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Musées de l’immigration: nouvelles muséographies, anciens paradigmes

Immigration museums: new museographies, old paradigms

RÉSUMÉ

En tant qu’institutions mémorielles, les musées jouent un grand rôle dans la construction identitaire. Les représentations du passé et du patrimoine culturel local sont essentielles pour le développement de l’identité nationale ou régionale. La transformation d’anciennes installations qui accueillaient les immigrés - comme Ellis Island à New York - dans des sites mémoriels (lieux de mémoire) qui mettent en scène leurs histoires. Grâce à cette patrimonialisation des mémoires d’immigrés, un nouveau discours sur l’immigration et l’identité se met en place: les mémoires souvent oubliées - un oubli volontaire parfois - trouvent leur place dans les musées et permettent de créer un récit narratif sur l’immigration à partir de récits personnels. Pourtant, la mise en musée de l’histoire de l’immigration reste un défi dans le paysage muséal international. Ainsi, plusieurs questions se posent: En quoi consiste le patrimoine de l’immigration? Comment mettre en musée l’immigration? Les tentatives de représentation des immigrés dans l’espace muséal reflètent-elles un paradigme national? Les musées d’immigration représentent une variante du musée de société par leur approche participative et par la volonté de créer un lien envers les communautés d’origine immigrée. À travers la constitution d’un patrimoine de l’immigration, le musée développe une démarche participative auprès des différentes communautés pour mettre en valeur leurs récits et aussi devenir un facilitateur d’une identité plus inclusive. Une approche interdisciplinaire est donc souvent favorisée par ces musées apportant ainsi des nouveaux regards qui peuvent remettre en question nos propres paradigmes sur la société ou groupe représenté. Dans cet article, il s’agit de mettre en perspective les caractéristiques constitutives des musées de l’immigration ainsi que l’importance de l’histoire orale (récits personnels d’immigrés), objets-mémoires et l’art contemporain dans l’élaboration d’expositions qui souhaitent créer une certaine forme d’empathie chez le visiteur.

MOTS-CLÉS:
Immigration; Musées; Expositions; Muséographie; Art contemporain

ABSTRACT

As memorial institutions, museums play a big role in identity construction, with representations of the past and the cultural heritage being essential to developing national/regional identities. Transforming old representative facilities of immigrants - such as Ellis Island in New York - into “memory sites” shows a certain transformation in attitudes towards immigration, which has changed the status of “diaspora” and evidenced cultural identities. Due to the recognition of the heritage value of the memories, new discourses about immigration and identity were created: the memories, often forgotten - many times voluntarily -, find their place in museums and allow the construction of narratives about immigration from personal accounts. However, exhibiting immigration history continues to be a challenge within international museum spaces, raising various questions: What is immigration heritage? How to exhibit immigration? Do attempts at representing immigrants in these spaces mirror a national paradigm? Immigration museums represent a variant of the society museum by the participatory approach and the initiative to create a link with communities of immigrant origin. By constituting a local heritage on immigration, the museum has developed an approach with immigrant communities, highlighting its memorial and inclusive character. It is an interdisciplinary approach, which is favored by the best museums and suitable for new spaces intending on approaching the theme. In this article, we aim to consider the constitutive characteristics of immigration museums and the importance of oral history (personal accounts of immigrants), memorabilia, and contemporary art in developing exhibitions that plan to create a certain form of empathy in the visitor.

KEYWORDS:
Migration; Museums; Exhibitions; Museography; Contemporary Art

RESUMO

Como instituições memoriais, os museus desempenham grande papel na construção da identidade, sendo as representações do passado e do patrimônio cultural local essenciais para o desenvolvimento da identidade nacional/regional. A transformação de antigas instalações representativas para imigrantes - como Ellis Island em Nova York - em “lugares de memória” mostra certa mudança de atitude quanto à imigração, que tem transformado o status de “diáspora” e destacado identidades culturais. Graças a patrimonialização das memórias, novos discursos sobre imigração e identidade foram criados: as memórias, frequentemente esquecidas - muitas vezes voluntariamente -, encontram lugar nos museus e permitem construir narrativas sobre a imigração através de relatos pessoais. Contudo, a musealização da história da imigração permanece desafiadora na paisagem internacional dos museus, suscitando diferentes questões: no que consiste o patrimônio da imigração? Como musealizar a imigração? As tentativas de representar os imigrantes nesses espaços refletem um paradigma nacional? Os museus da imigração representam uma variante do museu de sociedade, pela abordagem participativa e pela iniciativa de criar vínculos com comunidades de origem imigrante. Através da constituição de patrimônios locais sobre a imigração, o museu desenvolveu uma abordagem junto às comunidades imigrantes, destacando seu caráter memorial e inclusivo. Trata-se de uma perspectiva interdisciplinar, beneficiada pelos melhores museus e adequada aos novos espaços que se propõem a abordar o tema. Neste artigo, pretende-se pensar as características constitutivas dos museus de imigração e a importância da história oral (relatos pessoais de imigrantes), memorabilia e arte contemporânea na elaboração de exposições que planejam criar certa forma de empatia no visitante.

PALAVRAS-CHAVE:
Imigração; Museus; Exposições; Museografia; Arte contemporânea

La catégorie des musées d’histoire et de société qui traitent de la thématique de l’immigration date d’une quarantaine d’années. Leurs projets apparaissent à la fin des années 1970 et constituent donc une catégorie récente de musées qui doit être analysée par sa pertinence dans le contexte actuel.

Dans ce contexte, l’apport de la Nouvelle Muséologie, apparue dans les milieux spécialisés dans les années 1980, a entrainé « un mouvement de contestation et de rénovation » dans le milieu muséal qui veut valoriser l’apport des sciences humaines et sociales ainsi que renouveler les modes de rapport traditionnels des établissements muséaux au public. L’objectif principal étant donc de mettre en place un renouveau des institutions muséales comme un instrument de développement participatif au service de la société.

Les communautés concernées par l’exposition sont ainsi souvent placées au cœur même de la mission de ces institutions, en développant de nouvelles pratiques de création d’expositions centrées sur un processus participatif et polyphonique. L’objet muséal devient alors un support des récits et mémoires communautaires: objets ethnographiques, création contemporaine ou encore patrimoine culturel immatériel (danses traditionnelles, gastronomie, chansons entre autres) se mélangent pour offrir au visiteur une vision plus intégrale du sujet traité. Leur caractère interdisciplinaire laisse très clair l’aspect pluriel de l’immigration et le besoin d’analyser ce phénomène sous un regard multidisciplinaire mêlant ainsi histoire, anthropologie et art contemporain.2 2 L’art contemporain apparaît de plus en plus dans les musées ou expositions dédiées à la thématique des migrations. Ce sont donc à la fois, la nature des questions posées par ces musées dans leurs expositions permanentes et l’enchaînement des différents niveaux d’analyse interdisciplinaires qui guident la démarche de représentation de « l’autre immigré ».

En tant qu’institutions mémorielles, les musées jouent un grand rôle dans la construction identitaire. Les représentations du passé et du patrimoine culturel local sont essentielles pour le développement de l’identité nationale ou régionale. Notamment, la transformation d’anciennes installations qui accueillaient les immigrés, par exemple Ellis Island à New York,3 3 Anatole-Gabriel (2016). dans des sites mémoriels qui mettent en scène leurs histoires.

En conséquence de cette patrimonialisation des mémoires d’immigrés, un nouveau discours sur l’immigration et l’identité se met en place: les mémoires souvent oubliées, un oubli volontaire parfois, trouvent leur place dans les musées et permettent de créer un récit narratif sur l’immigration à partir de récits personnels.4 4 Delaplace (2022).

Pourtant, la mise en patrimoine de l’histoire de l’immigration reste un défi dans le paysage muséal international. Ainsi, plusieurs questions se posent: Qu’est-ce que le patrimoine de l’immigration? Comment exposer l’immigration? Les tentatives de représentation des immigrés reflètent-elles un paradigme national?

Ma recherche doctorale5 5 Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020). J’ai aussi publié un article dans les Cahiers de Muséologie de Liège, « Musées de l’immigration: entre phénomène migratoire, mémoire, patrimoine et identité », qui travaille la même thématique du présent article. s’est centrée autour de la mise en patrimoine de l’immigration et, en particulier, de la création de musées sur l’histoire de l’immigration. Par qui, comment et pour qui ce patrimoine de l’immigration est-il constitué? Par qui, comment et pour qui ce passé/présent est-il écrit et négocié aujourd’hui? Elle propose d’analyser les enjeux dont cette histoire passée et son « héritage » épistémologique, économique et social est transformé en patrimoine. Est-ce que cette mise en patrimoine porte l’empreinte d’un passé conflictuel qui tend parfois à se figer dans une lecture simpliste, voire binaire, de l’Histoire?

Comment se sont créées les collections conservées dans les institutions muséales dédiées à l’histoire de l’immigration? Les formes de réécriture, de renégociation et de réappropriation contemporaines d’objets trouvées dans des « lieux de mémoire » (cas américain et brésilien) sont-ils à la base de ces collections? La légitimité de l’objet est ainsi, en elle-même, remise en question: comme le montre bien Gérard Noiriel dans son livre « État, nation et immigration »,6 6 Noiriel (2001). l’histoire de l’immigration en France reste un sujet délicat, voire « un objet illégitime », et qui rencontre des obstacles et problèmes méthodologiques: une vraie « Histoire en friche ».7 7 Ibid.

La problématique de notre recherche se situe alors, dans une certaine mesure, au croisement de deux débats contemporains importants: d’un côté, l’étude des migrations, qui s’est récemment intéressée à la dimension culturelle des phénomènes migratoires, et de l’autre, l’étude des institutions muséales qui interroge l’influence des institutions patrimoniales dans la mise en valeur des mémoires et de l’héritage de l’immigration.

Mais l’idée est de réfléchir non seulement à la mise en patrimoine mais plutôt à comment exposer l’immigration (plutôt la mise au musée)? Comment parler d’immigration et présenter celle-ci lors d’une exposition? Puisque les musées d’immigration n’ont pas le monopole de la représentation de l’immigration et beaucoup (de chercheurs) soutiennent même que l’histoire de l’immigration devrait être présente dans des musées d’histoire de la ville ou dans les musées d’histoire nationale. Pour eux, la création d’un musée consacré à l’histoire de l’immigration serait vu comme un échec: un manque d’intégration de l’histoire des immigrés dans l’histoire nationale du pays.8 8 Johansson et Bevelander (2017).

Dans cet article, l’objectif est d’ouvrir la discussion sur les possibilités et les difficultés rencontrées lors de la création d’une exposition sur l’immigration. Que ce soit une exposition permanente dans un musée dédié à l’histoire de l’immigration ou une exposition temporaire sur une thématique liée à celle-ci, dans une ville ou un pays spécifique, l’échange entre chercheurs, commissaires d’expositions et artistes permet d’aborder le processus de création muséographique, dans une perspective pluridisciplinaire, ouvrant le dialogue sur les défis et les potentiels que ces musées et ces expositions, en somme ce patrimoine, offrent à la recherche aujourd’hui. Nous allons, dans un premier temps, présenter le débat dans un contexte théorique plus élargi afin de montrer l’importance de la création des musées de l’immigration et du discours diffusé à travers les expositions permanentes. Dans un deuxième moment, nous allons nous intéresser à l’analyse des expositions permanentes9 9 Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020). Ma recherche doctorale s’est centrée autour de la mise en patrimoine de l’immigration et, en particulier, la création de musées sur l’histoire de l’immigration. Par qui, comment et pour qui ce patrimoine de l’immigration est-il constitué? Par qui, comment et pour qui ce passé/présent est-il écrit et négocié aujourd’hui? Elle propose d’analyser les enjeux dont cette histoire passée et son « héritage » épistémologique, économique et social est transformé en patrimoine. Est-ce que cette mise en patrimoine porte l’empreinte d’un passé conflictuel qui tend parfois à se figer dans une lecture simpliste, voire binaire, de l’Histoire? J’ai pu développer une analyse approfondie des expositions permanentes présentées par ces musées et leurs discours concernant la représentation de l’immigration. Le choix des trois musées est basé sur une volonté de compréhension de la représentation migratoire, non seulement dans une perspective transnationale plus large, mais aussi sur la relation entre le continent américain (Amérique du Nord et Amérique du Sud) et le continent européen (France). Les questions postcoloniales sont donc aussi présentes puisque les Etats-Unis et le Brésil sont des anciennes colonies européennes. Ainsi le choix du Museu da Imigração de São Paulo et du Musée national de l’histoire de l’immigration a été fait dès le début pour une question d’analyse transatlantique suivie du choix d’Ellis Island qui est le grand modèle des musées dédiés à l’histoire de l’immigration. Ces trois musées présentent aussi la caractéristique de présenter une configuration institutionnelle marquée par les politiques étatiques puisque ce sont des institutions gérées par des gouvernements régionaux ou nationaux. et une mise en lumière du contenu des ces expositions une fois que l’on déconstruit les représentations présentes dans les différents parcours muséographiques.

MUSÉES EN TANT QU’ESPACES PUBLIC DE RECONNAISSANCE DU PATRIMOINE DE L’IMMIGRATION

Si nous prenons en compte le musée comme un espace de discussion et de dialogue interculturel, l’importance des musées d’immigration reste donc celle de mettre en avant la nécessité de réfléchir face à un contexte international chargé par l’incompréhension et le rejet de l’autre.

Il y a à peine dix ans, l’idée que les musées, les galeries et les organisations patrimoniales pourraient s’engager dans une pratique activiste, avec l’intention explicite d’agir sur les inégalités, les injustices et les crises environnementales, a été accueillie avec scepticisme et souvent dérision par beaucoup de professionnels et chercheurs du domaine muséal.

La recherche d’un changement social délibéré était ainsi considérée comme une politique inappropriée et contraire aux valeurs professionnelles fondamentales au sein de la communauté muséale. Aujourd’hui, la façon dont nous considérons les rôles et les responsabilités des musées en tant qu’institutions sociales fondées sur le savoir est en train de changer. Le rôle politique du musée est de plus en plus mis en valeur afin de transformer notre perception de soi et des « autres ».

A cet égard, bien que l’idée reste controversée, cette tendance militante dans la réflexion et la pratique des musées est devenue une espèce de « planche de salut » face à des transformations profondes du paysage muséal international, au cours des dernières années, et face à une montée des extrémismes dans le monde.

Des chercheurs du groupe de recherches muséologiques de l’Université de Leicester, tels Jocelyn Dodd10 10 Dodd (2019). et Richard Sandell,11 11 Janes et Sandell (2019). dressent dans leurs recherches sur le sujet, un bilan des difficultés du travail social au musée qui recouvre un ensemble d’activités censées créer de l’inclusion sociale. Grâce au rôle actif des institutions de la culture, une présence plus active des professionnels et chercheurs dans les débats politiques émerge dans nos sociétés contemporaines.

Selon Tony Bennett,12 12 Bennett (1995). le musée public moderne serait l’un des éléments de production de la citoyenneté dans la perspective kantienne des Lumières, amenant l’homme à la maturité. L’auteur étudie ainsi, quelques problèmes spécifiques aux choix constitutifs de l’exercice du pouvoir dans les musées. Il consacre une analyse aux représentations concurrentes et souvent contradictoires des institutions dont l’objectif est de mettre en scène la vie quotidienne d’une communauté donnée. Les exemples fournis montrent que l’illusion d’une représentation totale de la réalité humaine, à partir d’une sélection limitée d’artefacts, persiste encore aujourd’hui.

Cette question de la représentativité est élargie à l’ensemble des politiques de conservation du patrimoine. Traçant les grandes lignes du développement de l’histoire publique australienne, Bennett soutient que le problème de la constitution d’un patrimoine national n’a rien à voir avec l’authenticité des événements historiques. L’enjeu réside surtout dans les relations qu’entretiennent ces évènements avec les modes de représentation disponibles.

Selon Duncan, « au contraire, le musée est une technologie disciplinaire, qui instrumentalise l’exigence de visibilité de la représentation, normalise un espace, trie et gouverne objets et usages. Spécifiquement, le musée serait un outil de célébration, engageant des comportements « rituels ».»13 13 Duncan (1995).

L’interprétation la plus marquante des liens entre modèles politiques et modèles sémiotiques de la représentation a été fournie par Habermas.14 14 Trom (1989). Selon lui, l’activité communicationnelle déboucherait sur une critique de la domination et aboutirait à la création d’une sphère publique où viennent s’insérer de manière inédite les productions culturelles. Les expositions cesseraient alors d’être de simples outils de représentation, qui fondent et légitiment le pouvoir, pour devenir des espaces de « création ». Le dessein d’inclusion muséale resterait ainsi au cœur des ambitions muséologiques. Néanmoins, selon Richard Sandell,15 15 Janes et Sandell, op. cit. cette volonté inclusive resterait floue face à des politiques institutionnelles de plus en plus strictes et axées autour des politiques néo-libérales.

Encore selon Dominique Poulot, un ensemble de mutations profondes ont bouleversé les récits traditionnels: « La physionomie matérielle comme l’expérience des musées ont connu nombre d’inflexions significatives au cours de la dernière génération. Le musée se donne pour vocation tantôt de devenir un espace d’histoires croisées, une exposition de nos inquiétudes, tantôt de participer au triomphe d’une rhétorique de l’accès, sous forme d’une fourniture d’informations qui vaudrait légitimation politique et culturelle. Semblables mutations ont nourri, selon le cas, une muséographie critique (intellectuelle et traditionnelle) ou des polémiques plus récentes quant à l’opposition entre souci de neutralité, de légitimité académique (et culturelle) et le rôle actif du musée en tant qu’acteur social et « médiateur » dans les constructions identitaires (« nationales »).»16 16 Poulot (2016b).

Dans les cas des musées dédiés à l’histoire de l’immigration, les expositions constituent des espaces où la volonté de représentativité des communautés immigrées est mise en avant dans un discours qui veut inclure leurs mémoires dans les grands récits de l’histoire nationale. Pourtant, les discours diffèrent selon leur provenance de pays indiquant ainsi une asymétrie des rapports entre communautés (et intégration nationale).

Les différentes études sur le sujet montrent que le rapport des musées à la problématique migratoire varie fortement d’un projet à l’autre. Se dessine ainsi un cadre interprétatif de ces projets muséaux dont les deux extrêmes seraient soit une muséification de l’immigration doublée d’une lecture assimilationniste de son histoire, soit une auto-exotisation qui finit par enfermer les immigrés dans une vision communautaire exclusive qui nuirait à une approche identitaire inclusive.

Cependant, certains projets muséaux montrent l’avantage de s’éloigner d’une vision trop unilatérale de l’immigration, du point de vue du pays d’accueil, en explorant les phénomènes diasporiques et les circulations migratoires de manière plus globale et interconnectée. D’autres institutions envisagent encore les brassages culturels et les dynamiques identitaires, comme autant d’opportunités de revisiter les codes culturels et les critères socio-économiques d’intégration des sociétés contemporaines.

