulière est notée comme suit : les quatre premiers numéros sont édités en quatre volumes : 1935, n°1 ; 1935, n°2 ; 1935, n°3 ; 1935, n°4. Les quatre derniers en revanche sont publiés en trois volumes : 1936, n°1 ; 1936, n°2 et 1936, n°3 ne formant qu’un seul volume ; 1936, n°4 » (VALVERDE, 1989, p. 80-82VALVERDE, O. « La coopération française dans la géographie brésilienne ». In: MARTINIÈRE G. ; CARDOSO L. C. (coord.), France-Brésil, vingt ans de coopération française (science et technologie), Paris-Grenoble, IHEAL/Presses universitaires de Grenoble.).

Cette collaboration éditoriale qu’évoque Orlando Valverde avec une certaine nostalgie fut la première d’une série à laquelle participa également un autre géographe français, Pierre Monbeig, ainsi que de nombreux intellectuels de São Paulo ayant contribué à l’aventure de la fondation de l’Universidade de São Paulo (USP). L’USP fut en cela un laboratoire éditorial où la collaboration entre des élites locales détentrices de savoirs spécifiques et des intellectuels français donna lieu à des échanges féconds.

Ce bref épisode éditorial et l’œuvre du géographe Pierre Deffontaines qui lui est liée permettent de questionner à la fois la façon dont on pense la circulation des idées géographiques, mais aussi la place accordée aux auteurs dans une logique transnationale. En quoi les travaux de Geografia furent-ils le fruit de dynamiques et de connexions transnationales ? En d’autres termes, comment lire dans ces circulations intellectuelles une certaine idée de la géographie véhiculée par des auteurs issus de l’école française au Brésil ? La fondation de l’USP et de l’Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB) en 1934 en furent des moments clés que nous analyserons dans cet article.

Les actions et déplacements brésiliens du géographe français Pierre Deffontaines donnèrent lieu à Geografia, une revue certes éphémère, mais intéressante à bien des égards. Ses travaux au sein de l’AGB furent fortement marqués par un vif désir d’incliner les recherches scientifiques de l’USP vers une géographie humaine qui, si elle ne délaissait nullement la géographie régionale cherchait à mettre l’homme au centre des préoccupations du chercheur. L’objectif du géographe français fut donc de constituer une bibliographie, d’éditer des livres et de mettre sur pieds des excursions pour mieux former les étudiants.

Deffontaines ne fut pas présent à São Paulo pour l’ensemble de la publication, et notamment pour les derniers numéros, car en 1936 date de leur livraison, Pierre Monbeig avait la charge de la chaire de géographie de l’USP, alors que lui-même se trouvait à Rio de Janeiro, à l’université du District fédéral. Mais, était alors à l’œuvre, un groupe de travail auquel Deffontaines avait pu fournir une ligne éditoriale au cours de discussions passées.

Le propos de cet article est donc de traiter la manière dont se mit en place cette revue d’abord autour de Pierre Deffontaines et de ses travaux, mais également de montrer les ressorts d’une collaboration éditoriale franco-brésilienne. Outre les apports éditoriaux à cette revue du fondateur de la chaire de géographie dans la métropole pauliste, cette collaboration se déploya à la lumière des différents textes qu’il y publia.

Nous verrons donc comment naquit une pratique nouvelle de la géographie, discipline jeune, afin de mieux comprendre les ambitions de Deffontaines pour Geografia. Les textes de la plume de Deffontaines ou d’autres collaborateurs permettent de comprendre quelle ligne géographique il voulut lui donner, en accord avec ses enseignements. Cette production, mise en regard avec les autres textes de géographes, nous permet d’illustrer au mieux la singulière expérience éditoriale d’une école française au Brésil.

Nous ne cherchons pas à minimiser le rôle de la géographie de Rio de Janeiro, mais plutôt à présenter un moment dans la trajectoire de Deffontaines qui, aux côtés des géographes brésiliens, apporta une contribution significative. L’attention est portée ici sur l’un des axes de cette riche collaboration que fut Geografia. Ce texte concerne donc prioritairement l’action de Deffontaines à l’université de São Paulo (USP), les cariocas n’étant alors que peu ou pas concernés malgré la présence du maître français à l’Universidade do Distrito Federal dès 1935.

Pierre Deffontaines, exportateur de la géographie française, administrateur de la géographie brésilienne

Lorsque Pierre Deffontaines partit pour le Brésil, il reçut pour mission de mettre en marche et d’administrer la géographie brésilienne. À l’arrivée, les professeurs des missions furent confrontés à une université quasi inexistante. Dès lors, tout était à faire, tant du point de vue des cours à professer que de celui de l’administration de la nouvelle institution qu’ils devaient créer (LEFÈVRE, 1993 LEFÈVRE, J.-P. Les missions universitaires françaises au Brésil dans les années 1930. In: ______. Vingtième Siècle, Revue d’Distoire, n. 38, avril-juin, 1993. p. 24-33.; DELFOSSE, 1998DELFOSSE, C. « Le rôle des institutions culturelles dans la diffusion des idées géographiques : l’exemple de Pierre Deffontaines », Finisterra, 1998, vol. XXXIII, Paris, p. 139-151.; FERRETTI, 2014FERRETTI, F. « Pierre Deffontaines et les missions universitaires françaises au Brésil : enjeux politiques et pédagogiques d’une société savante outremer (1934-1938) ». Cybergeo : European Journal of Geography [Online], Epistemology, History, Teaching, 2014: document 703, Online since 24 December, connection on 28 October 2018. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/26645 ; DOI : 10.4000/cybergeo.26645.
http://journals.openedition.org/cybergeo...
; HUERTA, 2011HUERTA, A. « Sur les traces de la géographie culturelle », Géographie et cultures [En ligne], 77, 2011, mis en ligne le 25 février 2013, consulté le 11 octobre 2018. URL : URL : http:// journals.openedition.org/gc/959 ; DOI : 10.4000/gc.959.
http:// journals.openedition.org/gc/959 ...
; 2017HUERTA, A. « Exportateur d’une géographie française au Brésil, Pierre Deffontaines, artisan de la géographie brésilienne », Confins [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 01 février 2018, consulté le 28 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/confins/12605 ; DOI : 10.4000/confins.12605.).