Ils constituent aussi un forum de discussion sur ce sujet dans un contexte de crise migratoire internationale depuis au moins 2015, et c’est pour cette raison qu’ils sont au cœur du débat muséologique actuel dont témoignent plusieurs projets de recherches internationaux.17 17 Voir le cas des projets: Migration… (2018). Ces musées se transforment en espaces de débat, de réflexion et de dialogue sur les questions migratoires actuelles. Mais il est important de mettre en avant que l’histoire de l’immigration n’est pas l’apanage des musées d’immigration: d’autres musées et centres d’interprétation et d’histoire, comme notamment le Centre d’Histoire de Montréal,18 18 Le Centre d’Histoire de Montréal présentait une exposition permanente sur l’histoire de Montréal intégrant l’histoire des immigrés à celle de la ville à travers les siècles. Aujourd’hui, le musée est fermé et rouvrira en 2022 avec une nouvelle exposition permanente. Le changement du nom est aussi significatif de la place donnée aux mémoires et récits personnels dans le discours muséal. Le Centre des Mémoires Montréalaises est engagé dans un processus participatif pour créer un discours polyphonique sur l’immigration et la ville. L’exposition temporaire itinérante consacrée aux mémoires de l’immigration intitulée « Fenêtres sur l’immigration » (2019-2020) est aussi un des exemples des projets développés par le musée de façon participative auprès des communautés locales. Ces initiatives donnent donc droit à la ville à tous ceux qui ont fait de Montréal leur ville natale. aujourd’hui Centre des Mémoires Montréalaises, intègrent l’histoire de l’immigration à leurs parcours d’exposition permanente.

Le musée se configure donc comme un espace de négociation de discours entre groupes politiques identitaires (différentes communautés d’immigrés). Néanmoins, les musées d’immigration ne seraient-ils pas des lieux d’opinions contradictoires et de compromis face à une tension entre discours « officiel » et la réalité des immigrés? Les mémoires individuelles et collectives présentées dans ces musées ne représenteraient pas déjà un choix particulier face au discours de la « Grande Histoire »? Le choix des souvenirs exposés est-il nécessaire aux identités plurielles?19 19 Poulot (2016b).

Aussi, selon Dominique Poulot, « les configurations identitaires à travers la mémoire et le patrimoine ont marqué les deux dernières décennies. Mémoire, identité et patrimoine ont bénéficié d’un succès presque sans précédent, repris par le champ d’étude grandissant qui a consacré leur usage, et qui semble reprendre l’intérêt qui était autrefois consacré à ‘l’Histoire’. Probablement, comme l’a déclaré Aleida Assmann, ‘ce n’est que depuis lors que le lien entre le temps, l’identité et la mémoire dans leurs trois dimensions du personnel, du social et du culturel est devenu de plus en plus évident’.20 20 Assmann (2012). Bien entendu, chaque concept fait partie d’une longue histoire dont nous ne pouvons pas discuter ici en détail. »21 21 Poulot (2016b).

De ce fait, dans les expositions analysées nous retrouvons ces tensions et questionnements présents lors de la création d’un discours sur l’immigration. Par la suite, nous discuterons du rôle du musée comme acteur social de la mémoire.

LE MUSÉE COMME ACTEUR SOCIAL DE LA MÉMOIRE ET SON RÔLE DANS LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE

Les musées peuvent donc devenir des acteurs sociaux de la mémoire: elle-même conçue comme la présence du passé dans le présent et considérée comme constitutive de l’identité.22 22 Mazé (2014, p. 123). Mais un musée peut-il changer profondément les perceptions sur le sujet? C’est une vraie question, qui se pose, par ailleurs, de manière plus générale pour la culture dite patrimoniale, à une époque où explosent les industries culturelles et où les stéréotypes sur « l’altérité » sont principalement construits par les grands médias audiovisuels (notamment, les réseaux sociaux).

Certes, exposer l’immigration ne se limite pas aux musées de l’immigration, des musées d’histoire d’une ville, ou encore, des musées communautaires peuvent eux aussi présenter des expositions sur l’héritage et les mémoires de l’immigration. Cependant, dans les musées d’histoire traditionnels, la « grande histoire » est présentée sans vraiment avoir recours à la mémoire individuelle ou collective d’un groupe en particulier pour la valider ou la corroborer. Déjà dans les musées d’immigration, il est courant de faire appel à des « témoins ordinaires », c’est-à-dire aux mémoires « individuelles ou collectives », dans l’espoir de rendre l’histoire plus tangible. En effet, ce sont les récits narratifs individuels ou collectifs (mémoires et expériences personnelles) qui construisent et valident le discours sur l’histoire de l’immigration. L’histoire orale est donc au cœur des pratiques muséales de ces institutions.

Dans le cas du Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris (ancienne CNHI), les témoins ordinaires (récits personnels) prennent le devant et convergent pour créer un récit collectif. Les « petites histoires » concourent pour créer la « grande histoire » qui apparait dans les tables de repères chronologiques. Autrement dit, les mémoires individuelles ou familiales illustrent les propos historiques présentés par les tables de repères qui marquent bien les points forts de l’histoire de l’immigration en France.

Les grandes dates de l’histoire de l’immigration en France apparaissent dès l’entrée du musée sur les murs des escaliers que le visiteur doit monter pour accéder au troisième étage où se trouve l’exposition permanente. (Voir figure 1 et 2 ) Le support chronologique se prolonge avec les tables de repères présentes dans chaque partie thématique de l’exposition. Mais, finalement, ce sont les parcours individuels d’immigrés qui sont mis en valeur par le musée: soit dans la première partie de l’exposition permanente, soit dans la Galerie des dons. Ainsi, loin d’être une exposition classique marquée par un fil conducteur purement chronologique, l’exposition « Repère » présente un récit alliant la micro-histoire à la macro-histoire.

Figures 1 et 2
Chronologie de l’histoire de l’immigration en France, 2017.

Les objets-mémoires présentés deviennent, dans une certaine mesure, des objets phares du musée. Un exemple marquant est celui de la truelle de Luigi Cavanna (Voir figure 3) qui est devenue un objet phare de l’exposition permanente et de la Galerie des dons.

Figure 3
Truelle de Luigi Cavanna, 2019.

Elle a même été présente dans la campagne publicitaire du musée23 23 Témoignage… (2018). mettant donc en valeur son importance dans les collections. Cet objet élève son statut de « simple objet mémoire » à un objet iconique du musée. La figure du « travailleur immigré » reste alors un des piliers de l’exposition permanente du musée.

Cependant, est-ce que le fait d’avoir des mémoires individuelles intégrées au récit narratif de l’exposition permanente permet de rendre, en effet, l’histoire plus tangible? Est-ce que le public peut mieux comprendre, voire s’identifier à l’expérience migratoire présentée?

L’attention donnée à la mémoire des individus dans la construction d’un discours institutionnel est encore justifiée dans les propos qui accompagnent l’exposition Repères et confirment l’appartenance du musée à la catégorie des musées de société. Une pratique participative est au cœur du projet de la CNHI/MNHI: les objets mémoires donnés par les immigrés et présentés dans la Galerie des dons et dans la première partie de l’exposition permanente intitulée « Le départ », insistent sur cette volonté du musée de rendre « tangible » l’histoire de l’immigration. Des objets-témoins pour stimuler donc les mémoires?

Le musée comme acteur participatif dans la construction de la mémoire sociale de l’immigration présente aussi un certain risque de détournement des polémiques autour du débat actuel sur les migrations. Concurremment à la valorisation du rôle du musée dans la construction identitaire, un certain scepticisme allié à la prudence s’observe aussi à l’égard des instrumentalisations politiques dont l’outil muséographique peut faire l’objet.

Selon Dominique Poulot, « un modèle clairement identifiable se développe, dont Benedict Anderson24 24 Anderson (1991 [1983]). a fourni une formulation convaincante, évoquant le triptyque de la statistique, de la cartographie et du musée dans la formation des communautés imaginées. C’est dire que le musée a pu contribuer au processus d’identification progressive des citoyens au corps collectif de leur nation, comme l’ont fait par ailleurs les représentations géographiques ou comptables du pays. »25 25 Poulot (2016a).

Les processus de mise en patrimoine et de mise en mémoire révèlent ainsi les négociations entre histoires sensibles et dynamiques politiques qui structurent le milieu patrimonial. Le besoin de reconnaissance dans l’espace public des mémoires d’immigrés, parallèlement, au besoin d’appartenance à un territoire et à une société spécifiques entrainent la création d’un lien entre des représentations identitaires et des pratiques culturelles à celles des formes politiques partagées. Compte-tenu du rôle crucial que jouent les musées dans la mise en récit des identités nationales et des origines culturelles, l’apport des expositions dédiées aux questions migratoires devient très important, entraînant ainsi une valorisation des discours minoritaires.

La mise en patrimoine d’un « lieu de mémoire » peut révéler les dynamiques et les mécanismes qui se cachent derrière les discours muséaux ainsi que les tensions entre micro et macro-histoire.26 26 Dans ma thèse de doctorat, dans les quatrième et cinquième chapitres en particulier, j’ai présenté une analyse de la constitution d’un patrimoine de l’immigration à partir d’un lieu de mémoire. Les négociations et réécritures de l’histoire du lieu sont au cœur des processus de mise en patrimoine. La fabrication du patrimoine doit toujours être analysée de près lorsqu’on traite d’un lieu de mémoire. Les négociations et réécritures de l’histoire liées à ces processus de patrimonialisation mettent en valeur le caractère parfois fictionnel ou romancé de mémoires et histoires en lien avec des sites culturels. Les lieux de mémoire deviendraient-ils donc des lieux de fiction?

De ce fait, le musée comme acteur social de la mémoire entraînera une remise en question éventuelle des discours officiels, à la lumière des enjeux migratoires contemporains, ainsi que, son impact sur notre compréhension des constructions identitaires. En outre, les musées d’immigration offrent l’illustration ou la promesse d’un nouveau regard posé sur le monde, le passé et son héritage, et sur la notion de « l’autre », telle qu’elle est conçue depuis les années 1970 dans de nombreux domaines comme la philosophie, l’anthropologie, la littérature, les études féministes ou la sociologie, par exemple. Comment ces musées pensent-ils le rapport aux « autres »? Telle est une des questions centrales des études sur la réception des discours sur l’histoire de l’immigration.

Selon Maryse Fauvel, « l’identité d’un individu ou d’un pays n’est pas innée, elle n’est pas stable ni à préserver à tout prix. Les théories sur la construction de l’identité conçoivent l’identité désormais, non comme un état, mais un processus, une construction de soi, souple, changeante, plurielle et qui ne devrait pas être hiérarchisée. […] Kristeva en particulier a expliqué combien l’altérité s’avère nécessaire à la constitution d’une identité: on a chacun une part d’ « autre » en soi. La connaissance de soi passe par celle de l’ « autre », on forme sa propre identité par rapport à autrui. »27 27 Fauvel (2014, p. 23).

Le contexte politique dans lequel on se trouve aujourd’hui est important puisqu’il remet en question les politiques migratoires mises en place par les différents gouvernements européens dans les dix dernières années.

Comment présenter donc des cultures « autres » sans refaire circuler une certaine forme de domination dans la création de discours et parcours muséographiques?

Comme suggéré par plusieurs muséologues et professionels de musée qui se situent dans le courant de décolonisation des musées, en écartant les structures binaires, le discours historique dominant d’un gouvernement patriarcal pourrait être modifié et inviter le visiteur à réfléchir selon une perspective plus holistique sur le sujet. Et surtout en y incluant les voix de sujets multiples et en analysant des faits, œuvres et objets d’un œil critique, à partir de différents points de vue, parfois contradictoires, nous pourrions parvenir à réaliser ces déplacements de perspective évoqués par le tournant post-colonial » des dernières décennies. Enfin, et surtout, les échanges anciens et profonds entre les cultures doivent être illustrés afin d’éviter des essentialismes.

LES MUSÉES D’IMMIGRATION: UN ESPACE D’ÉLOGE DU SOI OU DE L’ALTÉRITÉ?

Dans les dix dernières années, la grande majorité des rapports concernant les objectifs des musées qui traitent de la thématique de l’immigration (donc pas seulement les musées entièrement dédiés à l’immigration), que le rôle du musée est de faciliter l’intégration des migrants et de promouvoir la diversité culturelle (faciliter l’intégration des immigrés et la diversité culturelle). Mais est-ce vraiment le cas dans le paysage muséal international?

La représentation des migrations humaines dans un musée pose la question de la ‘distance objective’ face à ce qui est exposé: non plus seulement des documents d’archives ou des œuvres, mais des traces de parcours de vie. Comme dans le travail ethnographique de terrain, le besoin d’une ‘objectivité scientifique’ est nécessaire mais reste toujours un défi. Face aux clichés exotiques, coloniaux, ou simplement à la tentation d’une vision figée de l’altérité, les modalités de la représentation muséale de l’expérience migratoire apparaissent complexes car chaque décision est lourde de sens et doit être bien réfléchie. Tout dépend, dans une certaine mesure, de la négociation entre les attentes de l’institution et la capacité des immigrés à se réapproprier du récit de leur propre histoire.

La question de la muséification est l’un des multiples éléments d’une crise de la représentation dont l’un des points principaux a été les discussions théoriques qui ont eu lieu dans les années 1980. Elles ont suscité de vifs débats dans tous les domaines concernant la mise en musée « d’autres cultures » entraînant ainsi une remise en question du domaine muséal, devenu un important producteur de représentations sociales (sur divers sujets).

Les musées sont devenus donc des espaces privilégiés de dialogue entre cultures, des « zones de contact » comme le met en avant James Clifford,28 28 Clifford (1997). mais aussi des arènes où la crise du concept d’État-nation se confronte aux demandes de représentation sociale des minorités, immigrantes ou non, et des diasporas, et aux questions soulevées par les études post-coloniales et décoloniales. Les expositions permanentes sur l’immigration29 29 Je parle ici notamment des expositions permanentes présentées par les trois musées que j’ai analysés lors de ma recherche doctorale: le Ellis Island Immigration Museum, le Museu da Imigração et le Musée national de l’histoire de l’immigration. Des entretiens ont été réalisés avec les acteurs des musées et les concepteurs des expositions en vue de distinguer des « arènes de conflits » pertinentes où apparaisse clairement cette crise de la représentation. illustrent parfaitement la façon dont cette crise est devenue visible, témoignant de tous les débats que peut susciter le musée sur la création d’images de l’Europe et d’une nouvelle politique migratoire.

Ces mises en musée ont pour objectif d’ouvrir une espèce de zone de contact, un espace d’échange entre les sphères de création d’expositions, les objets présentés, les processus de représentation et la vie quotidienne des immigrés.

Au vu de ce qui se manifeste dans la sphère publique, ce sont autant de stratégies mémorielles qu’il s’agit d’éclairer en fonction du contexte qui leur est propre. Il serait donc prématuré de prétendre restituer dans le détail la façon dont a émergé et a rebondi la question de la mémoire de l’immigration dans l’environnement social, mais on peut toutefois ébaucher quelques pistes de réflexion sur le sujet. Les questions du pluralisme culturel et des mémoires plurielles restent centrales dans ces processus d’où l’importance des processus participatifs et polyphoniques. Une des dimensions importantes à considérer étant la problématique mémorielle, au regard des revendications de pluralisme culturel.

L’idée d’ « exposition permanente » est d’emblée remise en question, soulignant donc bien le fait que les musées traduisent une vision et une division du monde qui évoluent avec l’histoire, avec les savoirs, selon les points de vue d’individus qui ont le pouvoir de décider ou qui sont représentés par leurs objets, par exemple. La remise en question du discours muséal reste par conséquent un point crucial: le site du musée garde des traces de nombreuses « expositions permanentes ».

Comme le souligne Dominique Poulot, « avec l’anthropologie et l’ethnologie, les objets quotidiens, objets de famille marqués par des destins individuels, peuvent déboucher sur une muséographie d’histoire de vies. (Re)trouver ses biens, ceux de sa maisonnée, au musée n’est plus, désormais, une expérience réservée aux riches et aux puissants et nourrit, au-delà des fréquentations de nature militante, ou de celles, enracinées, des habitants du lieu implicitement appelés à devenir donateurs, une expérience contrastée de la valeur et de l’usage. Quand la muséographie de l’histoire sociale triomphante privilégiait les présentations didactiques générales d’aventures collectives, celle de la décennie 1980 et des suivantes, met au premier plan des individus devenus médiateurs des collections. »30 30 Poulot (2005).

Le « retour au récit », à travers de la mise en scène des objets-témoins et des mémoires immigrées, s’est plus largement développé en lien avec des expositions qui traitent de la micro-histoire. Pourtant, l’utilisation en muséographie de scénarisations pour mettre en contexte ces objets peut menacer, au sens traditionnel, l’authenticité de l’artefact ou du lieu mis en patrimoine. Même si cette pratique permet de donner une cohérence narrative au discours muséal, elle soulève une question « éthique » au musée d’Histoire.

D’autres dispositifs mobilisent divers témoins dans l’approche de l’histoire et soulèvent éventuellement des difficultés quant à la place de porte-parole de communautés ou de groupes sociaux au sein des propos du musée.

Les discours muséographiques sont aujourd’hui entrés dans « l’ère du soupçon » où une espèce de muséographie de l’étrangement se met en place, entraînant une remise en cause même des concepts utilisés par les commissaires. « Leur description ou leur analyse peuvent désormais faire l’objet d’un retour sur soi du musée. Tel est le cas limite, des expositions de Jacques Hainard, comme, par exemple, le Musée cannibale, emblématique d’un regard méta- muséologique, et révélateur, au-delà d’un établissement hors normes, d’une évolution générale. »31 31 Ibid. Un autre exemple étant celui du Musée dauphinois32 32 Duclos (2012). lors d’expositions sur les diverses immigrations. C’est le cas, notamment, de la MNHI qui, à l’entrée de l’exposition permanente, avertit les visiteurs de la nécessité de remettre en question leur propre discours muséographique.

L’orientation vers le public s’est aussi développée, à partir des années 1980, vers une tendance à divertir et à instruire contestant ainsi le ‘mythe traditionnel’ de la contemplation silencieuse et solitaire. Comme le met en avant Alison Landsberg,33 33 Landsberg (2004). la mise en scène spectaculaire des mémoires traumatiques reste un des points forts des musées qui traitent de « thématiques sensibles ».34 34 Dans le huitième chapitre de ma thèse, dédié à une analyse transversale des expositions permanentes, j’ai mis en avant ces mécanismes de mise en récit de mémoires sensibles qui engendrent une forme d’empathie chez le visiteur. L’empathie devient donc centrale pour permettre une mise en scène des différentes réalités auxquelles sont confrontés les immigrés.

Ces musées prennent, de plus en plus d’importance, dans la sphère de l’inclusion sociale et son rôle en tant qu’agent de changement social parait se confirmer avec une pression énorme mise sur un ensemble d’activités liés à la justice sociale que le musée doit assurer. Si les musées d’immigration ont pour mission d’enregistrer et d’interpréter l’expérience des immigrés ainsi que de promouvoir et de célébrer la diversité culturelle dans les pays concernés, cela nécessite une collaboration permanente avec les communautés et les acteurs sociaux qui participent au maintien de la cohésion sociale tout en mettant en avant une identité nationale qui se veut plus inclusive et multiple. Bien que l’immigration soit constitutive de l’histoire nationale dans certains pays dit d’immigration, comme le Brésil, l’Argentine, les États-Unis, le Canada et l’Australie, par exemple, elle reste une dynamique sociale en mouvement permanent, qui demande au musée de s’engager dans un travail d’ajustement et de communication constant afin de favoriser les échanges interculturels.

Selon Ilham Boumankhar, « l’immigration produit une multiplicité de schémas constitutifs de l’identité des individus et de la diversité des réalités sociales. Les parcours migratoires sont tout aussi diversifiés, entre les immigrants ayant fui les guerres, les génocides, la famine, et ceux attirés par la réalité économique […] en quête d’une nouvelle vie. »35 35 Boumankhar (2011). Ce sont autant d’expériences de l’immigration qui se déclinent et modifient aussi à travers les générations, les différences ethniques, les différentes pratiques culturelles, ce qui se transmet à travers les langues, les religions, l’appartenance communautaire, etc. Comment traduire alors toute cette diversité dans un espace physique précis (la salle d’exposition) et dans un parcours muséographique cohérent? Cette question reste un défi de base auquel est confronté tout musée qui veut créer une exposition dédiée à l’histoire de l’immigration.

ANALYSE DES EXPOSITIONS PERMANENTES: NOUVELLES MUSÉOGRAPHIES, ANCIENS PARADIGMES

La nouvelle histoire sociale a fortement influencé ces musées où les histoires et les « objets du quotidien » étaient au centre des expositions permanentes dans le but d’attirer le public et de réévaluer de façon critique les récits dominants de l’histoire nationale. L’existence d’objets personnels dans la constitution du patrimoine des immigrés, préservés et conservés dans les musées, montrent l’importance des mémoires individuelles dans la mise en place d’un discours sur l’immigration.

Les familles et les communautés d’origine immigrée fournissent le matériel essentiel pour les expositions sur l’histoire de l’immigration. Car cette dernière, au cours de cette période, est récemment apparue comme un sujet d’attention scientifique. Les questions migratoires, le multiculturalisme et les relations entre musées, gouvernements et communautés sont au cœur de beaucoup de projets de recherche internationaux. Ainsi, les enjeux de mémoire autour de l’histoire de l’immigration révèlent les négociations entre les différents acteurs des processus de mise en mémoire et de patrimonialisation.

Au cours des dix dernières années, un certain nombre d’articles ont été publiés qui critiquent largement l’approche des expositions sur l’histoire des migrations. Il est intéressant de noter qu’ils sont tous issus d’une certaine critique radicale du multiculturalisme, comme, par exemple, celle proposée par Ghassam Hage,36 36 Hage (2000). dans son livre de 1998, sur les « fantasmes de suprématie blanche » dans une société multiculturelle. C’est, notamment, le cas du Brésil et des États-Unis, puisque dans ces deux pays nous allons retrouver ce type de mécanisme d’exclusion par la race très ancré dans des sociétés qui se définissent comme étant notamment multiculturelles. Ces chercheurs soutiennent que les « partisans » de la politique multiculturaliste, affirment leur « blancheur » en définissant les « autres » ethnies ou « races » comme des objets à gouverner. Il en résulte que l’espace national reste un territoire « blanc », défendu par ceux au pouvoir.

Dans des pays anglophones comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada37 37 Au Canada, il est important de mettre en avant que le Québec présente une approche/conception différente du multiculturalisme. Le multiculturalisme canadien prône la coexistence de différentes cultures au sein du pays, par opposition à l’intégration complète à une culture unique et à la constitution d’une identité commune unique. En ce sens, la notion de multiculturalisme est souvent opposée à la notion d’« interculturalisme », plutôt préconisée au Québec. Cette dernière est plutôt basée sur le développement d’un ensemble commun de valeurs sociétales basées le plus souvent sur des modèles associés à la « civilisation occidentale », parmi lesquels les droits humains étendus à tous. Ce sont des concepts complexes mais nous présentons ici une définition concise pour que le lecteur puisse avoir une idée de la complexité de la discussion sur le multiculturalisme. et dans une certaine mesure au Royaume-Uni, la perspective multiculturaliste a associé les communautés à la production des expositions, à leur contrôle, voire à leur censure. Ce processus participatif et à plusieurs voix a ouvert la voie à d’autres initiatives similaires dans des pays comme les États-Unis et le Brésil. Mais est-ce que les musées d’immigration ont assimilé ces pratiques inclusives dans leurs expositions permanentes?

L’analyse nous révèle que les commissaires d’expositions sur l’immigration ont constamment négocié face à une tension entre une histoire de « nation d’immigrés », inclusive et affirmative, et les histoires plus difficiles de conflits, de différences et d’exclusion qui caractérisent l’histoire des migrations. Les approches « curatoriales » de cette tension ont été façonnées par le changement des climats politiques, le multiculturalisme et les demandes de représentation des communautés dans les institutions culturelles. Le multiculturalisme et l’histoire sociale sont donc au cœur des premières expositions sur l’immigration.

Ces dernières, à partir du milieu des années 1980, visaient à intégrer les expériences des migrants minoritaires dans une histoire nationale pluraliste afin de renverser les précédents récits monoculturels du devenir national. Une deuxième phase d’expositions, à partir du milieu des années 1990, a démocratisé ouvertement ces nouveaux récits migratoires pour tenter de séduire les populations de « souche »38 38 Les populations de souche étant celles qui détiennent le ‘contrôle’ de l’identité nationale. Autrement dit, les populations d’origine anglo-saxonne (WASP) aux États-Unis et les populations d’origine portugaise au Brésil. Le facteur de la race reste aussi central dans cette insertion dans la ‘normale’ nationale. Les populations considérées comme étant ‘blanches’ s’intègrent plus rapidement que les autres populations. qui ne s’identifiaient pas au multiculturalisme alors que des éléments des deux approches subsistent, au cours de la dernière décennie, les musées dédiés à l’immigration ont commencé à regarder au-delà des migrations vers la nation et vers une exploration des réseaux transnationaux, l’appartenance et la dislocation personnelle, et l’idée du foyer. Initialement, les expositions vont mettre en avant le rôle positif de l’immigration et vont plutôt privilégier une approche positive de « l’intégration » des immigrés dans la société d’accueil.

Aujourd’hui, les mots d’ordre dans la culture sont de développer une programmation autour de l’hospitalité, de la mixité et de l’exil. On part des problématiques locales pour les dépayser à travers le regard des artistes afin de les rendre universelles. Dans un premier temps, les musées d’immigration visent à créer un environnement politique où les objets et les histoires des migrants pourraient être considérés comme une partie importante du patrimoine national de ces pays.

Ian McShane,39 39 McShane (2001). ancien conservateur du National Museum of Australia, a été le premier à appliquer les théories de Bob Hodge40 40 Hodge et O’Carroll (2006). aux expositions sur l’immigration. Dans son article de 2001, « Difficile ou conventionnel? L’histoire de la migration dans les musées australiens», McShane a suggéré que l’émergence de l’histoire de la migration dans les musées était liée à l’essor du multiculturalisme.

Déjà pour le directeur du Smithsonian aux États-Unis, Lonnie Bunch, l’histoire n’a de sens que lorsqu’elle est liée au présent. « Les musées deviennent de meilleurs endroits lorsqu’ils reconnaissent qu’ils ne peuvent pas être des centres communautaires, mais qu’ils pourraient être au centre de leurs communautés. […] Ce qu’est un conservateur, en particulier un conservateur de l’Histoire, c’est quelqu’un qui tient la culture des gens entre ses mains. […] Par conséquent, vous devez les traiter avec un respect incroyable »,41 41 Jackson (2020). a-t-il récemment déclaré. La multitude de voix, qui aident à replacer la culture matérielle dans son contexte, alliée à l’Histoire sont des méthodes utilisées par Lonnie Bunch pour créer des expositions qui remettent en cause le « statu quo » de la société américaine. Mais que nous révèlent alors les expositions permanentes des trois musées analysés dans cette étude?

Elles nous révèlent une mise en musée d’un discours plutôt axé sur l’éloge de l’apport des immigrés à la nation sans, pourtant, remettre en question le concept d’étranger (immigré) ou leur statut face aux difficultés d’insertion et d’intégration sociale. Comme le rappelle bien Maryse Flauvel, « […] alors qu’en apparence ces musées honorent et célèbrent de manière magistrale les « autres » (les immigrés, l’art non-occidental), ils finissent par les dominer et ils les contrôlent en offrant d’eux une image partielle. »42 42 Fauvel, op. cit., p. 22.

Cette représentation fragmentaire se reflète clairement dans l’exposition permanente « Repères » et ses choix de thématiques qui finissent par mettre en scène une réalité sociale et économique loin de la situation réelle vécue par une grande majorité des immigrés, principalement dans le contexte socio-politique des dix dernières années. Aujourd’hui, le parcours qui est présenté au visiteur ne ressemble pas à ce qu’il était lors de l’ouverture du musée en octobre 2007: la partie initiale étant coupée pour donner plus d’espace physique aux expositions temporaires. Modifiée au long de ses douze années d’existence, cette exposition ne représente qu’une partie infime de ce qu’elle a pu représenter auparavant.

Ces musées, « dans leur exposition permanente, en effet, révèlent un profond malaise à leur égard, tout comme dans la réalité sociale et politique en France contemporaine. Finalement et paradoxalement, bien plus que les ‘autres’, ces musées finissent par mettre en scène davantage la France et un universalisme étriqué ainsi qu’une civilisation qui a peur des ‘autres’, mais qui tient au ‘paraitre’. »43 43 Ibid.

Il s’agit de mettre en avant une réflexion sur le « nous » pour valoriser les apports de l’autre dans la société d’accueil. Comme le met en avant Maryse Flauvel: « Au lieu d’inclure une réflexion sur l’identité nationale afin de surmonter des discours ethno et euro-centriques pour transformer notre perception de soi et des « autres », ces musées renforcent des idées reçues car ils excluent le regard des « autres » sur le nous, leur conception de ce que signifie l’immigration pour eux, ce qu’a signifié la colonisation, ce qu’a signifié le vol d’objets d’art dans leur pays lors de conquêtes militaires ou, durant l’ère coloniale, ce que signifient ces objets pour eux aujourd’hui. Ces points de vue manquent pour que nous nous sentions « étrangers à nous-mêmes » à travers leurs regards et leurs discours. Cette remise en question de soi est la condition incontournable pour pouvoir respecter « l’autre ». »44 44 Ibid. Pour les musées, les objets doivent être mis dans des contextes culturels et historiques pour qu’ils ne soient pas réduits à des objets étrangers, exotiques et beaux, mais pour qu’ils permettent aussi de mieux comprendre « l’autre » en soi, ainsi que, l’interaction fondamentale dans la construction des savoirs et des arts.

Mieux comprendre les « autres » et soi-même implique un dialogue entre cultures différentes. Donc, dans les musées, pourquoi séparer les cultures européennes/occidentales des cultures non-européennes/orientales, puisque les cultures, les savoirs et les histoires se sont construits dans des échanges, destructeurs et constructeurs? L’interaction des immigrés avec les Français, leurs apports (outre les objets de cuisine et quelques mots) dans les cultures françaises, l’impact de cultures diverses sur les sciences et les arts demandent à être présentés de manière plus élaborée. Ce qui entrainerait à une organisation du musée de manière transversale, de porter un nouveau regard sur les cultures « autres » et la nôtre, et de se sensibiliser aux métissages.

THÈMES RÉCURRENTS STRUCTURANT LE PARCOURS DU MUSÉE & OBJETS ICONIQUES: L’IMPORTANCE DE L’OBJET-TÉMOIN COMME SUPPORT MÉMORIEL

Dans cette partie, nous présenterons les thèmes récurrents lors de l’analyse des expositions permanentes de différents musées dédiés à l’histoire de l’immigration pour tenter d’identifier les points structurels communs et de montrer comment les migrations humaines sont représentées.

Le musée constitue un espace de perception d’images et de représentations où le visiteur est invité à suivre le récit d’une exposition qui présente une perspective précise sur un sujet donné. Par conséquent, la mise en scène des objets et les images présentées sont essentielles pour comprendre la production du discours muséal. C’est l’ensemble de l’agencement spatial ainsi que la présentation des objets, documents et l’ensemble des textes (et du catalogue) qui produisent un message, un discours à être interprété par le visiteur. Dans l’exposition, le sens est donc intrinsèquement dépendant de la mise en scène des œuvres d’art, objets et documents présentés. Par conséquent, on peut supposer qu’en examinant la conception de l’exposition, il est possible d’identifier certains éléments récurrents qui structurent et caractérisent leur affichage et leur récit narratif. Quelle est alors la représentation de l’immigration qui est donnée à voir dans les musées analysés?

Avant de rentrer dans l’analyse des thématiques récurrentes dans les expositions permanentes, nous allons présenter rapidement la situation institutionnelle des trois musées analysés dans le cadre de la recherche.

L’Ellis Island Immigration museum n’a pas connu de grands changements dans son projet scientifique depuis son ouverture en 1990. Il a gardé les mêmes expositions permanentes jusqu’en 2015, date de l’ouverture d’une nouvelle exposition dédiée à l’immigration aux États-Unis de 1965 à nos jours. Des trois musées analysés, il est celui qui représente une structure institutionnelle solide qui ne s’est pas «remise en question» à plusieurs reprises comme les autres musées analysés.

Déjà, les musées de Paris et de São Paulo ont subi d’importantes transformations45 45 Des trois musées analysés dans ma thèse, Ellis Island est le seul qui reste presque inchangé depuis son ouverture en 1990 (il y a donc plus de trente ans). dans leurs projets scientifiques face aux divers changements institutionnels. Ces musées se sont reconfigurés en intégrant donc les principes et pratiques participatives empruntés au modèle de musée de société pour développer un dialogue participatif sur les questions contemporaines d’intégration sociale dans la ville qui va beaucoup plus loin que le simple rôle de collecter la mémoire de l’immigration. Le musée devient alors un acteur engagé socialement et un espace de critique des questions contemporaines dans nos sociétés.

Suite à notre travail dans les archives du Museu da Imigração, nous pouvons dégager des pistes et formuler des hypothèses sur les raisons des transformations successives du premier projet de musée, en date de 1993, jusqu’à l’ouverture du Memorial do Imigrante en 1998.46 46 Il est important de noter ici que dès la fermeture de l’Hospedaria do Imigrante en 1978, des projets non-officiels se sont développés pour la création d’un musée consacré à l’histoire de l’immigration. Une première exposition sur le sujet sera présentée à partir de 1986 mais ce sera seulement dans la décennie de 1990 qu’un vrai projet de création de musée sera mis en œuvre par l’Etat de São Paulo. Ce dernier présentait un parcours muséographique axé sur l’aspect mémoriel du lieu, sur les récits narratifs des immigrés ayant passé par l’Hospedaria ainsi que sur les différentes activités professionnelles exercées par les immigrés une fois installés en ville ou à la campagne. L’ancienne muséographie présentait même une reproduction en taille réelle d’une rue du centre ville de São Paulo (des années 1930) avec les petits commerces tenus par les immigrés.

Selon Ana Maria Leitão, ancienne directrice du musée: « Le défi était de fournir une compréhension globale du phénomène des migrations humaines. Comme le dirait Gérard Noiriel, il s’agit de «changer la vision de la société et du pouvoir public sur les immigrés. » Nous avons compris que les musées devraient être des espaces de rencontre et de dialogue entre les associations d’immigrés et la société. L’objet d’étude des musées d’immigration les situe dans le contexte politique de la société organisée et, en tant qu’institutions culturelles, concentre le phénomène migratoire nécessairement dans le cadre de la culture. Cette perspective leur permet une compréhension globale du phénomène, ainsi qu’une plus grande capacité d’action avec les segments organisés de la société. […] ».47 47 Vieira (2007, p. 118).

Le mémorial assumait ainsi un rôle social plus actif auprès des communautés d’origines immigrées à travers une valorisation de la mémoire locale et l’apport des immigrés dans la construction identitaire de la ville et de l’État de São Paulo. Le Memorial do Imigrante fermera officiellement ses portes en 2010. L’Hospedaria sera entièrement renouvelée48 48 Le bâtiment avait besoin de travaux de restaurations importants ainsi que d’une mise à jour des paramètres de sécurité et des espaces de conservation des collections. et une nouvelle équipe de professionnels prendra en charge les activités du musée.

Entre 2010 et 2011, le Memorial do Imigrante a été pris en charge par l’organisation sociale49 49 A São Paulo, les institutions muséales publiques sont gérées par des « organisations sociales » (OS). Ces dernières consistent en des organismes culturels qui envoient des projets au Secrétariat de la Culture du gouvernement de l’État de São Paulo. Si l’un des projets est approuvé, l’OS signe un contrat pendant une période donnée, pouvant être renouvelé à la fin de celle-ci. qui gère le Musée du Football. Pendant cette courte période, l’équipe de cette OS a organisé l’évacuation de la collection permanente du musée et de sa « mise en réserve » spéciale pour le début des travaux du bâtiment historique. En Juillet 2011, l’OS actuelle, qui gère aussi le Musée du Café à Santos, a pris en charge le reste de la restauration du bâtiment et la mise en place du nouveau projet muséographique. Parmi ces transformations, le musée laisse de côté le nom Memorial do Imigrante et devient Museu da Imigração do Estado de São Paulo.

Depuis sa réouverture en mai 2014, à l’occasion de la Festa do Imigrante,50 50 La Festa do Imigrante qui a lieu chaque année à la fin du mois de Mai ou début du mois de Juin, réunit toutes les différentes communautés d’origine immigré à São Paulo (italiens, polonais, russes, portugais, boliviens, japonais, … etc.). C’est un moment célébratoire (certes folklorique) mais qui reste important puisqu’il maintient ce lien direct avec les différentes communautés immigrées qui viennent présenter leur gastronomie, des danses et musiques traditionnelles, etc. C’est un grand succès auprès des visiteurs du musée aussi. l’exposition permanente du nouveau Museu da Imigração élargit la discussion autour de la thématique de l’immigration contemporaine sans perdre son objectif principal qui est celui de montrer comment les différents apports culturels des immigrés font partie intégrante de l’identité régionale (paulista) et celle de la ville de São Paulo avec ses 18 millions d’habitants (ville cosmopolite, par excellence, dans le scénario national et, plus largement, de l’Amérique Latine). Le cosmopolitisme est un concept qui sera fortement développée dans cette nouvelle muséographie51 51 Le Memorial do Imigrante mettait déjà en avant le concept de cosmopolitisme comme étant intrinsèque à l’identité et aux racines de la ville mais c’est le nouveau musée qui approfondira notamment cette thématique (MEMORIAL…, 2006). ainsi que dans les expositions temporaires. Ces dernières permettent aussi d’ouvrir la réflexion sur les migrations contemporaines au niveau national et international. Elles traitent, par exemple, de la thématique des réfugiés52 52 Des expositions telles que Direitos migrantes: nenhum a menos (2016) ou encore Costurando Dignidade (2019) entre autres sont des exemples de cette volonté du musée de parler des questions des droits des migrants contemporains à São Paulo. en écho à la nouvelle loi qui a été récemment votée sur le statut des réfugiés et immigrés au Brésil.

Dans le cas Français, le Musée national de l’histoire de l’immigration a connu depuis 2013/2014 une refonte de la Galerie des dons53 53 Pour plus d'informations sur le parcours de l’exposition permanente nous invitons le lecteur à consulter « La Galerie des dons » (2022). (trois refontes au total: 2014, 2017, 2019) et la volonté de créer un nouveau projet scientifique. Cependant, avec la fermeture de l’exposition permanente « Repères » (Voir figure 4) et de la Galerie des dons (Voir figure 5) en Décembre 2020 représentent un moment clé dans l’histoire de ce jeune musée (il a à peine quinze ans).

Figure 4
(à gauche) - Vue de l’exposition « Repères », partie « Au Travail », 2016.

Figure 5
(à droite) - Présentation de la partie « Hériter » de la Galerie des dons, 2014.

L’objectif principal du Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration étant de constituer une collection représentative de l’histoire, des arts et des cultures de l’immigration, la création d’une approche interdisciplinaire54 54 Dès son premier projet scientifique en date de 2005-2006, le musée a privilégié une approche basée sur un regard historique, ethnologique et artistique pour constituer, non seulement, ces collections mais aussi la muséographie des l’exposition permanente « Repères ». du fait migratoire a impliqué un enrichissement des perspectives sur le sujet entraînant donc une analyse plus approfondie et instructive.55 55 Lafont-Couturier (2007).