Les premiers temps du professeur furent employés à ses cours. Dans cette perspective, il reprit ses leçons antérieures, notamment celles concernant la géographie humaine et les dispensa à ses élèves de São Paulo et de Rio de Janeiro. Il les valorisa ensuite grâce à ses connaissances acquises peu à peu par la pratique du terrain brésilien. Il est intéressant ici de rappeler le propos de Paulo Cesar Gomes da Costa et de Laurent Vidal, qui, s’il s’applique aux cas de Roger Bastide et Pierre Monbeig, n’en reste pas moins valide pour Pierre Deffontaines : « En apprenant leur métier d’enseignant à l’université, ils se sont découverts chercheurs, mais leur éloignement d’une ‘rassurante’ Sorbonne les a contraints d’adapter leurs méthodes et pratiques aux réalités locales » (GOMES; VIDAL, p. 178VIDAL, L.; GOMES, P. C. da C. « Déplacement des savants, déplacement des savoirs. Le glissement des concepts sur le sol meuble du Brésil. Les exemples de Roger Bastide et Pierre Monbeig ». Bastidiana, juillet-décembre, n. 35-36, 2001. (Sociologie de la connaissance, dirigé par Jean Duvignaud),).

Dans cette adaptation des méthodes, il fit participer ses étudiants, ce qui, au moins, eut pour effet de les intéresser à la géographie de leur propre pays. Ainsi, Pierre Deffontaines insista sur la géographie humaine, sur les manières de créer du territoire, d’aménager l’espace. Dans une lettre du 23 juillet 1935, il rappela son rôle dans la création cartographique à destination des scolaires, et notamment pour la carte de São Paulo3 3 SOFE 439, pièce 3 : Lettre de Pierre Deffontaines du 23 juillet 1935, se réjouissant des compliments qu’il a reçus sur son action brésilienne. , sur laquelle il revint dans la lettre du 7 décembre 19364 4 SOFE 440, pièce 2, Lettre de Pierre Deffontaines du 7 décembre 1936 s’indignant à propos de la carte scolaire qu’il a établie pour l’État de Saint-Paul et qui fit l’objet de débats à l’Assemblée législative brésilienne. , compte tenu de l’incompréhension des parlementaires brésiliens sur ce travail destiné en priorité aux scolaires et universitaires (DEFFONTAINES, 1936DEFFONTAINES, P. « Critica e Notas. Mappa physico, económico e político do Estado de São Paulo », Geografia, vol. Ano II, n. 1, p. 30, 1936.).

Cependant, dans le cadre de ses cours, il présenta toujours des techniques géographiques nécessitant l’utilisation de cartes d’état-major, et l’on en trouve mention dans une lettre au ministère des Affaires étrangères5 5 SOFE 440, pièce 1, dossier sur la demande de cartes de villes françaises, telles Nancy, Commercy, Paris, Agen, Loches, Brive, Saint Omer, Montbéliard, Grenoble et Privas. . Du point de vue des créations, notons que même si Deffontaines « n’est resté qu’un an à l’université de São Paulo, … il y [laissa] un esprit d’enthousiasme pour la géographie qui ne s’est jamais éteint » (VALVERDE, 1989, p. 80-82VALVERDE, O. « La coopération française dans la géographie brésilienne ». In: MARTINIÈRE G. ; CARDOSO L. C. (coord.), France-Brésil, vingt ans de coopération française (science et technologie), Paris-Grenoble, IHEAL/Presses universitaires de Grenoble.). En 1934, précisément, nous l’avons déjà dit, Deffontaines créa l’AGB sur le modèle de l’Association des géographes français. Ayant accepté un enseignement à Rio de Janeiro en 1935, il n’eut de cesse de fonder, là aussi, une annexe nouvelle de l’Association des géographes brésiliens qui, toutefois, n’entretint que peu de contacts avec sa sœur pauliste (Ibidem). Cette étape est structurante dans le développement de Geografia et quelques éléments de programme de géographie pour l’université de Rio de Janeiro proposés par Pierre Deffontaines en 1935 devraient permettre rétrospectivement d’éclairer son état d’esprit après avoir quitté l’USP et avant d’arriver à Rio de Janeiro6 6 Source : Archives Proedes, UDF 01 CUR PRO 13, UDF 106. .

Pour la première année, il préconisait « de mettre en égalité l’enseignement de la géographie physique (physiographie) et la géographie humaine, celle-ci comprenant aussi la géographie économique, et de leur donner à chacune trois heures par semaine. Il serait très désirable d’ajouter aux cursos de conteúdo l’enseignement de la géographie du Brésil au moins une heure par semaine. » Plus loin, c’est sur l’histoire du Brésil qu’il souhaitait insister, « dans les cursos de fundamento, [il pensait qu’on pouvait] réduire les heures de la paléographie et du dessin et laisser une place plus grande à l’histoire et notamment à l’histoire des découvertes et à l’histoire du Brésil. » Enfin, propagandiste d’une pensée française il s’exprimait « pour la question langue, il [lui paraissait] regrettable de donner deux heures à l’anglais et l’allemand et de ne rien prévoir pour le français étant donné la civilisation même du Brésil. Il [lui semblait] qu’il faudrait donner une heure de français et une heure d’anglais ou d’allemand ». La place accordée à la géographie de langue française dans Geografia se comprend mieux au vu de l’importance qu’il accordait aux questions linguistiques et civilisationnelles.