Les années 2013-2014 constituent un point important dans l’histoire institutionnelle puisqu’elles sont marquées par des transformations importantes: changement du nom du Musée, ouverture d’une exposition dédiée au Palais de la Porte Dorée, au deuxième étage, une refonte du parcours ainsi qu’un nouvel accrochage des œuvres dans l’exposition « Repères »,56 56 Comme nous l’avons vu dans le chapitre six, les critiques dès l’ouverture du musée parlaient du manque de mise en perspective des difficultés rencontrées par les immigrées et une certaine forme de simplification des dualités liées à la représentation de l’immigration. Mais il est sûr qu’il faut nuancer les critiques et voir les différentes tentatives du musée à créer un espace d’auto-réflexion sur la représentation de l’immigration. nouvelle Galerie des dons, début d’un nouveau projet scientifique et aussi une importante campagne publicitaire pour non seulement attirer des visiteurs mais aussi faire connaître le musée.57 57 Pour le moment, seulement la galerie des dons a été renouvelée. L’exposition « Repères » n’a pas de dates encore pour être renouvelée. Même si elle a perdu une partie importante de son espace pour laisser plus d’espace aux expositions temporaires. Les années 2017-2019 voient aussi la venue de deux nouveaux directeurs et pour les célébrations des dix années du musée, en octobre 2017, l’annonce d’une nouvelle exposition permanente et d’un nouveau projet scientifique qui devraient avoir lieu courant 2019-2021.

En août 2020, juste avant sa fermeture définitive, l’exposition « Repères » est bien différente de celle d’octobre 2007: ainsi comme l’institution, elle a évolué, au long de ses treize années d’existence, reflétant les changements, évolutions et discussions internes de l’institution. Même si le nom de l’exposition reste le même ainsi que celui des différentes parties de celle-ci, son contenu a beaucoup changé au long des années, soit par des ajouts d’œuvres et de textes, soit par le changement littéral des dispositions des œuvres et table de repères de même que le retrait de certaines œuvres.

En 2014, l’exposition présentait dès son entrée un texte qui invitait à la réflexion même du fait de créer une exposition sur l’immigration. Ce texte peut bien être vu comme une manière de mettre en perspective une exposition qui a été fortement critiquée depuis son ouverture,58 58 Benjamin Stora est historien et ancien président du conseil d’orientation du Musée national de l’histoire de l’immigration. Il a quitté le musée en 2019. permettant ainsi, d’inviter le visiteur à voir dans l’exposition permanente une représentation parmi d’autres possibles que le musée essaie de construire sur l’histoire de l’immigration en France.

Ce discours autoréférentiel, dans lequel le musée parle de ses défis et limitations dans la création de l’exposition permanente, propose aux visiteurs plus enclins de réfléchir sur le propre travail de représentation de l’immigration. Dans une certaine mesure, en invitant le public à découvrir le contenu du musée avec un regard critique sur sa muséographie, le discours muséal devient relatif et non une vérité absolue. Ainsi, une telle approche permet de mettre en perspective le rôle du musée en tant que porte-parole d’un discours institutionnel sur le sujet de l’immigration.

Lors des célébrations des dix années du musée en octobre 2017,59 59 Patrick Boucheron est historien, professeur au Collège de France et co-directeur de l’ouvrage « Faire musée d’une histoire commune », Seuil 2019. le musée annonce la refonte des collections permanentes pour créer une nouvelle exposition de longue durée sur l’histoire de l’immigration en France qui engloberait une chronologie plus large et l’inclusion d’autres concepts dans les thématiques développées.

Le rapport de préfiguration de la nouvelle exposition, commandé en juin 2017 par Benjamin Stora60 60 Musée… (2020). et confié à Patrick Boucheron,61 61 L’exposition temporaire « Persona Grata » présentée au MNHI et au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne MAC-VAL, du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019. Cette exposition, entièrement dédiée à la création contemporaine, mettait en valeur les concepts d’hospitalité et d’asile. Pour plus d’informations allez sur le site internet: https://www.histoire-immigration.fr/agenda/2018-06/persona-grata a été présenté au public lors d’une conférence au musée le 12 février 2020.62 62 Musée…, op. cit. Le directeur du musée Sébastien Gokalp, depuis février 2019, a présenté les objectifs de cette nouvelle exposition qui mise à élargir le spectre chronologique au-delà des « 200 ans d’histoire de l’immigration » traités par l’exposition « Repères ». En effet, la nouvelle exposition compte parler du concept d’étranger et d’immigration à partir de l’Ancien Régime, ayant comme dates clés 1685 et 1789 avant de rentrer dans la discussion sur l’immigration au XIXème siècle comme le faisait l’ancienne exposition. La nouvelle exposition permettra aussi d’inclure l’évolution du débat sur l’immigration en France depuis 2007, en incluant ainsi la discussion autour de la crise migratoire en Méditerranée, les questions autour du droit d’asile et de l’hospitalité, concepts déjà travaillés par le musée lors de l’exposition temporaire « Persona Grata ».63 63 Green (2011).

Comme nous avons vu, l’exposition permanente « Repères » présente un parcours plutôt axé sur l’intégration des immigrés en France, ayant donc comme concept central l’assimilation de l’autre par la culture française.64 64 Grosfoguel, Le Bot et Poli (2011). Alors que la nouvelle exposition misera sur la question de l’accueil et du droit d’asile, des concepts très présents dans le débat contemporain sur l’immigration en France aujourd’hui, le musée compte ainsi introduire un regard nouveau sur des sujets sensibles et d’actualité.65 65 Gruson (2011). Toutefois, le but principal de l’exposition permanente reste toujours celui de faire évoluer les mentalités et de réparer « les récits brisés » sur l’histoire de l’immigration.66 66 C’est ce que nous allons développer dans le chapitre suivant consacré à la structure thématique des expositions sur l’immigration.

Dans les expositions sur l’immigration, nous retrouvons souvent des expositions qui présentent un parcours thématique (comme nous verrons plus loin dans cet article) axé sur l’intégration de l’immigré dans sa société d’accueil. L’expérience personnelle de l’immigré qui est aussi souvent présentée dans ses musées à travers l’histoire orale et les objets-mémoires (ou témoins) muséographiés est à la base de ce parcours muséal qui met en avant surtout les apports positifs de l’immigration (et par conséquent, l’intégration des immigrés dans la société d’accueil).

Comme nous avons évoqué auparavant, nous retrouvons le cas du premier volet de l’exposition « Repères », entièrement consacré à la mise en musée des récits personnels d’immigrés (individus ou familles) mais aussi la Galerie des Dons entièrement dédiée aux objets-mémoires. Dans la première partie de l’exposition, on aperçoit alors des boîtes colorées qui contiennent plusieurs objets: valise, châle, statuette, vinyle, photos, etc. Ce sont des objets qui illustrent différents parcours et histoires de migrants originaires de diverses parties du monde.

Ces objets se présentent alors comme étant d’objets-témoins ou, autrement dit: « L’objet, dépositaire d’un parcours de vie, se justifie par son caractère « objectif » et concret de témoignage. » L’objet devient alors porteur d’une histoire et d’une mémoire. Il apporte des réminiscences ou des souvenirs à celui qui le possède: une mémoire de son origine, de sa famille, de la vie qu’il a laissée derrière lui. « En effet, les objets de la vie quotidienne réactivent à chaque instant de la journée le souvenir des personnes et des événements et les situent dans le registre mémoriel. Il s’agit d’une mémoire non verbale qui fait appel aux sens, surtout à la vue, au toucher et à l’odorat. »67 67 Pour plus d’informations sur présentation des collections d’art contemporain, consulter Les Collections… (2022). Ainsi, l’objet prend ici le rôle d’un « aide-mémoire », un support mnémonique qui sert à se souvenir des lieux, des personnes ou des événements significatifs.

A Ellis Island68 68 Green (2007). et au Museu da Imigração on retrouve aussi ce type de display où le récit mémoriel sur l’expérience migratoire est appuyé par l’objet-mémoire qui présente une espèce de témoignage matériel des ses mémoires personnelles. Dans une certaine mesure, il personnifie le récit et gagne de la valeur muséale uniquement par cette mise en valeur de son histoire et sa biographie.

Le Museu da Imigração à travers la collecte de témoignages des immigrés ayant passés par l’Hospedaria et des immigrés plus contemporains mettent en valeur le patrimoine oral ainsi que les objets-témoins collectés auprès de ces communautés. A partir de cette documentation méticuleuse auprès des différents groupes d’immigrés à São Paulo, le musée met en patrimoine l’identité locale à travers le prisme de la diversité culturelle. Le témoignage des immigrés muséographié avec en appui les objets-mémoires attire le visiteur et le fait sentir une certaine empathie69 69 Nous avons choisi d’utiliser ici le concept d’empathie puisque c’est de plus en plus un des concepts utilisé dans une perspective de muséologie des émotions. Le tournant affectif dans la création d’expositions a été bien analysé dans l’article de Varutti (2020). envers ces récits personnels qui pourraient être similaires aussi à celui du visiteur ou de quelqu’un de sa famille. Par la création de cette muséographie mémorielle, les musées d’immigration70 70 Ici nous mettons au pluriel car cette démarche de mise au musée des témoignages et récits personnels d’immigrés est récurrente dans toutes les expositions dédiées à l’histoire de l’immigration. Lors de mes recherches doctorales, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs musées et expositions consacrés à l’histoire des migrations humaines: Barcelone, Bremerhaven, Dublin, Londres, Genova, Anvers, New York, São Paulo, Paris, Montréal. Dans toutes ces expositions visitées le support objet-mémoire était mis en scène pour mettre en avant les récits d’immigrés. Ce dispositif est souvent associé à des muséographies immersives (reproductions de ports, salles à manger, domitoires, entre autres) et/ou à des œuvres d’art contemporain comme nous verrons plus loin dans cet article. invitent le visiteur à réfléchir sur la question du phénomène migratoire dans nos sociétés contemporaines à travers le prisme de l’empathie. Il est important de souligner que « les émotions jouent un rôle crucial dans la relation avec les messages non textuels: elles sont à la fois les prémices et le résultat de notre engagement avec l’exposition. »71 71 Varutti, op. cit.

De ce fait, un autre point essentiel à être mis en avant est l’importance de «l’empathie» ou la volonté de vouloir gérer des émotions chez le visiteur pour que celui-ci puisse se mettre à la place de l’immigré qui raconte son expérience vécue. Il est donc aussi important de faire la la part entre les termes d’empathie (empathy) et de sympathie (sympathy). L’empathie est la capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent. Déjà la sympathie est plutôt basée sur des relations entre personnes qui, ayant des affinités, se conviennent et se plaisent, sans nécessairement créer une relation.

Cependant, la sympathie fondée sur le soutien et l’intérêt (nous éprouvons, par exemple, du chagrin ou de la pitié pour la personne), ne permet pas de créer des liens comme celui de l’empathie qui elle serait basée plutôt sur des émotions partagées (nous ressentons également les émotions de la personne avec qui nous établissons un lien).72 72 Nous donnons ici une définition simple de deux concepts assez complexes mais l’objectif est de faire la différence pour que le lecteur ne se trompe pas. Le terme souvent utilisé en anglais « empathy » se traduit bien en français par le terme empathie. Même si beaucoup de muséologues ne croient pas que « l’empathie » soit un concept central pour créer des expositions, puisque trop abstrait et difficile de transcrire dans un parcours muséographique, de plus en plus de musées défendent la création d’expériences de visite qui déclencherait des émotions fortes chez le visiteur. Autrement dit, une voie possible dans la conception d’expositions est de créer un lien émotif chez le visiteur. Le rôle des émotions dans les musées a connu, principalement dans la littérature muséolologique anglo-saxonne, un regain d’attention ainsi que les sensations physiques, l’imagination et leur fonction dans le façonnement des expériences individuelles et collectives.

A travers ce sentiment empathique, le visiteur pourrait donc se mettre à la place d’autrui et, par la suite, mieux comprendre le vécu partagé dans les témoignages d’immigrés. C’est aussi pour cette raison, que les muséographies immersives, qui reproduisent des ports, cabines de navires ou autres, sont assez courantes dans les expositions consacrées à l’histoire de l’immigration.

Plusieurs musées présentent cette volonté d’inviter le visiteur à la place de quelqu’un d’autre pour lui faire comprendre le point de vue de l’autre et ainsi développer une nouvelle perspective sur la vie et la société dans laquelle il est inséré. Un exemple récent est l’Empathy Museum, créé en 2015 au Royaume-Uni, qui présente plusieurs expositions temporaires et itinérantes ayant pour objectif principal de faire vivre dans la peau d’autrui (de l’expression en anglais in someone else’s shoes). Il est important de mettre en avant que la volonté des expositions n’est pas simplement de créer la sympathie mais vraiment de l’empathie chez le visiteur pour qu’il puisse s’imaginer dans la situation d’un autre, ressentir les émotions, les idées ou les opinions de cette personne («to imagine oneself in the situation of another, experiencing the emotions, ideas, or opinions of that person»). Les expositions présentées par ce musée, comme celles des musées dédiés à l’histoire de l’immigration, présentent des témoignages personnels appuyés par des objets-mémoires. Non seulement le témoignage est muséographié mais l’objet aussi car en faisant partie de la collection du musée, il perd sa valeur fonctionnelle pour s’en parer de la valeur muséale ou patrimoniale. Les objets ont donc leur propre biographie73 73 Appadurai (1986). qui se mélange alors à celle des témoignages oraux des immigrés.

La collecte des objets du quotidien de notre contemporanéité est aussi au cœur des musées de société. « En réalité, l’objet contemporain collecté par le musée n’est pas l’objet matériel mais un fait social ou encore une «portion de vie sociale», dit Davallon, documentée par les objets qui sont archivés.»74 74 Drouguet (2015, p. 192). Si on élargit le champ, les œuvres d’art, les monuments, les livres, les photographies peuvent être investies aussi d’un rôle privilégié dans la mise en mémoire de l’histoire de l’immigration.

Comme le souligne bien Alexandra Galitzine-Loumpet: « L’objet de la migration est imprédictible, inattendu ; ses significations jouent sur plusieurs registres. […] On pressent dès lors l’intérêt de l’étude des objets: non seulement les migrations agissent sur les objets, mais elles permettent de replacer le sujet en migration au cœur de l’analyse, de restituer ses savoir-faire et ses savoir-être. Double mouvement, qui doit être abordé conjointement, à la fois dans la matérialité des objets et dans leurs représentations. »75 75 Galitzine-Loumpet (2020, p. 248).

Les expositions analysées lors de notre recherche doctorale76 76 Il est important aussi de mettre en avant que cet article se présente comme un article de synthèse d’un travail de recherche doctorale où l’objectif est de mettre en évidence le cadre théorique où s’insère cette recherche ainsi que de mettre avant les points forts des expositions sur l’histoire de l’immigration sans pour autant entrer dans une analyse détaillée de ces expositions.L’analyse des expositions plus détaillée peut-être lue dans ma thèse doctorale. comportent des scénographies différentes mais les sujets abordés restent les mêmes quand on parle de migrations humaine: le départ, le voyage (et le passage des frontières), le processus d’arrivée et de tri avec les autorités locales (visites médicales, refus ou acceptation d’entrée dans le pays d’accueil), adaptation (ou non - « enracinement ou non ») dans le pays d’accueil, migrations contemporaines.

Ces thèmes fonctionnent essentiellement comme des fils conducteurs pour la narration du musée racontant l’expérience de la migration. Des cartes et un contexte chronologique (tels que des frises chronologiques) sont également présentés au visiteur comme support historique. L’histoire orale est une caractéristique forte de ces musées car alliée à des objets de témoignage, elle peut donner vie à des récits et des souvenirs pluriels. En ajoutant ces récits multivocaux le musée apporte une approche plus immersive et empathique comme nous le verrons plus loin dans cet article.

Le voyage

Un autre thème central de l’expérience migrante est le grand récit du voyage. Le voyage est le « rite de passage » qui transforme et conditionne le statut même de l’individu qui migre. Migrer, c’est traverser une mer, un océan, un désert, une montagne: le voyage, parfois périlleux, pour atteindre une nouvelle terre inconnue (qui deviendra sa nouvelle patrie). Comme les mythes dans lesquels le héros fait un voyage initiatique: même s’il revient à son point de départ (son pays natal), il est profondément transformé par cette expérience.

Par exemple, au musée d’Ellis Island, il y a un «grand» récit centré sur le voyage. Mais n’est pas chronologiquement cohérent car les visiteurs traversent différentes époques avant et après à travers les différentes expositions permanentes que le musée présente.

Pourtant, le récit que le musée transmet le plus puissamment est le drame de passer le processus d’inspection et de franchir la porte d’Ellis Island. Le drame de l’inspection commence lorsque les visiteurs montent les escaliers restaurés menant à la Grande Salle, que les immigrants ont escaladés pour être traités, observés alors qu’ils montaient les marches, par des médecins à la recherche d’une éventuelle faiblesse du cœur, des membres ou de l’esprit.

Un autre musée qui structure son exposition autour du parcours d’un migrant depuis son départ jusqu’à son arrivée dans le nouveau pays est le Galata Museo del Mare. On y trouve des reproductions à l’échelle des logements où vivaient les migrants à Gênes, en passant par des reproductions de logements des navires pendant leur voyage et les maisons qu’ils vivaient avant et après la «traversée».

Diaspora humaine ou immigration comme phénomène humain

La perspective de l’immigration comme faisant partie de la nature humaine est souvent présentée au public pour souligner l’origine « naturelle » du phénomène. Ce faisant, les musées cherchent à trouver un terrain d’entente entre les visiteurs qui n’ont jamais eu l’expérience de la migration et ceux qui l’ont fait. Il montre que le déplacement et l’évolution des villes, des pays ou des continents font partie de l’histoire humaine et doivent être perçus comme un phénomène commun faisant partie du comportement de l’humanité.

Le Museu da Imigração commence son exposition permanente avec ce thème sous le nom de Diaspora Humana (Diaspora humaine). Ils présentent une vidéo où le visiteur peut voir les différentes voies migratoires que l’humanité a empruntées depuis la préhistoire pour peupler la terre.

Le musée Red Star Line, à Anvers, présente également une chronologie de l’Antiquité à nos jours pour montrer comment les migrations humaines ont toujours existé et combien les échanges culturels sont essentiels pour l’humanité.

Immigration & travail

Le thème du travail est également central dans les musées d’immigration puisque la grande majorité des immigrés viennent à la recherche d’un poste rémunéré et d’un emploi régulier. Les lieux de travail, formels ou informels, restent les lieux d’intégration les plus importants pour les migrants et les réfugiés dans leur nouveau pays d’accueil. Par conséquent, il s’agit d’un thème important lors de l’affichage thématique de l’histoire de l’immigration.

Dans ses expositions permanentes, le Musée national de l’Histoire de l’immigration et le Museu da Imigração montrent l’importance du travail dans la création d’un nouveau réseau pour les migrants nouvellement arrivés. En présentant des outils de travail parmi d’autres artefacts, ces musées soulignent la pertinence des immigrés en tant que force de travail aidant à bâtir la prospérité économique dans leur nouveau pays d’accueil.

Ces thèmes présentés ci-dessus sont souvent liés visuellement à la mise en scène d’une série d’objets emblématiques, généralement des objets personnels tels que des bagages, des documents de voyage (passeports par exemple), des lettres d’ immigrés, des vêtements ou des jouets pour bébés et enfants. Ces objets sont fréquemment utilisés pour leur impact visuel efficace et leur lien immédiat avec les thèmes de l’exposition. Ils ont rarement une valeur historique ou artistique en eux-mêmes mais ils incarnent la mémoire de l’immigration et produisent un fort impact visuel chez le visiteur.

Dans des expositions traitant du thème de l’immigration, qu’elles soient temporaires ou de longue durée, les mises en scène évoquant « l’expérience migrante » (ou migrant experience) sont assez courantes. Cette présentation d’objets se caractérise par une volonté d’immerger le visiteur dans la narration muséale et de créer ainsi un lien sensoriel entre les vitrines et le visiteur (pour encore une fois créer un impact affectif chez le visiteur). La valise reste l’objet emblématique de l’immigration par excellence (Voir figures 6 et 7): qu’elle soit présentée seule ou en support de dispositifs interactifs, elle représente la «boîte magique» qui contient les objets choisis par l’immigré lors de son départ et qui l’accompagnera dans son voyage pour toujours se rappeler de ses origines.

Figures 6 et 7
« Bagage room » à l’entrée du Ellis Island Immigration Museum, 2015.

Le moment du départ est crucial pour ceux qui décident de quitter leur pays et de se lancer dans l’inconnu qu’est le « voyage », dangereux dans bien des cas, pour accéder à une nouvelle vie. Une fois fait le tri des souvenirs et des objets à emporter avec soi, la valise se présente comme le réceptacle « sacré » de ces précieux souvenirs d’un monde qui restera dans le passé de ceux qui partent. (Voir figure 8)

Figure 8
Valise contenant des informations dédiées aux visiteurs, Red Star Line Museum, 2019.

Ainsi, elle serait ce contenant qui contient des « objets de mémoire » choisis par leur importance symbolique personnelle, de véritables reliques censées rappeler et, dans une certaine mesure, mettre en contact celui qui les possède avec son passé et sa famille. La traversée vers l’inconnu se fait avec sa valise et les reliques qu’elle contient: symbole du voyageur et aussi celui de l’immigré, l’exilé.

Figure 9
(à gauche) - Présentation d’activités au public avec des valises, 19 Princelet Street Londres, 2016.

Figure 10
(à droite) - Présentation de valises, Musée national de l’histoire de l’immigration, 2016.

Les musées peuvent donc demander aux visiteurs: Quel serait l’objet qu’ils choisiraient d’emporter avec eux s’ils devaient quitter leur maison et leur pays pour toujours? Ce choix est très personnel et intime mais certains objets sont assez courants comme: les albums photos de famille.

Le contexte architectural des musées consacrés à l’histoire de l’immigration complète souvent la communication visuelle des expositions. Ces musées sont généralement situés dans des lieux qui ont une histoire liée au contexte migratoire, tels que les docklands (ports), la frontière ou, encore, les musées sont situés dans des bâtiments historiques comme des lieux de tri et d’examens médicaux avant le départ, comme, par exemple, le bâtiment qui abrite le Red Star Line Museum à Anvers en Belgique. Ces bâtiments portent eux-mêmes une mémoire de l’immigration, ce qui en fait des bâtiments très emblématiques.

Cependant, il est nécessaire d’historiciser ces lieux de mémoire et lieux de passage (espaces de transit tels que les ports, les gares, les aéroports mais aussi les constructions temporaires créées pour retenir et contrôler les migrants) tout en libérant leur sens socio-anthropologique profond. Ces lieux où les migrants ont été traités et ont vu leur destin changé à jamais sont désormais des « monuments » à la mémoire de l’immigration. Il est, dans une certaine mesure, assez paradoxal d’avoir ces bâtiments impressionnants, autrefois des installations abandonnées, transformés maintenant en musées dédiés à l’histoire de l’immigration (un phénomène basé sur le non-lieux).

UN DISCOURS BINAIRE: REMISE EN QUESTION DE L’EXPOSITION PERMANENTE

Comment créer donc une muséographie qui mette en scène une pluralité de mémoires croisées vers une histoire partagée?

Si la référence à un récit national n’est pas toujours aussi explicite dans les musées de l’immigration, les responsables de la muséographie ont toujours été conscients de l’importance de l’histoire globale que ces institutions cherchaient à raconter. De ce fait, le récit et la mise en scène dans les musées de l’immigration sont essentiels pour créer une société plus inclusive (en ce qui concerne l’immigration et en particulier en ce moment avec la «crise migratoire» en cours en Europe).

Des travaux récents dans le domaine des études muséales critiques (Critical Heritage Studies) ont montré que les musées d’’immigration peuvent utiliser des objets-mémoire et des stratégies de mise en scène des mémoires individuelles pour transmettre des représentations positives de l’immigration, en promouvant la diversité et une identité nationale plus inclusive ainsi qu’une meilleure connaissance du sujet. L’idée principale est donc de voir le musée comme un espace de diffusion d’images et de représentations: quelle est la représentation de l’immigration qu’on donne à voir dans ces musées?

Les expositions analysées dans cet article présentent différentes scénographies mais les sujets abordés restent les mêmes quand on parle d’immigration: le départ; le voyage (et passage de la frontière), l’arrivée et le « processus de tri » auprès des autorités locales (visites médicales, refus ou acceptation d’entrée dans le pays d’accueil); l’adaptation dans le pays d’accueil (ou pas - «enracinement ou non») ainsi que les flux de migrations contemporaines (nouvelles communautés).

Ces sujets entraînent aussi le développement de discours et d’analyses plus larges à l’intérieur des expositions. Le thème de la frontière, par exemple, peut favoriser des réflexions sur la question des politiques migratoires, sur la définition changeante des migrants désirés ou non désirés ou, encore, sur les dynamiques d’inclusion et d’exclusion, alors que le voyage peut être utilisé comme rite de passage métaphorique, processus de transformation et de changement.

Ces thèmes fonctionnent essentiellement comme des fils conducteurs du récit muséal racontant l’expérience de l’immigré. Les cartes géographiques et le contexte chronologique (comme repères) sont également présentés au visiteur comme support historique.

Par exemple, l’exposition permanente «Repères» du Musée national de l’histoire de l’immigration s’intéresse précisément aux «petits objets glissés dans la poche»77 77 Nous faisons référence ici à la création de parcours narratifs basés sur l’objets mémoire et témoignages d’immigrés. La Galerie des dons étant entièrement dédiée à ce type de muséographie, nous pouvons donc affirmer que l’objet-mémoire est un des points phares du Musée national de l’histoire de l’immigration. avant le départ. Un fort accent est mis sur les souvenirs individuels et les récits personnels du départ et du voyage: l’expérience migratoire est présentée à un niveau individuel (surtout quand on regarde la Galerie des Dons).

Différente des expositions permanentes de l’Ellis Island Immigration Museum de New York et du Museu da Imigração de São Paulo, qui soutiennent leur récit muséal sur l’histoire du bâtiment et le chemin de l’immigré à son arrivée dans ces lieux de passage qui constituent ces institutions (les institutions gouvernementales de «tri» des immigrés), l’exposition Repères s’organise autour de concepts, de mots-clés pourrait-on dire, qui guident l’expérience migratoire. Ainsi, il est logique que l’exposition ait comme point initial l’idée même de départ. L’exposition par son choix thématique, et non-chronologique, de présentation de l’histoire de l’immigration crée un parcours qui invite le visiteur à se plonger dans différents aspects de la vie et de la trajectoire d’un immigré en France. Comme nous l’avons déjà évoqué, la « migrant experience » est au cœur de l’exposition à Ellis Island et, au MNHI, le parcours thématique permet aussi cette mise en perspective sur le parcours des immigrés jusqu’à leur intégration. En mêlant documents d’archives, objets-mémoire et œuvres d’art contemporain, le cheminement de l’exposition révèle une vision de l’immigration en France sous le prisme des différentes sphères sociales de l’immigré. Cependant, est-ce qu’une exposition thématique sur le parcours de l’immigré à l’intégration dans le pays d’accueil présente une perspective approfondie sur le sujet?

Comme nous avons vu, le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) met en avant un discours qui veut présenter les apports des immigrés à la culture française mais qui finalement renforce l’idée d’intégration sans conflits des immigrés par la société française. Le Palais de la Porte Dorée78 78 Le Palais de la Porte Dorée a été inauguré en 1931 lors de l’Exposition Coloniale au bois de Vincennes. Il a été construit pour devenir une vitrine de l’Empire colonial français: il a abrité le Musée des Colonies de 1931 à 1935. Ce musée sera ensuite appelé le Musée de la France d’outre-mer (1935-1960), le Musée des Arts africains et océaniens (1960-1990) et le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (1990-2003). devient, dans une certaine mesure, un site conflictuel qui n’est pas vraiment mis en contexte comme un monument historique important79 79 Il est important de préciser qu’ en janvier 2012, l’établissement public du palais de la Porte-Dorée est officiellement créé par décret. Il regroupe en son sein un monument historique, le palais de la Porte-Dorée, un musée, le musée national de l’histoire de l’immigration1 et un aquarium tropical. Sa mission est de mettre en valeur l’ensemble patrimonial du palais de la Porte-Dorée et de développer les projets scientifiques et culturels du musée et de l’aquarium. et ne dialogue pas avec l’exposition permanente.

L’Ellis Island Immigration Museum met en avant l’éloge de l’American Dream. Même si l’exposition permanente essaye de dresser un portrait « réel » des difficultés rencontrées par les immigrés à leur arrivée et le tri fait à Ellis Island (le processing des immigrés), finalement, le discours reste celui de l’inclusion de ses immigrés à l’Amérique et de l’American dream concrétisé une fois passé Ellis Island (on ne parle pas des difficultés rencontrées par les immigrés, arrivés en sol américain, une fois passé le check et le processing). Le discours de l’exposition permanente renforce lui aussi une vision d’inclusion, sans problèmes, de ces immigrés.

Déjà, le Museu da Imigração met en lumière l’éloge de l’identité Paulista80 80 Paulista se réfère à celui qui est né dans l’État de São Paulo. (et Paulistana).81 81 Paulistano se réfère à celui qui est né dans la ville de São Paulo. Les immigrés arrivés au port de Santos, en majorité italiens et japonais, ont contribué à la croissance économique d’un État déjà riche et à la richesse culturelle de la ville de São Paulo. Le discours de l’exposition permanente ne parle pas vraiment des obstacles rencontrés par les immigrés pour s’insérer dans la société brésilienne (la discrimination politique et sociale dont ont souffert les immigrés italiens et japonais, par exemple).

Peut-être c’est une des raisons pour lesquelles ces musées passent par plusieurs reformulations de leurs projets scientifiques respectifs. A Ellis Island, l’ouverture d’une nouvelle exposition permanente, en mai 2015, semble vouloir combler le manque de discours sur les questions d’immigration contemporaine aux États-Unis. Depuis son ouverture officielle en 1993, le Museu da imigração de São Paulo a changé de nom et de projet scientifique plusieurs fois, ce qui reflète les différents concepts mis en avant par le Musée (lieu de mémoire, mémoriel, musée). Mais une chose qui a toujours été importante pour le musée de São Paulo c’est le soutien des communautés d’origine immigrée qui ont toujours utilisé l’espace de l’Hospedaria pour leurs réunions communautaires.82 82 Même si la plupart du temps les communautés approuvent le discours du musée, lors d’un entretien avec l’ancienne directrice du Musée Marilia Bonas en février 2015, j’ai appris que le musée fait aussi attention aux commentaires et aux critiques sur le discours de l’exposition permanente du musée.

La CNHI, aujourd’hui MNHI, est le plus récent de ces musées (il a à peine dix ans) et il a déjà changé de nom, de logo et un nouveau projet scientifique est en cours depuis 2014. « La CNHI se heurte à des remises en question encore plus sérieuses que ma lecture du parcours historique. Voici les problèmes les plus souvent évoqués, qui ont déjà fait l’objet de nombreux articles: le cadre est Le Palais de la Porte Dorée qui crée une contradiction entre le bâtiment et le discours de l’exposition permanente. « Au lieu de refléter de bout en bout l’impact de l’immigration dans l’histoire et le patrimoine français, ce musée semble bien être un musée des « autres » dont on n’arrive pas à raconter l’histoire. »83 83 Fauvel, op. cit., p. 120.

« L’exposition permanente reflète le concept de la nation tel évoqué par Renan dans « Qu’est- ce qu’une nation? » publié au XIXème siècle. Elle veut en effet faire valoir la diversité historique constitutive de la nation française, mais surtout souligner le vouloir vivre ensemble, donc elle tient à mettre en avant une cohésion nationale et l’impératif d’homogénéité de la nation française, que les immigrés ne font pas vaciller. »84 84 Fauvel, op. cit, p. 121. Nous pouvons conclure que cela témoigne d’une difficulté que rencontrent ces musées à élaborer un projet intellectuel qui se tienne et les contextes historique, politique et social sont très importants pour comprendre ces musées et les dynamiques de pouvoir présentes dans ceux-ci.

Les changements successifs de nom des musées (Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et CNHI changent tous de noms), de projet scientifique (idem) et de parcours muséographique ne comblent pas le vrai problème présent dans les exposition permanentes des musées d’immigration: nouvelles expositions, anciens paradigmes. L’exposition présente les immigrés (leurs parcours à l’arrivée dans les lieux d’accueil officiel pour Ellis Island et São Paulo) mais ne présente pas vraiment le parcours réel de ces immigrés (obstacles rencontrés, xénophobie, exclusion sociale, pauvreté…etc.). Dans les trois expositions permanentes, les immigrés sont présentés comme étant tous intégrés dans le pays d’accueil sans beaucoup de difficultés. De là, le manque d’identification de beaucoup d’immigrés lors de leur visite à ces musées (principalement dans le cas français). Néanmoins, l’analyse des expositions permanentes ouvre également des perspectives fécondes. L’objectif d’une exposition est, dans une certaine mesure, de déranger le visiteur dans son confort intellectuel. Il s’agit de susciter des émotions, des frictions et des envies d’en savoir plus sur le sujet présenté. Mais le fait d’exposer signifie aussi construire un discours spécifique au musée, fait d’objets, de textes et d’iconographie. C’est mettre les objets au service d’un propos théorique, d’un discours ou d’une histoire et non l’inverse. En suggérant l’essentiel à travers la distance critique, elles sont un outil important pour lutter contre les idées reçues et les stéréotypes.

De nouvelles perspectives sur la représentation des migrations humaines semblent donc se mettre en place, privilégiant l’apport des communautés concernées. Les différents musées dédiés à l’histoire de l’immigration dans le monde restent des points de départ pour la création d’espaces de dialogue sur les débats politiques contemporains concernant les migrations humaines ainsi que des espaces de réflexion de l’avenir de nos sociétés en privilégiant plus d’inclusion et de justice sociale. L’importance de mener des travaux sur les pratiques et les transmissions culturelles dans nos sociétés contemporaines ainsi que sur les créations issues des expériences de l’exil sont au cœur des projets développés par les différents musées d’immigration que nous avons eu l’occasion de visiter.85 85 Lors de ma recherche doctorale, j’ai eu l’occasion non seulement de visiter à plusieurs reprises les trois musées choisis pour l’analyse académique mais aussi d’autres musées en Italie, en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne. L’analyse des représentations de l’immigration dans les sociétés d’accueil reste essentielle, non seulement en termes de développement et de diversification des publics, mais aussi dans leur capacité d’inclusion et de justice sociale. En adaptant leur offre aux principes d’une démocratisation de la culture, les musées d’immigration ouvrent leur espace au dialogue et au partage interculturel.

Le phénomène migratoire et l’histoire de l’immigration sont devenues des thèmes majeurs dans le paysage mondial des musées. Les projets des musées d’immigration ont été portés par la volonté de reconnaissance de la diversité culturelle. Aujourd’hui, ils se revendiquent, dans une certaine mesure, comme des ambassadeurs du « dialogue interculturel et de la mondialisation » qui entendent incarner une nouvelle identité plurielle. Pourtant ces musées sont aussi confrontés aux mutations des relations géopolitiques et à l’évolution des discours identitaires qui questionnent la vision d’une « multiculturalité heureuse ».86 86 Van Geert (2020).

Joachim Baur soutient que la création de musées de l’immigration peut être vue comme une réponse à la crise des récits collectivement partagés et à l’hétérogénéisation des identités culturelles. En présentant l’immigration comme l’expérience commune partagée par la plupart des membres de la société, les musées construisent un récit sur les migrations humaines et contribuent ainsi à des révisions d’une communauté imaginaire nationale. Après avoir signalé quelques exemples où la construction d’un récit global sur l’immigration pose des problèmes et la manière dont les musées y font face, il préconise de surmonter le « nationalisme méthodologique » dans les représentations muséales de l’histoire des migrations.87 87 Baur (2017, p. 341-357).

L’analyse des expositions permanentes des musées d’immigration, nous révèle donc qu’à partir de thèmes maîtres développés dans chaque module un discours célébratoire sur l’intégration des immigrés se met en place. De ce fait nous pouvons affirmer que même si les expositions permanentes se renouvellent et les muséographies changent, les paradigmes88 88 Nous entendons ici le concept de paradigme comme un modèle de pensée qui guide le discours mis en scène dans les musées de l’immigration. qui guident la mise en musée restent les mêmes. Le défi de dépasser «les nationalismes méthodologiques» lors de la création d’expositions sur la thématique des migrations est au coeur des discussions sur le sujet et celà est peut-être la raison pour laquelle les musées d’immigration finissent par renouveler assez souvent leurs expositions de long terme.89 89 Le Migration Museum de Londres a décidé par exemple de ne pas créer une exposition à long terme et de présenter à chaque fois des expositions thématiques pour ne pas tomber dans ce piège de créer une exposition où les thématiques présentées et la structure sont toujours similaires à d’autres musées d’immigration. La diversité des thèmes abordés et l’originalité avec laquelle ils sont traités sont donc plus grandes.

La célébration des parcours personnels et collectifs « d’immigrés de succès » est mise en avant pour bien valoriser leur apport à l’identité et à la culture nationales. Cependant, les liens entre histoire de la colonisation et de l’immigration restent encore des défis aux conservateurs et leurs équipes de conception des nouvelles expositions dédiées à travailler l’histoire d’une ville et/ou d’un pays de façon plus inclusive.

Pourtant, les pratiques participatives lors de la création d’expositions sur l’immigration soulignent l’importance d’un discours polyphonique et axée sur une représentation de l’immigré sans l’enfermer dans un rôle passif ou stéréotypé. Les multiples témoignages et mémoires immigrées présentes dans ces expositions alliées à la présentation d’objets-mémoires, sont au cœur de cette volonté de mettre en avant la variété des parcours d’immigrés ainsi que leurs particularités. La contribution des récits individuels reste donc au cœur de la création d’un discours plus large sur l’histoire de l’immigration. L’art contemporain est aussi une autre approche de plus en plus présente dans les musées dédiés à l’histoire de l’immigration et c’est ce à quoi nous allons nous pencher par la suite.

L’ART CONTEMPORAIN POUR INCITER DES ÉMOTIONS?

Nous aimerions finir cet article en évoquant l’importance de la création contemporaine dans les musées de société et dans notre exemple plus précis du Museu da Imigração. Comme le souligne bien Noémie Drouguet: « La création contemporaine est régulièrement conviée à participer à l’exposition de «société». Beaucoup de musées font désormais appel à des artistes ou intègrent des œuvres pour évoquer des aspects sociétaux, en particulier les problématiques les plus délicates à traiter. L’artiste se substitue-t-il au muséographe quand ce dernier n’ose pas aborder certains sujets? ».90 90 Drouguet, op. cit., p. 170.