Pour la deuxième année, il considérait « que la part du dessin cartographique et dessin simple [était] exagéré et qu’il suffirait d’une heure. On pourrait à la place prévoir un enseignement d’économie politique et aussi continuer le cours de géographie du Brésil. La connaissance du pays et la manière d’apprendre cette connaissance doivent être un but capital de l’enseignement supérieur géographique ». Tout en considérant que les géographes se doivent de dessiner, comme sa carrière a bien pu le montrer, l’accent doit être mis sur des questions de culture générale afin de préparer les étudiants à leur troisième année où il fallait « laisser beaucoup plus de liberté aux étudiants [pour] qu’ils puissent commencer à faire un peu d’observation et du travail personnel. Il faut prévoir surtout des leçons d’étudiants rédigées et enseignées par eux et ensuite critiquées et reprises par le professeur. Il faut aussi prévoir un stage pédagogique fait par l’étudiant pour s’habituer à l’enseignement ».

Faire participer les étudiants, les pousser à l’autonomie pour développer les recherches géographiques sur le Brésil : ce programme qu’il proposa à Rio de Janeiro était, à grands traits, celui de Geografia.

On voit bien que Deffontaines, fort de son expérience pauliste, chercha à faire prospérer la géographie humaine, tout comme l’histoire, matière qu’il affectionnait particulièrement. Il en fut de même pour les langues vivantes et notamment pour le français qui devait avoir une place de choix, afin de mieux servir les intérêts de la France face à la concurrence internationale. Pour lui, il était indispensable que l’accent fût toujours porté sur le Brésil et sa géographie, son magistère devant être mis au profit de la connaissance du pays. Il lui était important enfin que peu à peu, les étudiants s’émancipent en troisième année. Le travail devait alors clairement devenir personnel afin que chacun puisse faire avancer les sujets évoqués par Deffontaines. Les techniques d’études et de présentation orale furent toujours au cœur de ce dispositif.

Dans ce vaste mouvement de revalorisation de l’université brésilienne, Pierre Deffontaines se vit en quelque sorte confier le rôle d’un ambassadeur de la culture en général et de la culture française en particulier. Deffontaines fut donc « chargé de former pour le Brésil et plus particulièrement pour les États de São Paulo et de Rio de Janeiro, une équipe de jeunes géographes qui s’attacherait aux problèmes du pays, problèmes physiques et humains » (DEFFONTAINES apud DELFOSSE, 1998DELFOSSE, C. « Le rôle des institutions culturelles dans la diffusion des idées géographiques : l’exemple de Pierre Deffontaines », Finisterra, 1998, vol. XXXIII, Paris, p. 139-151.). Car avant l’arrivée des professeurs français, il n’y avait pas beaucoup de structures pour former les jeunes géographes, et ce « malgré la diffusion de la langue française dans les milieux cultivés brésiliens (…) la géographie française ne [fut] connue dans ce pays que dans la deuxième décennie de ce siècle lorsque le jeune professeur Carlos Delgado de Carvalho [commença] à enseigner au collège Pierre II et à l’École normale à Rio de Janeiro. (…) Dans le domaine de la recherche cependant, il ne lui fut pas possible de faire école pour la simple raison que la géographie ne faisait pas l’objet de cours de niveau universitaire jusqu’au milieu des années 1930 (…) » (VALVERDE, 1989VALVERDE, O. « La coopération française dans la géographie brésilienne ». In: MARTINIÈRE G. ; CARDOSO L. C. (coord.), France-Brésil, vingt ans de coopération française (science et technologie), Paris-Grenoble, IHEAL/Presses universitaires de Grenoble.). Cela ne l’empêcha nullement de contribuer à fonder une belle revue, et ce en très grande partie grâce à l’AGB qui en permit le développement grâce à ses membres.

Parmi les personnes réunies, peu, nous rappelle Monbeig, avaient une formation de géographe (MONBEIG, 1979MONBEIG, P. « Hommage à Pierre Deffontaines », Acta Geographica, Société de géographie, Paris, 1979, p. 3-24.). En fait nous dit-il, c’était essentiellement des membres des classes supérieures ayant tous des liens étroits avec la francophilie. Cette association fut formée sur le modèle, si connu de lui, des sociétés de géographie françaises, celles-là mêmes qui permirent dans une large mesure de mettre en place et d’asseoir l’institutionnalisation de la géographie en France en tant que science (LEJEUNE, 1992LEJEUNE, D. « Les membres des Sociétés de géographie au XIXe siècle ». 1992).

Ce travail fut initié à São Paulo, puis poursuivi et renforcé lors de missions de Deffontaines à Rio. La géographie à l’université en sortit renforcée tout comme l’Association des géographes brésiliens. Cependant l’organisation de la géographie universitaire ne s’arrêta pas là, puisqu’il fonda également, avec l’aide d’Emmanuel de Martonne, l’Institut de géographie et de statistique de l’université de Rio de Janeiro. Il s’attela également à l’organisation du Conseil national de géographie du Brésil, qui n’était rien d’autre que la section brésilienne du Comité international de géographie. Dans cette optique et par le rayonnement français auquel il contribua, en faisant valoir les avancées de la science dans la matière qui l’intéressait, Pierre Deffontaines fut non seulement un représentant de la géographie, mais aussi un ambassadeur de la culture française.

Ce faisant, c’est aussi au développement de la géographie brésilienne qu’il participa, ne se contentant pas de former une géographie administrative, mais participant à la création de la géographie du pays, de sa découverte. Pierre Deffontaines, l’homme et le géographe, s’acclimata peu à peu à son nouveau cadre d’existence, à ses nouvelles missions en terre brésilienne. De ces missions universitaires à son intégration sociale et professionnelle, il n’y eut qu’un pas qui fut rapidement franchi. Il habita tous les jours un peu plus le pays qui l’accueillait. Et tous les jours, le Brésil un peu plus habitait cet hôte si curieux. Dès lors, d’un géographe au Brésil, Deffontaines devint un géographe du Brésil. Dans le même temps, la discipline qu’il professa avec ses collègues s’implantait définitivement.