L’œuvre d’art contemporain, qui s’est disséminée depuis les années 1990 dans les musées de société,91 91 Bergeron (2013, 2021). est aussi un autre ressort des musées d’immigration, car il permet d’ouvrir encore une autre perspective sur le sujet traité. L’apport de l’art contemporain trouve sa pertinence dans la nature d’un témoignage d’un autre ordre. Par le biais de la subjectivité de l’artiste, le visiteur est invité à voir la question des migrations sous un autre angle et de confronter ses propres perceptions sur le sujet à celle de quelqu’un d’autre. Il ne faut pas oublier qu’une œuvre d’art peut avoir une multitude d’interprétations puisque le spectateur, celui qui l’observe, est en co-création avec l’artiste de sa signification.

De 2014 à 2018, le visiteur du Museu da Imigração débutait son parcours par l’œuvre de l’artiste brésilien Nuno Ramos, placée à l’entrée de l’exposition permanente, qui est aussi le centre de l’exposition, le nerf central, par la disposition spatiale du bâtiment92 92 Elle représentait une espèce de noyau central « symbolique » par la disposition spatiale muséographique. Le visiteur la voit à son arrivée, la recroise au milieu de sa visite et à la fin entraînant celui-ci à se confronter, plusieurs fois, à l’immensité de celle-ci. et grâce à sa taille impressionnante, elle attirait l’attention du visiteur: une loge de camion remplie de briques renversée vers le côté pour symboliser la question du travail mais aussi des migrations.

Le titre de l’œuvre est une question, ainsi le visiteur est invité à se poser des questions au début, de continuer sa réflexion au milieu de son parcours (et peut-être remettre en question ce qu’il a pu voir jusqu’à présent) et, à la fin de sa visite confronter ce qu’il a vu dans l’exposition à l’idée centrale de l’artiste: la question « Est-ce un homme? »93 93 Le titre de l’œuvre fait référence au livre Si c’est un homme de Primo Lévi. reste ainsi centrale à la réflexion sur l’exposition permanente. Le camion utilisé dans cette œuvre est souvent utilisé pour le transport de travailleurs immigrés ou des migrants en provenance du Nord-est du pays. Les briques symbolisent ces travailleurs qui ont aidé à construire la richesse économique de l’Etat de São Paulo. Ainsi, lorsque le camion est renversé sur le côté, et que les briques se cassent par terre, elles symbolisent la fragilité des corps des immigrés transportés par ces camions. La précarité de la vie de ces personnes qui travaillent dans des conditions très difficiles, parfois sous-humaines, est donc mise en évidence par cet œuvre d’un fort impact visuel.

L’idée des concepteurs de l’exposition permanente était d’insérer un questionnement sur la thématique de l’immigration à São Paulo, d’une façon plus « ludique » et qui permettrait d’établir un dialogue entre installation d’art et les axes de réflexion présentés au long de l’exposition permanente pour rendre possible une interprétation plus subjective du sujet.

La question de l’humanité de l’immigré est posée donc par cette œuvre d’art contemporain mais l’interprétation finale est laissée à chaque visiteur. Ce dernier est libre de donner sens à l’installation de Nuno Ramos, chacun utilisant son répertoire. Elle est une espèce de prélude, de prologue, de préface et d’épilogue qui annonce et conclut la thématique principale de l’exposition: le travail.

Lorsque nous analysons le choix symbolique de l’artiste, qui a été commissionné par l’État de São Paulo et la nouvelle direction du musée pour créer cette œuvre monumentale, il est clair que représenter un camion qui est, non seulement, utilisé pour transporter des briques de construction mais aussi des travailleurs immigrés venus d’autres régions du pays, principalement du Nord-Est, amène la question de la force de travail immigrée au centre de l’œuvre. Que ce soient les immigrés venus d’Europe, d’Asie ou d’autres régions du pays, la question du travail est au cœur de ces migrations puisqu’à leur arrivée ils étaient directement affectés aux plantations de café, à l’industrie naissante ou encore les petits métiers de la ville de São Paulo.

Depuis le 18 février 2020, une nouvelle œuvre d’art contemporain fait ce pont entre les deux parties de l’exposition: une installation vidéographique SobreNomes. Cette œuvre utilise la technique de mapping où une vidéo est projetée sur un mur de treize mètres à l’entrée de l’exposition permanente. La question au centrale que posée au visiteur est la suivante: « Qu’est-ce que ton nom de famille représente pour toi? »

Avec cette question, le visiteur est amené à s’interroger sur l’héritage que représente son nom de famille, ainsi que, les origines auxquelles il apporte un éclairage. Si avec l’œuvre de Nuno Ramos, le travail était au cœur des interrogations sur l’immigration, avec cette nouvelle vidéo-installation, le musée veut mettre en lumière l’héritage et le caractère intergénérationnel de l’immigration.

Dans une certaine mesure, les visiteurs sont assez souvent plus attirés par un sujet où ils peuvent se reconnaître ou s’ils se sentent concernés (voir même exposés). Cette nouvelle œuvre d’art contemporain pourrait inviter les visiteurs à se reconnaître dans l’exposition. Ce qui est exposé par le musée seraient donc des éléments constitutifs de sa propre culture familiale peut-être (si le visiteur a des origines immigrés) et lui parlent donc davantage, déclenchant chez lui des réactions plus émotives. Les émotions patrimoniales94 94 Fabre (2013, p. 10). provoquées suite à l’identification ressentie à la vue d’objets-mémoire ou à l’écoute d’un témoignage d’un immigré, peuvent être plus fortes que toute analyse académique sur le sujet. Ainsi, l’apport de cette œuvre d’art conjuguée à un parcours muséographique qui privilégie l’histoire orale et des objets-témoins, affirme la volonté du musée de dialoguer directement avec son public et de l’amener à ressentir de l’empathie95 95 Landsberg (2009). envers les propos traités. L’histoire de l’immigration est ainsi reconnue à un niveau plus personnel et appropriée donc par le visiteur.

La dernière résidence artistique en cours au musée a invité l’artiste Paulo Chavonga96 96 Artiste d’origine mozambicaine et installé au Brésil depuis 4 ans. Il développe un travail de création artistique basé sur ses propres expériences migratoires dans d’autres pays d’Afrique et au Brésil. qui a travaillé en lien direct avec les chercheurs du musée pour créer une exposition de portraits des personnes considérées commes invisibles dans la société brésilienne, Rostos invisíveis da imigração no Brasil.97 97 Pour plus d’informations sur cette exposition temporaire, consulter Programa… (2021). Dans les discours sur l’immigration au Brésil est souvent favorisé l’aspect mémoriel et célébratoire98 98 Cet aspect célébratoire était aussi une des fortes critiques à l’ancienne exposition permanente qui n’abordait pas les défis et impacts des migrations contemporaines dans la société brésilienne. des anciennes vagues d’immmigration d’origine européenne mais les migrations contemporaines en provenance d’Afrique ou d’autres pays d’Amérique Latine ainsi que les personnes d’origine indigène et les réfugiés syriens, sont « oubliés » et ignorés. L’importance de créer un espace de visibilité de ces personnes issues des migrations contemporaines est au cœur de ce projet d’exposition temporaire.99 99 L’exposition a eu lieu au Museu da Imigração du 2 octobre au 30 décembre 2021. Ainsi, cette résidence artistique est en consonance directe avec les questionnements contemporains du musée et les directives de création d’un espace de réflexion sur les débats actuels au sein de la société brésilienne.

L’EXPOSITION « CE QUI S’OUBLIE ET CE QUI RESTE »: L’ART CONTEMPORAIN AU SERVICE DE L’EMPATHIE?

Nous allons finir cet article en analysant brièvement l’exposition d’art contemporain « Ce qui s’oublie et ce qui reste », présentée par le Musée national de l’histoire de l’immigration entre mai et août 2021, dédiée aux vestiges de l’immigration. Ces vestiges peuvent être matériels et immatériels mais ils sont importants pour la transmission des mémoires de l’immigration. Cette exposition illustre bien les propos développés au long de cet article et les forts liens tissés entre vestiges matériels, création artistique, récits et mémoires d’immigration.

Comme nous avons pu voir jusqu’à présent, les initiatives patrimoniales sur l’immigration et ces « vestiges » se font de plus en plus nombreuses: les différentes institutions, telles que les musées d’immigration ou autres, proposent de raconter l’histoire de l’immigration non seulement par le biais de la culture matérielle mais aussi grâce à l’apport de l’art contemporain. Les expositions d’art contemporain sur le sujet de l’exil et de l’immigration ne cessent de croître. Les relations multiples, parfois ambiguës ou paradoxales, qui s’établissent entre les œuvres d’art et les objets-mémoires sont interrogées par plusieurs chercheurs, selon des perspectives originales, témoignant de la vitalité de la recherche en sciences sociales et en muséologie concernant la représentation de l’immigration.

Si on élargit le champ, les œuvres d’art, les monuments, les livres, les photographies peuvent être investies aussi d’un rôle privilégié dans la mise en mémoire de l’histoire de l’immigration. Comme le souligne bien Alexandra Galitzine-Loumpet: « L’objet de la migration est imprédictible, inattendu ; ses significations jouent sur plusieurs registres. […] On pressent dès lors l’intérêt de l’étude des objets: non seulement les migrations agissent sur les objets, mais elles permettent de replacer le sujet en migration au cœur de l’analyse, de restituer ses savoir-faire et ses savoir-être. Double mouvement, qui doit être abordé conjointement, à la fois dans la matérialité des objets et dans leurs représentations. »100 100 Galitzine-Loumpet, op. cit, p. 248.

Non seulement le récit des immigrés est muséographié mais l’objet aussi car en faisant partie de la collection du musée, il perd sa valeur fonctionnelle pour s’en parer de la valeur muséale ou patrimoniale, devenant ainsi un objet-mémoire. Les objets ont aussi leur propre biographie101 101 Appadurai (1986). qui se mélange donc à celle des témoignages oraux des immigrés. La collecte des objets du quotidien de notre contemporanéité est aussi au cœur des musées de société.102 102 Ce qui renforce le statut des musées consacrés à l’histoire de l’immigration comme étant des musées de société puisqu’ils présentent une approche interdisciplinaire de l’immigration et aussi développent des démarches participatives auprès des différentes communautés immigrées. « En réalité, l’objet contemporain collecté par le musée n’est pas l’objet matériel mais un fait social ou encore une «portion de vie sociale», dit Davallon, documentée par les objets qui sont archivés ».103 103 Drouguet, op. cit., p. 192.

Le témoignage des immigrés ainsi muséographié avec en appui les objets-mémoires attire le visiteur et le fait sentir une certaine empathie envers ces récits personnels qui pourraient être similaires aussi à celui du visiteur ou de quelqu’un de sa famille. Par la création de cette muséographie mémorielle, les musées d’immigration, ainsi que les musées de société, invitent le visiteur à réfléchir sur la question du phénomène migratoire dans nos sociétés contemporaines à travers le prisme de l’empathie. L’art contemporain s’approprie elle aussi de ces concepts de transmission, de mémoire partagée et d’objets-mémoires pour traiter des relations familiales et interpersonnelles liées à l’immigration.

L’exposition « Ce qui reste et qui s’oublie », se développe justement autour de ces axes de réflexions. A l’entrée de l’exposition, nous pouvons lire: « A l’heure de l’information en continu, des réseaux sociaux et d’un certain individualisme, que signifie transmettre? Qu’en est-il de cette passation? De ce geste destiné à confier à une autre personne une mémoire mais aussi des savoirs et savoir-faire, des traditions, rituels ou encore des objets?

Les propositions plastiques, qu’elles interrogent ou interpellent, qu’elles soient allégoriques, poétiques ou engagées, se trouvent au cœur des débats contemporains. Comment les artistes abordent-ils les notions de liens entre générations? Quels sont les mécanismes de diffusion linguistiques, politiques, spirituels et sociaux dans le temps - entre passé, présent et futur - et dans l’espace? Quelles sont enfin les limites, les fragilités, les pertes et ruptures de la transmission dans un monde globalisé?

Autant de questions qui rythment le parcours autour de trois idées de force, «Transmissions de mémoire», «Omissions et ruptures», «Nouvelles écritures». Ces thématiques, sans être matérialisées dans l’espace, laissent aux œuvres la possibilité de se déployer dans leur polysémie et dans la promesse de leurs engagements ».104 104 Propos présentés au public à l’entrée de l’exposition, MNHI, 2021.

Dans cette brève introduction, les commissaires de l’exposition, Meriem Berrada et Isabelle Renard, mettent en avant les concepts qui ont guidé le choix des œuvres présentées au public. L’importance de la transmission des mémoires de l’immigration au sein de la famille, de partager des coutumes et pratiques culturelles, ainsi que les forts liens intergénérationnels qui se tissent entre individus d’un même groupe social (soit familiale, soit d’autres formes de liens communautaires entre individus). Mais qui dit mémoire et transmission, dit aussi «oubli et interruption». Comme les déesses de la mythologie grecque Mnémosyne et Léthé, les réminiscences et les souvenirs ainsi que l’oubli ou l’omission (de certains passages d’un récit), sont au cœur des mécanismes de transmission mémorielle. Les différents artistes présents dans cette exposition sont allés chercher dans leurs parcours personnels ou alors dans celui de leur communauté, les dynamiques de transmission ou de rupture mémorielle. Par la suite nous allons présenter quelques-unes des œuvres les plus importantes de l’exposition.

L’œuvre d’Emo de Medeiros, artiste franco-béninois, qui est à l’affiche de l’exposition, présente deux pièces de sa série appelée « Surtentures » avec cette citation en anglais « since it is the nature of love to be reborn from hidden memories. »105 105 Traduction de cette citation présente à côté de l’œuvre de Medeiros: « car c’est la nature de l’amour de renaître à partir de souvenirs cachés. » Cette œuvre textile est composée par deux grands « tapis » qui dialoguent entre eux dans cet apport visuel de motifs contemporains (inspirés d’un univers de comics et super-héros mais aussi des collages présents dans l’art moderne) brodés avec des lignes de couleurs vives sur un fond noir. Le savoir-faire traditionnel allié à un imaginaire contemporain se mélangent dans cette œuvre pour nous montrer les rapports entre transmission de savoirs-faire et incorporation d’éléments provenant de différentes cultures pour créer une œuvre originale. Selon l’artiste, « un certain nombre d’imaginaires, de valeurs, de symboles qui innervent actuellement les visions dominantes du monde demandent à être remis en question. Il y a besoin, plus que jamais, d’examiner ce que l’on décide de transmettre et ce que l’on décide d’oublier. Dans « Ce qui s’oublie et ce qui reste », je montrerai deux pièces de ma série des « Surtentures », qui mêlent des références à Matisse ou à Duchamp, aux X-Men et à des symboles alchimiques… Dans ce cas précis, c’est le médium utilisé qui est l’objet de la transmission, en l’occurrence la toile cousue d’Abomey: j’inscris sur ce médium ancien du Bénin un langage visuel contemporain global, fait de pictogrammes, de logos, et même de puces électroniques.»106 106 Fémelat (2021).

Déjà, l’œuvre de Malik Nejmi est composée d’objets mémoires collectés auprès de sa famille: un coussin du salon de Rabat (sa maison familiale), un foulard d’Aïcha (sa grand-mère) et un livre d’arabe. Une vidéo intitulée « 4160 », où il veut aborder les questions de transmission mémorielle au sein de sa propre famille, accompagne les objets pour créer un lien visuel entre les traces mémorielles présentées sous formes d’objets de famille et les mémoires visuelles de l’artiste liées à sa maison familiale à Rabat au Maroc.

Nous pouvons lire dans la légende présentée à côté de son œuvre: «Diplomé du conservatoire du cinéma français de Paris, Malik Nejmi scrute l’histoire familiale sur fond d’histoire collective. Grâce à la photographie, la vidéo et le récit, il renoue avec le Maroc paternel où l’artiste a passé, enfant, une partie de ses vacances.

En 2013, Malik Nejmi fait don au musée d’un ensemble d’objets confiés par sa grand-mère Aïcha avant de mourir: le coussin du salon de la maison de Rabat, son foulard et le livre d’arabe de Malik. Cette donation impulse chez l’artiste, alors en résidence à la villa Médicis, une réflexion plastique autour de la question des objets, de la mémoire, de la circulation générationnelle. L’artiste fabrique l’installation 4160 (du nom du numéro de la tombe de sa grand-mère dans un cimetière de Rabat) à partir d’allers-retours entre l’atelier romain, le musée parisien et le Maroc. Un film pour tenter de traduire une impalpable nostalgie de l’exil, laissée, elle aussi, en héritage.

À Rome, les enfants de l’artiste s’emparent des divers éléments avant séparation définitive. Dans un dialogue entre corps et objets, danse et performance, l’artiste sonde «une réalité où la migration devient un destin pour tous» à travers un film qui révèle des conversations transculturelles et transgénérationnelles, émotionnelles et vitales. »107 107 Texte de présentation des œuvres présenté dans la légende de l’œuvre. Ces propos ont été écrits par le critique d’art et commissaire d’expositions chinois Hou Hanru. Il est actuellement directeur artistique du MAXXI à Rome.

Selon l’artiste, « j’ai deux mémoires, deux pays sensibles à mon regard qui ont fait de leur histoire un asile pour la famille. » Il est donc clair ici l’importance de son parcours personnel lors de la création de l’œuvre et le caractère mémoriel et affectif qui s’empare de son processus créatif. La double appartenance à deux cultures est transmise de génération en génération. Malik Nejmi présente ainsi ce processus de négociation entre mémoires affectives familiales et transmission culturelle intergénérationnelle.

Une autre artiste qui travaille aussi sur ces questions de transmission au sein de sa propre famille est Zineb Sedira, qui avec l’œuvre Mother Tongue », fait partie aussi de la collection de la MNHI et était présentée dans l’exposition permanente « Repères ».

Selon Sedira, « Mon œuvre explore les paradoxes et les intersections de mon identité en tant qu’Algérienne et Française, et aussi en tant que résidente en Angleterre ». L’histoire personnelle de Zineb Sedira et celle de sa famille, qui a quitté l’Algérie pour la France, marquent le point de départ de ses recherches plastiques. Dans le triptyque vidéo Mother Tongue, l’artiste examine les notions de préservation mais aussi de perte d’identité culturelle. À travers une chaîne matrilinéaire, l’artiste, sa mère et sa fille dialoguent deux par deux sur trois écrans, chacune dans sa langue maternelle: le français pour Zineb, l’arabe pour la mère, l’anglais pour la petite-fille. Par la mise en image du récit oral, l’artiste se rapproche de cette « tradition de raconter des histoires qui a permis de préserver, notamment entre les femmes, une identité culturelle d’une génération à l’autre. « Mais entre la petite-fille et la grand-mère qui ne comprennent pas leur langue respective, la communication semble rompue. Si le triple langage de l’artiste témoigne de la richesse de son identité multiple, l’œuvre dévoile également les différences culturelles et les ruptures engendrées par les expériences diasporiques. »108 108 Texte de présentation des œuvres présenté dans la légende de l’œuvre.

Cette œuvre est en lien direct avec la transmission mémorielle faite à travers l’histoire orale et qui est au cœur aussi des pratiques muséales qui recueillent les récits personnels des immigrés ainsi que les « objets-mémoire » pour témoigner des mémoires transmises oralement. Ainsi, les œuvres présentées dans cette exposition sont en consonance directe avec les pratiques participatives mises en place par le Musée national de l’histoire de l’immigration pour recueillir et sauvegarder la mémoire des immigrés en France.

L’agencement des œuvres présentées est tissé autour des différents concepts évoqués jusqu’ici, sans pourtant présenter des parties spécifiques ou un parcours précis. En effet, le visiteur est libre de parcourir l’exposition librement dans un espace expositif pas très grand. L’ancien espace dédié aux expositions temporaires (maintenant fermé pour rénovations), était plus grand et avait un format en ‘L’ ce qui, dans une certaine mesure, obligeait les commissaires d’expositions de créer un parcours plus précis pour les expositions. Déjà, la salle au rez-de-chaussée, où se présente l’exposition ici analysée, est propice à la création d’un parcours plus libre que les commissaires ont su mettre en valeur, en mettant en scène les œuvres d’une façon circulaire qui invite le visiteur à choisir le sens de la visite librement.