Au croisement de la géographie et de l’ethnologie : la géographie selon Pierre Deffontaines dans la revue Geografia.

En novembre 1934, lors de son premier voyage lié à la création de l’université de São Paulo, Geneviève Deffontaines dans le journal de la famille relatait : « Pierre fait des excursions remarquables en pleine forêt vierge, à l’avant d’une locomotive, à dos de mulet ou de longues randonnées à pied, rencontre de serpents, chasse aux oiseaux. Il pénètre la vie brésilienne de l’intérieur, approfondit sa connaissance du peuplement, des cultures, des fazendas, les grandes [texte manquant]. Ses étudiants restent passionnés et achèvent l’année par de bons diplômes. Il fonde un cercle de géographie, très vivant, écrit la préface de quelques récits d’exploration brésilienne, [Texte présentant une coquille laissant deux choix au lecteur : ‘exploration’ ou ‘exploitation’.] son livre sur la forêt est traduit en espagnol, ses lettres sont pleines de récits et aussi de ses désirs de vie familiale (…). » De cette citation présentant divers types d’informations, nous ne retiendrons pour l’instant que le caractère de découverte de ces explorations qu’il menait. C’est en chercheur géographe qu’il pénétrait « la vie brésilienne de l’intérieur7 7 Voir p. 84 du Livre de nos jours, vol. 1, du 25 mars 1928 au 10 novembre 1938. », son objectif était bien de mettre en place sa vision disciplinaire dans sa mission. Et la revue Geografia en fut bien un moyen privilégié.

Dans le dernier numéro de la revue Geografia, Deffontaines publiait un texte présentant ses ambitions quant à l’excursion, ses méthodes et ses attendus scientifiques. Ce texte était éminemment représentatif de sa pensée. En effet, son programme, ainsi résumé, trouvait encore une fois une origine dans son ‘bréviaire’ de vulgarisation, le Petit guide du voyageur actif, où venaient consignés de manière très simple, ce qu’est voyager et se promener8 8 Nous utilisons dans ce travail la troisième édition : Pierre Deffontaines, Petit guide du voyageur actif. Comment connaître et comprendre un coin de pays ?, Les Éditions sociales françaises, Paris, 3° édition 1949, 49 p. Cet ouvrage présentant des méthodes d’excursion est influencé, d’un côté par une certaine forme d’anthropologie historique et culturelle, et de l’autre par la participation de Pierre Deffontaines aux Équipes sociales de Robert Garric, celles-là même qui avaient pour objectif de vulgariser les savoirs intellectuels à l’aide d’enseignements mutuels pour entretenir une conscience sociale, ne tenant pas compte des différentes classes. Cela se retrouve, bien sûr, dans les objectifs écrits de ce livre et dans la manière de présenter les différentes populations. Face au grand succès de ce livre (il y eut de nombreuses rééditions de cet ouvrage). Voir à ce propos André Caudron, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, tome 4 : Lille-Flandre, Paris, Beauchesne, 1990, p. 150-151, « Le Petit guide du voyageur actif est tiré à 300.000 exemplaires et utilisé notamment par des générations de scouts ». et, surtout, faire de la géographie. Deffontaines y recommandait précisément de « déceler l’étonnante variété des paysages et surtout la minutieuse complexité de la mécanique des vies humaines » (DEFFONTAINES, 1949, p. 3DEFFONTAINES, P. « Critica e Notas. Mappa physico, económico e político do Estado de São Paulo », Geografia, vol. Ano II, n. 1, p. 30, 1936.). Nous posons que ces préceptes déclinés dans son vade-mecum géographique eurent valeur programmatique dans ces missions brésiliennes et la mise en place de cette revue. Nous pouvons donc lire, dans ce manuel, la méthodologie qui devait être, en quelque sorte, celle des géographes qu’il entendait former, notamment grâce aux excursions (HUERTA, 2011HUERTA, A. « Sur les traces de la géographie culturelle », Géographie et cultures [En ligne], 77, 2011, mis en ligne le 25 février 2013, consulté le 11 octobre 2018. URL : URL : http:// journals.openedition.org/gc/959 ; DOI : 10.4000/gc.959.
http:// journals.openedition.org/gc/959 ...
).

Il était donc presque naturel dans ce contexte d’exploration de voir apparaître, dès la seconde année de publication de Geografia, une section Cadeira de geografia qui relatait ces excursions9 9 Sous le titre complet de Cadeira de Geografia da Faculdade de Filosofía, Ciencias e Letras da Universidade de São Paulo. . Il y était rendu compte des excursions menées par le corps géographique de São Paulo. Deux excursions furent relatées dans ces pages. Si dans le second article (SILVEIRA, 1936SILVEIRA J. D. da. « Excursão ao trecho da estrada Mayrink-Santos », Geografia, Ano II, n. 2-3, 1936, p. 73-77.), Deffontaines n’était pas présent, ce n'est qu'en 1936DEFFONTAINES, P. « Critica e Notas. Mappa physico, económico e político do Estado de São Paulo », Geografia, vol. Ano II, n. 1, p. 30, 1936. Monbeig avait pris la relève comme nous l’avons signalé plus haut. Dans la première livraison en revanche, la paternité de Deffontaines dans ces pratiques était très largement mise en avant, rappelant, si besoin était, sa responsabilité dans le processus alors établi (ORLANDI, 1936ORLANDI, J. de O. « Excursão ao morro de Jaraguá », Geografia, n. 1, p. 43-48.). Nous pouvons y lire que « dès que le professeur Pierre Deffontaines a assumé la charge de la chaire de géographie de la Faculdade de Filosophia, Ciências e Letras de l’Universidade de São Paulo, il a donné aux études géographiques une empreinte relativement orientée vers la pratique de manière à faire que les élèves reçoivent à côté des explications théoriques, la connaissance directe et substantielle de la matière. En septembre 1934 fut réalisée, à son initiative, la première excursion géographique instructive au Morro do Jaraguá, aux alentours de la ville de São Paulo. (…) Cette excursion d’études réalisée par le professeur Deffontaines au Jaraguá est, ainsi, digne d’être notée pour ce qu’elle présente d’utile et de prometteur à la formation culturelle, positive10 10 Notons au passage les attentes purement positivistes de certains Brésiliens quant à la géographie française. Partiellement ‘trompés sur la marchandise’, ils la développèrent cependant de fort belle manière. Voir sur ces questions de construction de l’école française de géographie en contre-pied du positivisme les commentaires d’Olivier Orain qui rappellent que « peu ou prou, la géographie universitaire française (…) n’a jamais été très directement concernée par le positivisme comme doctrine rigide, rectrice des pratiques savantes ». Voir le site <http://www.esprit-critique.net/>, consulter l’article d’Olivier Orain, « Un cours sur le positivisme », Esprit critique [en ligne] : <http://www.esprit-critique.net/article-12642840.html>. , des futurs géographes et sociologues » (ORLANDI, 1936ORLANDI, J. de O. « Excursão ao morro de Jaraguá », Geografia, n. 1, p. 43-48.).

Il s’en suivit donc que la publication du Pequeno guia do viajante ativo fut très significative aux yeux de Deffontaines qui chercha à mettre en place ses méthodes de prospection scientifiques11 11 Il s’agit d’une traduction portugaise des grandes lignes de son ouvrage programmatique qu’est le Petit guide du voyageur actif, décliné en de nombreuses éditions. Voir Deffontaines et C. A. B. de Oliveira, « Pequeno guia do viajante ativo », Geografia, 1936, vol. II, n°4, p. 9-14 pour la version portugaise ; Pierre Deffontaines, Petit guide du voyageur actif. Comment connaître et comprendre un coin de pays ? Les Éditions sociales françaises, Paris, 3° édition 1949, 49 p. pour la version française de référence. . Il explora donc et engagea constamment à l’exploration, ce qui se manifesta également par la publication d’un texte synthétique de João Dias de Silveira, A excursão no ensino de geografia (SILVEIRA, 1936SILVEIRA J. D. da. « Excursão ao trecho da estrada Mayrink-Santos », Geografia, Ano II, n. 2-3, 1936, p. 73-77.b). Dans ce texte, l’auteur revient sur l’importance de l’excursion, en décrivant les atouts pédagogiques et se plaçant sous le patronage d’Emmanuel de Martonne, Pierre Monbeig et Pierre Deffontaines. Deux comptes rendus d’excursion venaient de plus présenter dans des cas pratiques l’intérêt de telles modalités (ORLANDI, 1936SILVEIRA J. D. da. « Excursão ao trecho da estrada Mayrink-Santos », Geografia, Ano II, n. 2-3, 1936, p. 73-77.; SILVEIRA, 1936SILVEIRA J. D. da. « Excursão ao trecho da estrada Mayrink-Santos », Geografia, Ano II, n. 2-3, 1936, p. 73-77.). En cela, nous pouvons affirmer que l’excursion fut un objet culturel particulier pour Geografia, partant d’une discipline française et s’intégrant peu à peu dans les pratiques géographiques brésiliennes. L’expérience éditoriale de Geografia eut également ceci de notable qu’à travers les publications de géographes français, elle forma un instantané de l’école française au Brésil.

L’école française au Brésil et la ligne éditoriale de Geografia: vers de bonnes monographies.

Dès 1934 et son arrivée au Brésil, où il fut engagé pour inaugurer la chaire de géographie dans la toute nouvelle université de São Paulo, Pierre Deffontaines, nous l’avons déjà souligné, mit en place avec Luiz Flores de Morães Rego, Rubens Borba de Morães et Caio Prado Jr. l’Association des géographes brésiliens (ZUSMAN, 2004ZUSMAN, P. B. « Pierre Deffontaines y la fundación da AGB », VI° Congresso Brasileiro de Geografia. Mesa Redonda Os primeiros anos da AGB. Goiânia, 2004.). Parmi les objectifs de l’association, relevons outre l’organisation de réunions visant à l’exposition de problèmes géographiques par ses membres et la constitution d’une bibliothèque spécialisée, l’organisation d’excursions en commun pour l’étude de différentes questions géographiques12 12 Pierre Deffontaines ; Luiz Flores de Moraes Rego ; Rubens Borba de Morães ; Caio Prado Jr. Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB), Ata de fundação - 17 Setembro. 1934. . Ce deuxième point marqua tout particulièrement les objectifs de cette association et en particulier ceux que voulait lui donner Deffontaines. À cette époque, arrivant juste à São Paulo, sa volonté de s’y installer et d’y faire école était forte. Il prit en effet très à cœur le déroulement des études géographique dans cette métropole et s’impliqua amplement dans le développement de la chaire dont il avait la charge13 13 La correspondance présente à l’Instituto de Estudos Brasileiros, constituée de 9 lettres de Pierre Deffontaines à Caio Prado Jr. est sur ce point extrêmement intéressante. Fonds Caio Prado Jr Dossier AGB. .