Plus loin, nous pouvons encore lire: « À rebours des représentations colorées d’une supposée production artistique africaine, l’exposition oscille entre continuités et points de fracture. Elle tord les clichés d’une identité visuelle souvent associée au continent africain. Et loin de construire un ensemble uniforme, les œuvres se révèlent dans toutes leurs spécificités, facettes et complexité.

Peintures, tissages, sculptures, photographies, vidéos, installations, performances s’attachent autant aux échanges qu’aux fêlures, à ce qui est partagé qu’à ce qui est omis, effacé, rendu invisible et silencieux. À ce qui s’oublie et à ce qui reste. »109 109 Propos présentés au public à l’entrée de l’exposition, MNHI, 2021. Ce parti pris de laisser au visiteur la liberté de choisir le parcours de sa visite est en consonance avec le concept de l’exposition où les transmissions mémorielles ne sont ni linéaires ni continues. Dans ce processus il y aura toujours des ruptures, des non-dits, des oublis. La transmission de la mémoire des migrations soit-elle au niveau familial ou au niveau collectif (communautaire) n’est pas une démarche automatique ou directe: c’est avant tout un choix de celui qui a vécu l’expérience migratoire et de sa construction personnelle de ce récit. Autrement dit, la construction du récit qui sera transmis est le résultat d’oublis et d’omissions qui font partie de la mémoire imparfaite de tout individu. Ainsi, il est intéressant de voir que ce processus est aussi pris en compte par les propos mis en avant dans cette exposition temporaire.

Dans une certaine mesure, l’exposition mise à créer un lien empathique envers les visiteurs qui sont souvent plus attirés par un sujet où ils peuvent se reconnaître ou s’ils se sentent concernés (voir même exposés). Cette nouvelle exposition d’art contemporain invite ainsi les visiteurs à se reconnaître dans les œuvres présentées. Ce qui est exposé par le musée pourrait donc être des éléments constitutifs de sa propre culture familiale (si le visiteur a des origines immigrés) et lui parlent alors davantage, déclenchant chez lui des réactions plus émotives. Même dans le cas où le visiteur n’a pas dans sa famille des expériences migratoires ou multiculturelles, il peut se connecter aux relations intergénérationnelles à l’intérieur d’une même famille et les transmissions de mémoires intra-familiales.

Les émotions patrimoniales110 110 Fabre, op. cit. provoquées suite à l’identification ressentie à la vue d’objets-mémoire ou à l’écoute d’un témoignage d’un immigré, peuvent être plus fortes que toute analyse académique sur le sujet. Ainsi, l’apport de cette œuvre d’art conjuguée à un parcours muséographique qui privilégie l’histoire orale et des objets-témoins, affirme la volonté du musée de dialoguer directement avec son public et de l’amener à ressentir de l’empathie envers les propos traités. L’histoire de l’immigration est ainsi reconnue à un niveau plus personnel et appropriée donc par le visiteur.

L’art contemporain dans les musées dédiés à l’immigration présente la possibilité au visiteur d’appréhender la thématique de l’immigration par un biais plus subjectif et personnel. Les thématiques de l’exil, du déracinement et des migrations (que ce soit le décalage culturel ou l’adaptation aux nouveaux lieux de vie et socialisation). Les questions liées aux réfugiés et à l’exil ainsi qu’au processus de décolonisation sont plus que jamais présentes dans nombre d’œuvres d’artistes contemporains comme, par exemple, Florence Lazar, qui a présenté l’exposition « Tu crois que la terre est chose morte…» au Jeu de Paume 2019,111 111 Pour plus d’informations sur cette exposition, consulter Florence… (2019). ou encore, Barthélémy Toguo (plusieurs de ces œuvres font partie des collections du MNHI) qui présente plusieurs de ces œuvres dans une exposition dédiée uniquement à sa création artistique « Désir d’Humanité » au Musée du Quai Branly jusqu’au 5 décembre 2021.112 112 Pour plus d’informations sur cette exposition, consulter Désir… (2021).

Ainsi on peut poser la question suivante: Quelle est la place de l’Art Contemporain dans le discours muséographique que construit le musée sur l’immigration? Est-ce que l’Art Contemporain permet d’appréhender (ou de comprendre) le phénomène migratoire d’une autre façon?

Des musées d’immigration présents aujourd’hui dans le paysage muséal mondial, le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) à Paris est le seul qui a vraiment créé une collection d’art contemporain. Les autres musées d’immigration incorporent des œuvres d’art contemporain dans leurs expositions permanentes mais plutôt de façon ponctuelle.113 113 Comme c’est le cas du Museu da Imigração de São Paulo avec l’oeuvre de l’artiste brésilien Nuno Ramos (présentée à l’entrée de l’exposition permanente de 2014 à 2019), ou encore, du Ellis Island Immigration Museum qui a présenté l’oeuvre de l’artiste français JR (de 2015 a 2016) dans les anciens bâtiments hospitaliers abandonnés dans l’île. Certes, le Museu da Imigração de São Paulo développe une politique de soutien à des jeunes artistes d’origine immigrée avec la création de concours de résidence artistique au musée où les lauréats sont invités à créer des œuvres en lien avec les collections et les expositions du musée. Cependant, le musée ne s’est pas encore investi à intégrer complètement l’art contemporain dans ces collections ou dans son exposition permanente.

Selon Jacques Toubon, qui a présidé la mission de préfiguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (aujourd’hui MNHI) et son conseil d’orientation jusqu’en 2014: « En 2007, avec l’ouverture de son exposition permanente Repères, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a tenté de proposer une forme muséale originale, à la croisée du musée d’histoire, du musée de société et du musée d’art. […] Dès le départ, les collections ont abordé ensemble le passé, le présent et le futur de l’immigration. La Cité se situe à l’intersection du temps historique et de l’espace de la société contemporaine. »114 114 Renard et Poinsot (2011).

L’objectif de faire (re)connaître l’histoire de l’immigration pour changer le regard sur le phénomène migratoire s’appuie donc sur trois approches disciplinaires au sein de ce musée: l’approche historique, avec des sources contextualisées par les historiens les plus compétents; l’approche anthropologique, constituée par des témoignages individuels ou familiaux, des dons d’objets ou de documents, et l’approche artistique avec des oeuvres majeures des dernières décennies qui ont intégré les collections d’art contemporain du musée.

Le musée a non seulement réussi à construire une belle collection d’art contemporain sur la thématique de l’immigration mais aussi, durant les 14 dernières années, a donné une place privilégiée à l’apport artistique non seulement dans l’exposition permanente Repères mais dans les expositions permanentes « J’ai deux amours » (2010-2011), « Vivre! » (2016-2017), « Persona Grata » (2018-2019). Les thématiques de chaque exposition étant liées à la question de la mémoire, de la double appartenance à des cultures différentes, à la question de l’hospitalité et du savoir-vivre en communauté.

Ainsi le choix de continuer à présenter des expositions d’art contemporain pendant la période de fermeture du musée pour rénovations, renforce cette volonté de donner à la création artistique contemporaine une place importante au sein du musée. A l’automne 2021, le musée présente une exposition dédiée à Pablo Picasso comme grand maître d’origine espagnole qui s’est installé à Paris très jeune et a vécu en France jusqu’à la fin de sa vie. L’exposition « Picasso, l’étranger »,115 115 L’exposition est en lien avec l’ouvrage d’Annie Cohen Solal, commissaire de l’exposition, paru en avril 2021 « Un étranger nommé Picasso ». J’ai eu l’occasion de travailler pour cette exposition et en particulier sur les archives privées de Picasso. La correspondance de la mère de Picasso a été classifiée et cotée manuellement lors de ma mission auprès du musée. Les liens entre l’artiste espagnol et sa famille, ainsi que ses amis catalans, sont au cœur des relations entre Picasso et l’Espagne puisque l’artiste visitera très peu son pays natal (sa dernière visite à Barcelone sera en 1934). créée en partenariat avec le Musée Picasso Paris, montre encore une fois ce lien étroit entre histoire de l’art, création artistique et immigration. Cependant, il faudra attendre le printemps 2023 pour pouvoir découvrir la nouvelle exposition permanente du musée. Nous espérons que l’art contemporain restera aussi important dans le parcours de la nouvelle exposition permanente.

CONCLUSION

En conclusion, nous pouvons dire que les musées d’immigration, visent à construire un récit inclusif sur l’immigration, mettant en évidence la contribution de l’immigration à l’identité et à la culture nationales. L’objectif de cet article a été de montrer que les musées d’immigration sont responsables de la mise en place d’une muséologie participative (avec pour but de créer un discours polyphonique sur l’immigration) mais en même temps héritiers des musées de société par leur questionnements sur la société elle-même et la façon d’appréhender les différentes communautés ethniques dans le but de créer une représentation de l’autre (dans le style des musées ethnographiques). Même si la base de cet article est notre recherche doctorale,116 116 Ma thèse portait sur l’analyse des trois musées dédiés à l’histoire de l’immigration: le Ellis Island Immigration Museum, le Museu da Imigração et le Musée National de l’histoire de l’immigration. Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020). nous avons essayé d’élargir le cadre d’analyse des expositions, en mettant en avant l’ampleur des démarches et propos défendus par les différentes institutions dédiées à l’histoire de l’immigration.

Une approche interdisciplinaire est donc souvent favorisée par ces musées apportant ainsi des nouveaux regards qui peuvent remettre en question nos propres paradigmes sur la société ou groupe représenté. Il serait, en effet, intéressant de mettre en perspective et de faire dialoguer les réflexions (issues de ma thèse) sur les musées de l’immigration avec celles des musées de société. À travers l’analyse d’un élément conceptuel tel que celui d’une mémoire partagée de l’immigration, les musées développent une approche participative dans la création des collections (donation et collecte d’objets-mémoire tels que dans la Galerie des dons du MNHI).

Le musée national de l’histoire de l’immigration (aujourd’hui MNHI auparavant la CNHI) présente ainsi une configuration plutôt proche des musées de société où les communautés et le réseau participatif sont au cœur de son projet. Ce musée, en particulier, est le résultat d’une volonté et d’un projet émanant des milieux universitaires et associatifs. L’implication de la société civile était donc un des piliers du projet défini lors de la création officielle de l’institution en 2004. Le concept de « réseau associatif »117 117 Dans le projet scientifique et culturel de l’établissement de 2006, le Réseau est défini comme « un réseau de partenaires, constitué notamment d’associations, de collectivités territoriales, d’institutions scientifiques et culturelles, d’entreprises et d’organisations syndicales poursuivant des objectifs similaires ». se développe à la croisée de multiples enjeux culturels, scientifiques, sociaux et politiques. La diversité du réseau et des acteurs qui la composent montrent bien que l’histoire de l’immigration est un vaste champ pluridisciplinaire et protéiforme.

Cette démarche participative se traduit par des appels réguliers au don pour l’enrichissement des collections ou encore par l’organisation de colloques, rencontres et spectacles vivants visant à provoquer le dialogue et les débats sur la thématique de l’immigration. Cette mission sociale du musée s’appuie donc sur le maintien d’un réseau de partenaires (associations, institutions culturelles et scolaires, collectivités, etc.) permettant au musée de soutenir, de valoriser et de relayer les initiatives locales.

Les musées d’immigration constituent donc des musées de société où le concept de méthodologie participative est au cœur de la création d’expositions et des collections créant ainsi un parcours muséal qui présente un discours polyphonique. Cette « perspective multivocale » est présente dans les expositions dédiées à ce sujet et dans la formulation d’un argumentaire sur l’immigration qui intègre ces différents récits narratifs pour développer une identité locale ou nationale plus inclusive.

Ainsi, avec le développement d’une demande de la société et une revendication des minorités à entrer dans l’histoire et le discours national, un autre type de musée de l’autre voit le jour: les musées dédiés à l’histoire de l’immigration. Une approche interdisciplinaire est donc souvent favorisée par ces musées apportant ainsi des nouveaux regards qui peuvent remettre en question nos propres paradigmes sur la société ou groupe représenté. Il serait, en effet, intéressant de mettre en perspective et de faire dialoguer les réflexions (issues de ma thèse) sur les musées de l’immigration avec celles des musées de société.

L’idée est aussi de voir le musée comme un espace de perception d’images et de représentations: quelle est la représentation de l’immigration qu’on donne à voir dans ces musées?

La mise en scène et le montage des parcours d’expositions sont essentiels pour comprendre la production du discours muséal. C’est l’ensemble de l’agencement spatial, de la disposition et de la présentation des objets et documents ainsi que l’ensemble des textes (sur les murs et le catalogue) qui produisent un message, un discours à être interprété par le visiteur. Pour dépasser l’idée, qui est encore partagée chez les spécialistes du langage, selon laquelle tout objet de langage est, de part en part, sémiotique à la manière des textes linguistiques, nous comparons l’exposition à un média comme le livre, par exemple.

L’exposition permanente « Repères » du Musée national de l’histoire de l’immigration - MNHI s’intéresse justement aux « petits objets glissés dans la poche » avant le départ. Un fort accent est mis sur les souvenirs individuels et les récits personnels de départ et de voyage: l’expérience migratoire est présentée à un niveau individuel (surtout quand on regarde la Galerie des Dons).

Différente des expositions permanentes de l’Ellis Island Immigration Museum de New York et du Museu da Imigração de São Paulo, qui soutiennent leur récit muséal sur l’histoire de la construction et le parcours de l’immigré à son arrivée dans ces lieux de passage que constituent ces institutions (les institutions gouvernementales de « tri » des immigrés), l’exposition Repères, s’organise autour de concepts, de mots clés pourrait-on dire, qui guident l’expérience migratoire. Ainsi, il est logique que l’exposition ait pour point de départ l’idée même de Départ.

Cependant, comme discuté au fil de cet article, leur tentative de créer une exposition permanente polyphonique et inclusive n’est pas pleinement réalisée car leur exposition permanente présente toujours un récit qui ne parle pas vraiment des défis contemporains auxquels sont confrontés les immigrés, ni des luttes pour se sentir « intégrés » dans la nouvelle société. Des questions telles que le multiculturalisme ne sont pas non plus pleinement discutées même si les contributions culturelles sont célébrées (gastronomie, art, etc.).

Ainsi, nous avons l’impression de naviguer toujours dans une présentation de parcours d’immigrés ayant réussi leur insertion et adaptation dans la société d’accueil. Autrement dit, que ce soit en France, aux États-Unis ou au Brésil, les discours se développent autour du concept d’intégration à la nouvelle société. La célébration des parcours personnels et collectifs « d’immigrés de succès » est mise en avant pour bien valoriser leur apport à l’identité et à la culture nationales.

Néanmoins, les expositions temporaires des musées évoqués ici et de la Galerie des dons, dans le cas français, témoignent d’une réelle tentative de création de pratiques communautaires de création d’un discours muséal. En invitant les immigrés à faire un don d’objet et à raconter leurs histoires personnelles, cela crée un véritable récit polyphonique sur l’immigration alors que différents récits et voix présentent les défis, les luttes mais aussi les succès que les immigrés ont connus en arrivant à leur destination finale. L’apport de l’art contemporain enrichit encore plus les propos présentés par ces musées entraînant une perception plus subjective auprès du visiteur. A travers les mises en musée des récits et mémoires personnelles des immigrés ainsi que les interprétations et les transformations de ces mémoires par des artistes contemporains, les musées d’immigration veulent inciter une certaine empathie du visiteur qui pourra ainsi appréhender le phénomène migratoire par un biais plus subjectif et, non seulement, une présentation chronologique ou académique des faits liés à l’histoire de l’immigration.

Finalement, les musées dédiés à l’histoire de l’immigration restent des initiatives récentes dans le paysage muséal international mais comme la thématique gagne en importance dans le contexte politique international, en raison de la crise migratoire actuelle, depuis 2015, ils gagnent de la place dans les discussions contemporaines sur le patrimoine et l’inclusion sociale. Même si certains professionnels de musées soutiennent que le scénario idéal serait d’inclure l’histoire de l’immigration dans les musées d’histoire nationaux au lieu d’avoir un musée dédié à l’immigration elle-même, pour le moment, il est essentiel d’avoir un espace de discussion et de réflexion sur l’immigration ainsi que sur le phénomène migratoire dans nos sociétés contemporaines. Avec le rôle croissant des musées en tant qu’acteurs sociaux, les musées d’immigration pourraient donc se transformer en une plate-forme de discussion sur l’inclusion socio-économique des immigrés et des réfugiés.