Ainsi, son texte sur Regiões e paisagem do Estado de São Paulo: Primeiro esboço de divisão regional fut pour lui l’occasion de se présenter comme l’un des futurs chefs de file de la géographie pauliste : « Mon texte n’est encore qu’une première esquisse mais il contribuera à faire mieux connaître l’État ce qui est un des buts essentiels d’un enseignement géographique à l’université. Cela me paraît le premier stade de toutes nos recherches régionales. À vous maintenant d’y reprendre chaque région une par une et d’essayer d’établir de bonnes monographies régionales à la fois physique et humaine14 14 Voir la lettre de Pierre Deffontaines [Correspondance professionnelle] Lettre manuscrite du 16 février 1935 écrite de Lille à Caio Prado Júnior. En-tête : Société de géographie de Lille, 1935. Coll. Provenance : IEB - Fonds CPJ - Dossier AGB-Correspondência entre socios e a AGB, Cote : 02, 01, 01, 04. ». Car Deffontaines dit alors avoir un grand intérêt pour toute géographie touchant à l’État de São Paulo. Il espérait que sa participation à Geografia « témoignerait de [son] grand attachement à toute l’œuvre géographique dans l’État de Saint Paul » peut-on lire dans la lettre qu’il adresse à Caio Prado Jr.15 15 Fonds Caio Prado Jr. Dossier AGB [Lettre de Pierre Deffontaines à Caio Prado Jr.]. Correspondência entre socios e a AGB. Cote : 02, 01, 01, 05. Lettre en date du 01/3/1935.

Deffontaines eut dans cette tâche, des collaborateurs prestigieux dont l’un en la personne de Pierre Monbeig, qui, sur les conseils d’Henri Hauser décida, en 1935MONBEIG, P. « A zona pioneira do Norte-Paraná », Geografia, n. 3, 1935, p. 221-238. de répondre à l’invitation du Brésil pour participer à la construction de l’université de São Paulo. Il œuvra à la consolidation des départements de sciences humaines, dans la toute jeune faculté de philosophie, sciences et lettres, inaugurés un an plus tôt (60 anos de USP, 1994)16 16 Pour le 60e anniversaire de l’université de São Paulo, les Brésiliens rendaient hommage aux fondateurs dans un numéro de la revue Estudos avançados. On y trouve notamment des témoignages sur les enseignements de Pierre Monbeig, Fernand Braudel et Roger Bastide. . Il remplaça Pierre Deffontaines sur la chaire de géographie, ce qui lui permit de rencontrer des jeunes gens de son âge travaillant dans d’autres disciplines (historiens, économistes, sociologues, ethnologues en particulier). Quel meilleur apprentissage à la pluridisciplinarité! Ne disait-il pas? : « Le fait que nous soyons un groupe de cinq ou six jeunes, de disciplines différentes, a été très utile, en tout cas pour moi. Je crois que cela n’a pas été inutile pour les autres non plus » (MONBEIG, 1991, p. 31MONBEIG, P.; BATAILLON, C. « Les années de formation ». In: THÉRY, H., DROULERS, M. (coord.), Pierre Monbeig. Un géographe pionnier, Paris, IHEAL, 1991, p. 27-34 (Coll. Travaux & Mémoires de l’IHEAL, 55).).

Monbeig, avant le Brésil était un pur produit de la géographie vidalienne, comme il le faisait remarquer lui-même (Idem). La thèse qu’il avait projetée sur les Baléares allait dans ce sens : « une étude classique, dans la ligne de la géographie humaine de l’époque » (Idem, p. 29). Ses voyages et ses longs séjours au Brésil devaient changer radicalement cette perspective.

Parmi les articles significatifs issus de cette collaboration entre membres de l’école française autour de Geografia, nous pouvons donc noter celui de Pierre Monbeig sur « A zona pioneira do Norte-Paraná ». Cet article a ceci d’intéressant que l’auteur y indiquait dès son paragraphe introductif l’importance des remarques faites par Pierre Deffontaines dans son article sur « Regiões e paisagems do Estado de São Paulo (…) » (DEFFONTAINES, 1935DEFFONTAINES, P. « Critica e Notas. Mappa physico, económico e político do Estado de São Paulo », Geografia, vol. Ano II, n. 1, p. 30, 1936.). Monbeig se référait en effet directement à son prédécesseur, notant prendre en un sens sa suite et celle de ses travaux sur la délimitation des régions de l’État de São Paulo. Cet article nous dit Monbeig était « en vérité, une invitation au travail. » Il expliquait notamment que la présentation faite par Deffontaines des zones pionnières nécessitait de par leur intérêt géographique propre, d’être développée. Il faisait en particulier référence à la conclusion du texte de Deffontaines au signalement que l’on y trouve de l’entreprise de colonisation Terras Norte do Paraná qui accompagne la création de la voie ferrée São Paulo-Paraná. Après les grandes études d’Isaiah Bowman au sein de l’American Geographical Society sur les fronts pionniers canadiens ou australiens, l’heure était au Brésil (Ibidem). Cet enchaînement de deux articles et de la conclusion de Deffontaines, puis de l’introduction de Monbeig nous semblent significatifs d’une concordance éditoriale forte.

Par ailleurs, un article d’Emmanuel de Martonne fut également publié présentant « A serra do Cubatão: comparação com um canto das Cevennes Francêsas » (MARTONNE, 1935). Enfin, il faut également noter la présence d’un texte de l’ethnographe Jehan Albert Vellard sur « Os Guyakis do Paraguya » (VELLARD, 1936VELLARD, J. A. « Os Guyakis do Paraguya », Geografia, n. 1, 1936.). Ces auteurs venaient renforcer le caractère francophone de Geografia et permettaient de lui accorder un surplus de crédibilité, Emmanuel de Martonne étant alors grandement reconnu sur la scène géographique internationale. Aux côtés de leurs collègues, français et brésiliens, ils formèrent cette école française au Brésil et en diffusèrent les préceptes par le truchement d’une expérience éditoriale inédite.

Une certaine géographie française se développa donc, peu à peu, en terre brésilienne autour de l’USP et de l’AGB. Elle se concentra sur les aspects les plus culturels et se déploya par le biais de canaux que Deffontaines mit en place avec ses collaborateurs. Ces médias furent essentiellement cette AGB qui avait vocation de promouvoir la géographie brésilienne, mais aussi très rapidement, la revue dont elle était à l’origine, Geografia. Deux moyens de diffusion privilégiés pour que Deffontaines ait pu se faire le propagandiste d’une certaine forme de géographie.

Conclusion : Caio Prado Júnior et Pierre Deffontaines à l’œuvre.

En guise de conclusion à cette brève présentation d’un groupe de scientifiques unis autour d’un projet de revue, il est absolument nécessaire de revenir sur le rôle prépondérant des deux grands artisans de cette expérience, Caio Prado Júnior et Pierre Deffontaines. Si Deffontaines put apporter sa vision scientifique, nous l’avons vu, cette revue fut publiée grâce à Caio Prado Júnior. Ce dernier sut dialoguer avec les préceptes scientifiques de Deffontaines, les intégrer et les valoriser tout comme il sut dialoguer avec ceux d’un autre missionaire que fut Fernand Braudel (IUMATTI, 2018IUMATTI, P. « Historiographical and Conceptual Exchange between Fernand Braudel and Caio Prado Jr. in the 1930s and 1940s: a Case of Unequal Positions in the Intellectual Space between Brazil and France. », Storia della Storiografia, 71, 2018, p. 89-110.). Et, en effet, Caio Prado Júnior, en bon connaisseur de la société pauliste utilisa ses réseaux afin d’établir des contacts avec un éditeur pouvant assurer la production et la diffusion de cette nouvelle revue (ANTUNES, p. 100ANTUNES, C. da F. A Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB) - origens, idéias e transformações: notas de uma história, dir. Ruy Moreira, Universidade Federal Fluminense, Niterói, 2008, 311 p.). Ainsi la correspondance exploitée par Charles Antunes da França permit de montrer toute son importance dans le travail préparatoire à cette aventure éditoriale. Si Deffontaines, puis Monbeig impulsèrent une direction scientifique, les aspects économiques furent facilités grandement par Caio Prado. Cependant, il s’impliqua fortement dans la tonalité à donner au titre. Il écrivit ainsi dans une note circulaire destinée aux autres membres : « Acha-se no prelo, devendo brevemente sair a publicidade o primeiro número de Geografia, publicação trimestral da nossa Associação, que assim, apesar das dificuldades e obstáculos que teve de vencer, vem preencher um dos pontos fundamentais do seu programa: divulgar os conhecimentos geográficos e interessar o público por uma ciência da maior importância cultural e prática » (CIRCULAR-AGB, 25 de março de 1935, cité par Antunes, idem, p. 103). Des conceptions que ne renia pas Deffontaines puisque Caio Prado vantait également la vulgarisation et l’exigence scientifique dans un même mouvement pour que cette revue reflétât une science se voulant également pratique.

Il eut également l’occasion d’insister sur l’importance du soutien de tous les membres : « Precisamos nesta emergência do apoio de todos os membros da Associação. Vimos por isso solicitar-lhe com empenho que contribua com o seu esforço para que possamos fazer de Geografia uma publicação digna da nossa Associação e da ciência brasileira. » (CIRCULAR-AGB, 25 de março de 1935 cité par Antunes, ibidem).

Ainsi l’étude de la participation de ces Français géographes dans un périodique à la vie brève, mais emblématique permet de comprendre une expérience éditoriale transnationale dans un cadre universitaire. En un sens cette revue, dont la genèse et le développement furent transnationaux, permit à la mesure de sa courte existence la synthèse d’une pensée réunissant plusieurs éléments scientifiques, éducatifs et éditoriaux issus de France et du Brésil en un imaginaire géographique globalisé.

Bien sûr Deffontaines et Monbeig ne furent pas les seuls géographes français à œuvrer dans le sens d’une intense coopération franco-brésilienne. Au Brésil, dans leur sillage de nombreux autres scientifiques travaillèrent dans ce pays. Francis Ruellan, par exemple, participa à la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’exportation d’une certaine géographie en Amérique latine. Ainsi à Rio de Janeiro, il laisse des traces aussi singulières qu’indélébiles : en 1949 il fut choisi par le président de la République, Eurico Gaspar Dutra, pour déterminer le site de l’implantation de la future capitale de son pays, Brasilia. D’autres suivirent nombreux consolidant jusqu’à nos jours la coopération française et la géographie à l’aune du Brésil.

Références

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  • ANTUNES, C. da F. A Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB) - origens, idéias e transformações: notas de uma história, dir. Ruy Moreira, Universidade Federal Fluminense, Niterói, 2008, 311 p.
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  • DEFFONTAINES, P. « L’Industrie cotonnière au Brésil », La géographie, vol. XLIV, n°3, septembre-octobre, p. 323-324, 1925.
  • DEFFONTAINES, P. « Regiões e paisagems do Estado de São Paulo, Primeiro esboço de divisão regional brasileiros », Geografia, n. 2, p. 117-169, 1935
  • DEFFONTAINES, P. « Critica e Notas. Mappa physico, económico e político do Estado de São Paulo », Geografia, vol. Ano II, n. 1, p. 30, 1936.
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  • MARTONNE, E. « A serra do Cubatão: comparação com um canto das Cévennes Francêsas », Geografia, n. 4, 1935.
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  • ORLANDI, J. de O. « Excursão ao morro de Jaraguá », Geografia, n. 1, p. 43-48.
  • SILVEIRA J. D. da. « Excursão ao trecho da estrada Mayrink-Santos », Geografia, Ano II, n. 2-3, 1936, p. 73-77.
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  • ZUSMAN, P. B. « Pierre Deffontaines y la fundación da AGB », VI° Congresso Brasileiro de Geografia Mesa Redonda Os primeiros anos da AGB Goiânia, 2004.

Notes

  • 1
    Orlando Valverde fut l’un des fondateurs du Conselho Nacional de Geografia (Conseil national de géographie) de l’Instituto Brasileiro de Geografia et Estatistica (IBGE) ex-professeur visitant des universités de Los Angeles (UCLA), Heidelberg et Bordeaux, et de la Pontificia Universidade Católica PUC (Université catholique pontificale) de Rio de Janeiro.
  • 2
    Si la revue a bien été publiée en sept livres, il faut noter que cela représente les huit numéros. La numérotation particulière est notée comme suit : les quatre premiers numéros sont édités en quatre volumes : 1935, n°1 ; 1935, n°2 ; 1935, n°3 ; 1935, n°4. Les quatre derniers en revanche sont publiés en trois volumes : 1936, n°1 ; 1936, n°2 et 1936, n°3 ne formant qu’un seul volume ; 1936, n°4
  • 3
    SOFE 439, pièce 3 : Lettre de Pierre Deffontaines du 23 juillet 1935, se réjouissant des compliments qu’il a reçus sur son action brésilienne.
  • 4
    SOFE 440, pièce 2, Lettre de Pierre Deffontaines du 7 décembre 1936 s’indignant à propos de la carte scolaire qu’il a établie pour l’État de Saint-Paul et qui fit l’objet de débats à l’Assemblée législative brésilienne.
  • 5
    SOFE 440, pièce 1, dossier sur la demande de cartes de villes françaises, telles Nancy, Commercy, Paris, Agen, Loches, Brive, Saint Omer, Montbéliard, Grenoble et Privas.
  • 6
    Source : Archives Proedes, UDF 01 CUR PRO 13, UDF 106.
  • 7
    Voir p. 84 du Livre de nos jours, vol. 1, du 25 mars 1928 au 10 novembre 1938.
  • 8
    Nous utilisons dans ce travail la troisième édition : Pierre Deffontaines, Petit guide du voyageur actif. Comment connaître et comprendre un coin de pays ?, Les Éditions sociales françaises, Paris, 3° édition 1949, 49 p. Cet ouvrage présentant des méthodes d’excursion est influencé, d’un côté par une certaine forme d’anthropologie historique et culturelle, et de l’autre par la participation de Pierre Deffontaines aux Équipes sociales de Robert Garric, celles-là même qui avaient pour objectif de vulgariser les savoirs intellectuels à l’aide d’enseignements mutuels pour entretenir une conscience sociale, ne tenant pas compte des différentes classes. Cela se retrouve, bien sûr, dans les objectifs écrits de ce livre et dans la manière de présenter les différentes populations. Face au grand succès de ce livre (il y eut de nombreuses rééditions de cet ouvrage). Voir à ce propos André Caudron, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, tome 4 : Lille-Flandre, Paris, Beauchesne, 1990, p. 150-151, « Le Petit guide du voyageur actif est tiré à 300.000 exemplaires et utilisé notamment par des générations de scouts ».
  • 9
    Sous le titre complet de Cadeira de Geografia da Faculdade de Filosofía, Ciencias e Letras da Universidade de São Paulo.
  • 10
    Notons au passage les attentes purement positivistes de certains Brésiliens quant à la géographie française. Partiellement ‘trompés sur la marchandise’, ils la développèrent cependant de fort belle manière. Voir sur ces questions de construction de l’école française de géographie en contre-pied du positivisme les commentaires d’Olivier Orain qui rappellent que « peu ou prou, la géographie universitaire française (…) n’a jamais été très directement concernée par le positivisme comme doctrine rigide, rectrice des pratiques savantes ». Voir le site <http://www.esprit-critique.net/>, consulter l’article d’Olivier Orain, « Un cours sur le positivisme », Esprit critique [en ligne] : <http://www.esprit-critique.net/article-12642840.html>.
  • 11
    Il s’agit d’une traduction portugaise des grandes lignes de son ouvrage programmatique qu’est le Petit guide du voyageur actif, décliné en de nombreuses éditions. Voir Deffontaines et C. A. B. de Oliveira, « Pequeno guia do viajante ativo », Geografia, 1936, vol. II, n°4, p. 9-14 pour la version portugaise ; Pierre Deffontaines, Petit guide du voyageur actif. Comment connaître et comprendre un coin de pays ? Les Éditions sociales françaises, Paris, 3° édition 1949, 49 p. pour la version française de référence.
  • 12
    Pierre Deffontaines ; Luiz Flores de Moraes Rego ; Rubens Borba de Morães ; Caio Prado Jr. Associação dos Geógrafos Brasileiros (AGB), Ata de fundação - 17 Setembro. 1934.
  • 13
    La correspondance présente à l’Instituto de Estudos Brasileiros, constituée de 9 lettres de Pierre Deffontaines à Caio Prado Jr. est sur ce point extrêmement intéressante. Fonds Caio Prado Jr Dossier AGB.
  • 14
    Voir la lettre de Pierre Deffontaines [Correspondance professionnelle] Lettre manuscrite du 16 février 1935 écrite de Lille à Caio Prado Júnior. En-tête : Société de géographie de Lille, 1935. Coll. Provenance : IEB - Fonds CPJ - Dossier AGB-Correspondência entre socios e a AGB, Cote : 02, 01, 01, 04.
  • 15
    Fonds Caio Prado Jr. Dossier AGB [Lettre de Pierre Deffontaines à Caio Prado Jr.]. Correspondência entre socios e a AGB. Cote : 02, 01, 01, 05. Lettre en date du 01/3/1935.
  • 16
    Pour le 60e anniversaire de l’université de São Paulo, les Brésiliens rendaient hommage aux fondateurs dans un numéro de la revue Estudos avançados. On y trouve notamment des témoignages sur les enseignements de Pierre Monbeig, Fernand Braudel et Roger Bastide.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    9 Sept 2019
  • Date of issue
    2019

History

  • Received
    30 Oct 2018
  • Accepted
    14 Feb 2019
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