LIVRES, ARTICLES ET THÈSES

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    » https://bit.ly/3gLQ2mY
  • 2
    L’art contemporain apparaît de plus en plus dans les musées ou expositions dédiées à la thématique des migrations.
  • 3
    Anatole-Gabriel (2016ANATOLE-GABRIEL, Isabelle. La Fabrique du patrimoine de l’humanité. Paris: Publications de la Sorbonne, 2016.).
  • 4
    Delaplace (2022DELAPLACE, Andréa. Musées de l’immigration: entre phénomène migratoire, mémoire, patrimoine et identité. Les Cahiers de muséologie, Liège, n. 2, p. 56-78, 2022.).
  • 5
    Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020). J’ai aussi publié un article dans les Cahiers de Muséologie de Liège, « Musées de l’immigration: entre phénomène migratoire, mémoire, patrimoine et identité », qui travaille la même thématique du présent article.
  • 6
    Noiriel (2001NOIRIEL, Gérard. État, nation et immigration: vers une histoire du pouvoir. Paris: Belin , 2001.).
  • 7
    Ibid.
  • 8
    Johansson et Bevelander (2017JOHANSSON, Christina; BEVELANDER, Pieter. Museums in a Time of Migration: Rethinking Museums’ Roles, Representations, Collections, and Collaborations. Falun: Nordic Academic Press, 2017.).
  • 9
    Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020). Ma recherche doctorale s’est centrée autour de la mise en patrimoine de l’immigration et, en particulier, la création de musées sur l’histoire de l’immigration. Par qui, comment et pour qui ce patrimoine de l’immigration est-il constitué? Par qui, comment et pour qui ce passé/présent est-il écrit et négocié aujourd’hui? Elle propose d’analyser les enjeux dont cette histoire passée et son « héritage » épistémologique, économique et social est transformé en patrimoine. Est-ce que cette mise en patrimoine porte l’empreinte d’un passé conflictuel qui tend parfois à se figer dans une lecture simpliste, voire binaire, de l’Histoire? J’ai pu développer une analyse approfondie des expositions permanentes présentées par ces musées et leurs discours concernant la représentation de l’immigration. Le choix des trois musées est basé sur une volonté de compréhension de la représentation migratoire, non seulement dans une perspective transnationale plus large, mais aussi sur la relation entre le continent américain (Amérique du Nord et Amérique du Sud) et le continent européen (France). Les questions postcoloniales sont donc aussi présentes puisque les Etats-Unis et le Brésil sont des anciennes colonies européennes. Ainsi le choix du Museu da Imigração de São Paulo et du Musée national de l’histoire de l’immigration a été fait dès le début pour une question d’analyse transatlantique suivie du choix d’Ellis Island qui est le grand modèle des musées dédiés à l’histoire de l’immigration. Ces trois musées présentent aussi la caractéristique de présenter une configuration institutionnelle marquée par les politiques étatiques puisque ce sont des institutions gérées par des gouvernements régionaux ou nationaux.
  • 10
    Dodd (2019DODD, Jocelyn. Whose Voices Do We Hear in the Museum? Leicester: University of Leicester, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3DefFV9 . Consulté le: 2 sept. 2020.
    https://bit.ly/3DefFV9...
    ).
  • 11
    Janes et Sandell (2019JANES, Robert R.; SANDELL, Richard. Museum Activism. Oxford: Routledge , 2019.).
  • 12
    Bennett (1995BENNETT, Tony. The Birth of the Museum: History, Theory, Politics. Oxfordshire: Routledge, 1995.).
  • 13
    Duncan (1995DUNCAN, Carol. Civilizing Rituals: Inside Public Art Museums. Oxford: Routledge, 1995.).
  • 14
    Trom (1989TROM, Danny. Habermas (Jürgen), L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, réed. 1988. Politix, Paris, v. 2, n. 5, 1989. p. 95-96.).
  • 15
    Janes et Sandell, op. cit.
  • 16
    Poulot (2016bPOULOT, Dominique. Is the Invention of Memories Necessary to Identities? Cultural Base, [s. l.], 6 Jan. 2016b. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3U2rGDE . Consulté le: 2 sept. 2020.
    https://bit.ly/3U2rGDE...
    ).
  • 17
    Voir le cas des projets: Migration… (2018MIGRATION Cities Workshop, Mexico 2017 - Marlen Mouliou “The Migration:Cities Project Evaluation”. [S. l.: s. n.], 2018. 1 vidéo (32 min). Publié par la chaîne Youtube CAMOC - International Committee for the Collections and Activities of Museums of Cities. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3WlRbCf . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3WlRbCf...
    ).
  • 18
    Le Centre d’Histoire de Montréal présentait une exposition permanente sur l’histoire de Montréal intégrant l’histoire des immigrés à celle de la ville à travers les siècles. Aujourd’hui, le musée est fermé et rouvrira en 2022 avec une nouvelle exposition permanente. Le changement du nom est aussi significatif de la place donnée aux mémoires et récits personnels dans le discours muséal. Le Centre des Mémoires Montréalaises est engagé dans un processus participatif pour créer un discours polyphonique sur l’immigration et la ville. L’exposition temporaire itinérante consacrée aux mémoires de l’immigration intitulée « Fenêtres sur l’immigration » (2019-2020) est aussi un des exemples des projets développés par le musée de façon participative auprès des communautés locales. Ces initiatives donnent donc droit à la ville à tous ceux qui ont fait de Montréal leur ville natale.
  • 19
    Poulot (2016bPOULOT, Dominique. Is the Invention of Memories Necessary to Identities? Cultural Base, [s. l.], 6 Jan. 2016b. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3U2rGDE . Consulté le: 2 sept. 2020.
    https://bit.ly/3U2rGDE...
    ).
  • 20
    Assmann (2012ASSMANN, Aleida « Le Nouveau Malaise face à la culture du souvenir. », Beck C. H., 2012.).
  • 21
    Poulot (2016bPOULOT, Dominique. Is the Invention of Memories Necessary to Identities? Cultural Base, [s. l.], 6 Jan. 2016b. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3U2rGDE . Consulté le: 2 sept. 2020.
    https://bit.ly/3U2rGDE...
    ).
  • 22
    Mazé (2014MAZÉ, Camille. La Fabrique de l’identité européenne: dans les coulisses des musées de l’Europe. Paris: Belin, 2014. (Socio-Histoire), p. 123).
  • 23
    Témoignage… (2018TÉMOIGNAGE: la truelle de Luigi Cavanna. [S. l.: s. n.], 2018. 1 vidéo (2 min). Publié par la chaîne Youtube du Palais de la Porte Dorée. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3gLQ2mY . Consulté le: 27 out. 2022.
    https://bit.ly/3gLQ2mY...
    ).
  • 24
    Anderson (1991ANDERSON, Benedict. Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism. London: Verso, 1991 [1983]. [1983]).
  • 25
    Poulot (2016aPOULOT, Dominique. Introduction. Culture et musées, Avignon, n. 28, p. 13-29, 2016a. DOI: https://doi.org/10.4000/culturemusees.783
    https://doi.org/10.4000/culturemusees.78...
    ).
  • 26
    Dans ma thèse de doctorat, dans les quatrième et cinquième chapitres en particulier, j’ai présenté une analyse de la constitution d’un patrimoine de l’immigration à partir d’un lieu de mémoire. Les négociations et réécritures de l’histoire du lieu sont au cœur des processus de mise en patrimoine. La fabrication du patrimoine doit toujours être analysée de près lorsqu’on traite d’un lieu de mémoire.
  • 27
    Fauvel (2014FAUVEL, Maryse. Exposer l’autre: Essai sur la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et le Musée du quai Branly. Paris: L’Harmattan, 2014., p. 23).
  • 28
    Clifford (1997CLIFFORD, James. Routes: Travel and Translation in the Late Twentieth Century. Cambridge: Harvard University Press, 1997.).
  • 29
    Je parle ici notamment des expositions permanentes présentées par les trois musées que j’ai analysés lors de ma recherche doctorale: le Ellis Island Immigration Museum, le Museu da Imigração et le Musée national de l’histoire de l’immigration. Des entretiens ont été réalisés avec les acteurs des musées et les concepteurs des expositions en vue de distinguer des « arènes de conflits » pertinentes où apparaisse clairement cette crise de la représentation.
  • 30
    Poulot (2005POULOT, Dominique. Musée et museologie. Paris: La Découverte, 2005. (Collection Repères)).
  • 31
    Ibid.
  • 32
    Duclos (2012DUCLOS, Jean-Claude. De l’immigration au Musée dauphinois. Hommes et migrations , Paris, n. 1297, p. 96-104, 2012. DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.1551
    https://doi.org/10.4000/hommesmigrations...
    ).
  • 33
    Landsberg (2004LANDSBERG, Alison. Prosthetic Memory: The Transformation of American Remembrance in the Age of Mass Culture. New York: Columbia University Press, 2004.).
  • 34
    Dans le huitième chapitre de ma thèse, dédié à une analyse transversale des expositions permanentes, j’ai mis en avant ces mécanismes de mise en récit de mémoires sensibles qui engendrent une forme d’empathie chez le visiteur.
  • 35
    Boumankhar (2011BOUMANKHAR, Ilham. Communautés immigrantes, institution culturelle et espace politique: le succès du Musée de l’immigration de Melbourne en Australie. Hommes et migrations, Paris, n. 1293, p. 50-61, 2011. DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.503
    https://doi.org/10.4000/hommesmigrations...
    ).
  • 36
    Hage (2000HAGE, Ghassan. White Nation: Fantasies of White Supremacy in a Multicultural Society. London: Psychology Press, 2000.).
  • 37
    Au Canada, il est important de mettre en avant que le Québec présente une approche/conception différente du multiculturalisme. Le multiculturalisme canadien prône la coexistence de différentes cultures au sein du pays, par opposition à l’intégration complète à une culture unique et à la constitution d’une identité commune unique. En ce sens, la notion de multiculturalisme est souvent opposée à la notion d’« interculturalisme », plutôt préconisée au Québec. Cette dernière est plutôt basée sur le développement d’un ensemble commun de valeurs sociétales basées le plus souvent sur des modèles associés à la « civilisation occidentale », parmi lesquels les droits humains étendus à tous. Ce sont des concepts complexes mais nous présentons ici une définition concise pour que le lecteur puisse avoir une idée de la complexité de la discussion sur le multiculturalisme.
  • 38
    Les populations de souche étant celles qui détiennent le ‘contrôle’ de l’identité nationale. Autrement dit, les populations d’origine anglo-saxonne (WASP) aux États-Unis et les populations d’origine portugaise au Brésil. Le facteur de la race reste aussi central dans cette insertion dans la ‘normale’ nationale. Les populations considérées comme étant ‘blanches’ s’intègrent plus rapidement que les autres populations.
  • 39
    McShane (2001MCSHANE, Ian. Challenging or Conventional? Migration History in Australian Museums. In: MCINTYRE, D.; WEHNER, K. National Museums: Negotiating Histories. Canberra: National Museum of Australia, 2001. p. 122-133.).
  • 40
    Hodge et O’Carroll (2006HODGE, Bob; O’CARROLL, John. Borderwork in Multicultural Australia. Sydney: Allen and Unwin, 2006.).
  • 41
    Jackson (2020JACKSON, Ashawnta. Smithsonian Head Lonnie Bunch on Institutional Racism and the Duty of Curators. Artsy, New York, 2 Sept. 2020. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3DAYFty . Consulté le: 26 oct. 2022.
    https://bit.ly/3DAYFty...
    ).
  • 42
    Fauvel, op. cit., p. 22.
  • 43
    Ibid.
  • 44
    Ibid.
  • 45
    Des trois musées analysés dans ma thèse, Ellis Island est le seul qui reste presque inchangé depuis son ouverture en 1990 (il y a donc plus de trente ans).
  • 46
    Il est important de noter ici que dès la fermeture de l’Hospedaria do Imigrante en 1978, des projets non-officiels se sont développés pour la création d’un musée consacré à l’histoire de l’immigration. Une première exposition sur le sujet sera présentée à partir de 1986 mais ce sera seulement dans la décennie de 1990 qu’un vrai projet de création de musée sera mis en œuvre par l’Etat de São Paulo.
  • 47
    Vieira (2007VIEIRA, Ana Maria da Costa Leitão. The São Paulo Immigrants’ Memorial: fields of research and challenges in the twenty‐first century. Museum International, Paris, v. 59, n. 1/2, p. 117-126, 2007., p. 118).
  • 48
    Le bâtiment avait besoin de travaux de restaurations importants ainsi que d’une mise à jour des paramètres de sécurité et des espaces de conservation des collections.
  • 49
    A São Paulo, les institutions muséales publiques sont gérées par des « organisations sociales » (OS). Ces dernières consistent en des organismes culturels qui envoient des projets au Secrétariat de la Culture du gouvernement de l’État de São Paulo. Si l’un des projets est approuvé, l’OS signe un contrat pendant une période donnée, pouvant être renouvelé à la fin de celle-ci.
  • 50
    La Festa do Imigrante qui a lieu chaque année à la fin du mois de Mai ou début du mois de Juin, réunit toutes les différentes communautés d’origine immigré à São Paulo (italiens, polonais, russes, portugais, boliviens, japonais, … etc.). C’est un moment célébratoire (certes folklorique) mais qui reste important puisqu’il maintient ce lien direct avec les différentes communautés immigrées qui viennent présenter leur gastronomie, des danses et musiques traditionnelles, etc. C’est un grand succès auprès des visiteurs du musée aussi.
  • 51
    Le Memorial do Imigrante mettait déjà en avant le concept de cosmopolitisme comme étant intrinsèque à l’identité et aux racines de la ville mais c’est le nouveau musée qui approfondira notamment cette thématique (MEMORIAL…, 2006MEMORIAL do Imigrante guarda as raízes da cidade. São Paulo.sp.gov.br, São Paulo, 11 maio 2006. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3DNpMll . Consulté le: 31 oct. 2022.
    https://bit.ly/3DNpMll...
    ).
  • 52
    Des expositions telles que Direitos migrantes: nenhum a menos (2016DIREITOS migrantes: nenhum a menos. Museu da Imigração, São Paulo, 24 set. 2016. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3zm15K3 . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3zm15K3...
    ) ou encore Costurando Dignidade (2019) entre autres sont des exemples de cette volonté du musée de parler des questions des droits des migrants contemporains à São Paulo.
  • 53
    Pour plus d'informations sur le parcours de l’exposition permanente nous invitons le lecteur à consulter « La Galerie des dons » (2022LA GALERIE des dons. Palais de la Porte Dorée, Paris , 2022. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3SC8Jqw . Consulté le: 30 oct. 2022.
    https://bit.ly/3SC8Jqw...
    ).
  • 54
    Dès son premier projet scientifique en date de 2005-2006, le musée a privilégié une approche basée sur un regard historique, ethnologique et artistique pour constituer, non seulement, ces collections mais aussi la muséographie des l’exposition permanente « Repères ».
  • 55
    Lafont-Couturier (2007LAFONT-COUTURIER, Hélène. Les coulisses d'une collection en formation. Palais de la Porte Dorée, Paris, 2007. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3gP2YIC . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3gP2YIC...
    ).
  • 56
    Comme nous l’avons vu dans le chapitre six, les critiques dès l’ouverture du musée parlaient du manque de mise en perspective des difficultés rencontrées par les immigrées et une certaine forme de simplification des dualités liées à la représentation de l’immigration. Mais il est sûr qu’il faut nuancer les critiques et voir les différentes tentatives du musée à créer un espace d’auto-réflexion sur la représentation de l’immigration.
  • 57
    Pour le moment, seulement la galerie des dons a été renouvelée. L’exposition « Repères » n’a pas de dates encore pour être renouvelée. Même si elle a perdu une partie importante de son espace pour laisser plus d’espace aux expositions temporaires. Les années 2017-2019 voient aussi la venue de deux nouveaux directeurs et pour les célébrations des dix années du musée, en octobre 2017, l’annonce d’une nouvelle exposition permanente et d’un nouveau projet scientifique qui devraient avoir lieu courant 2019-2021.
  • 58
    Benjamin Stora est historien et ancien président du conseil d’orientation du Musée national de l’histoire de l’immigration. Il a quitté le musée en 2019.
  • 59
    Patrick Boucheron est historien, professeur au Collège de France et co-directeur de l’ouvrage « Faire musée d’une histoire commune », Seuil 2019.
  • 60
    Musée… (2020MUSÉE national de l’histoire de l’immigration: faire musée d'une histoire commune. Palais de la Porte Dorée, Paris , 12 févr. 2020. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3FoKA3I . Consulté le: 21 juil. 2022.
    https://bit.ly/3FoKA3I...
    ).
  • 61
    L’exposition temporaire « Persona Grata » présentée au MNHI et au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne MAC-VAL, du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019. Cette exposition, entièrement dédiée à la création contemporaine, mettait en valeur les concepts d’hospitalité et d’asile. Pour plus d’informations allez sur le site internet: https://www.histoire-immigration.fr/agenda/2018-06/persona-grata
  • 62
    Musée…, op. cit.
  • 63
    Green (2011GREEN, Nancy. Construire une collection, représenter l’immigration: la cité nationale de l’histoire de l’immigration. Hermès, La Revue, Meudon, v. 61, n. 3, p. 131-137, 2011. DOI: https://doi.org/10.3917/herm.061.0131
    https://doi.org/10.3917/herm.061.0131...
    ).
  • 64
    Grosfoguel, Le Bot et Poli (2011GROSFOGUEL, Ramon; LE BOT, Yvon; POLI, Alexandra. Intégrer le musée dans les approches sur l’immigration: vers de nouvelles perspectives de recherche. Hommes et migrations , Paris, n. 1293, p. 6-11, 2011.).
  • 65
    Gruson (2011GRUSON, Luc. Un Musée peut-il changer les représentations sur l’immigration?: retour sur les enjeux de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et sur son occupation par les sans-papiers. Hommes et migrations , Paris, n. 1293, p. 12-21, 2011.).
  • 66
    C’est ce que nous allons développer dans le chapitre suivant consacré à la structure thématique des expositions sur l’immigration.
  • 67
    Pour plus d’informations sur présentation des collections d’art contemporain, consulter Les Collections… (2022LES COLLECTIONS du Musée. Palais de la Porte Dorée, Paris , 2022. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3SQV3YY . Consulté le: 15 mai 2022.
    https://bit.ly/3SQV3YY...
    ).
  • 68
    Green (2007GREEN, Nancy. History at Large: A French Ellis Island? Museums, Memory and History in France and in the United States. History Workshop, Oxford, n. 63, p. 239-253, 2007.).
  • 69
    Nous avons choisi d’utiliser ici le concept d’empathie puisque c’est de plus en plus un des concepts utilisé dans une perspective de muséologie des émotions. Le tournant affectif dans la création d’expositions a été bien analysé dans l’article de Varutti (2020VARUTTI, Marzia. Vers une muséologie des émotions. Culture et musées, Avignon, n. 36, p. 171-177, 2020. DOI: https://doi.org/10.4000/culturemusees.5751
    https://doi.org/10.4000/culturemusees.57...
    ).
  • 70
    Ici nous mettons au pluriel car cette démarche de mise au musée des témoignages et récits personnels d’immigrés est récurrente dans toutes les expositions dédiées à l’histoire de l’immigration. Lors de mes recherches doctorales, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs musées et expositions consacrés à l’histoire des migrations humaines: Barcelone, Bremerhaven, Dublin, Londres, Genova, Anvers, New York, São Paulo, Paris, Montréal. Dans toutes ces expositions visitées le support objet-mémoire était mis en scène pour mettre en avant les récits d’immigrés. Ce dispositif est souvent associé à des muséographies immersives (reproductions de ports, salles à manger, domitoires, entre autres) et/ou à des œuvres d’art contemporain comme nous verrons plus loin dans cet article.
  • 71
    Varutti, op. cit.
  • 72
    Nous donnons ici une définition simple de deux concepts assez complexes mais l’objectif est de faire la différence pour que le lecteur ne se trompe pas. Le terme souvent utilisé en anglais « empathy » se traduit bien en français par le terme empathie. Même si beaucoup de muséologues ne croient pas que « l’empathie » soit un concept central pour créer des expositions, puisque trop abstrait et difficile de transcrire dans un parcours muséographique, de plus en plus de musées défendent la création d’expériences de visite qui déclencherait des émotions fortes chez le visiteur. Autrement dit, une voie possible dans la conception d’expositions est de créer un lien émotif chez le visiteur. Le rôle des émotions dans les musées a connu, principalement dans la littérature muséolologique anglo-saxonne, un regain d’attention ainsi que les sensations physiques, l’imagination et leur fonction dans le façonnement des expériences individuelles et collectives.
  • 73
    Appadurai (1986APPADURAI, Arjun. The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective. Cambridge: Cambridge University Press, 1986.).
  • 74
    Drouguet (2015DROUGUET, Noémie. Le musée de société: de l’exposition de folklore aux enjeux contemporains. Paris: Armand Colin, 2015., p. 192).
  • 75
    Galitzine-Loumpet (2020GALITZINE-LOUMPET, Alexandra. L’Objet de la migration, le sujet de l’exil. Nanterre: Presses universitaires de Nanterre, 2020. (Chemins croisés)., p. 248).
  • 76
    Il est important aussi de mettre en avant que cet article se présente comme un article de synthèse d’un travail de recherche doctorale où l’objectif est de mettre en évidence le cadre théorique où s’insère cette recherche ainsi que de mettre avant les points forts des expositions sur l’histoire de l’immigration sans pour autant entrer dans une analyse détaillée de ces expositions.L’analyse des expositions plus détaillée peut-être lue dans ma thèse doctorale.
  • 77
    Nous faisons référence ici à la création de parcours narratifs basés sur l’objets mémoire et témoignages d’immigrés. La Galerie des dons étant entièrement dédiée à ce type de muséographie, nous pouvons donc affirmer que l’objet-mémoire est un des points phares du Musée national de l’histoire de l’immigration.
  • 78
    Le Palais de la Porte Dorée a été inauguré en 1931 lors de l’Exposition Coloniale au bois de Vincennes. Il a été construit pour devenir une vitrine de l’Empire colonial français: il a abrité le Musée des Colonies de 1931 à 1935. Ce musée sera ensuite appelé le Musée de la France d’outre-mer (1935-1960), le Musée des Arts africains et océaniens (1960-1990) et le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (1990-2003).
  • 79
    Il est important de préciser qu’ en janvier 2012, l’établissement public du palais de la Porte-Dorée est officiellement créé par décret. Il regroupe en son sein un monument historique, le palais de la Porte-Dorée, un musée, le musée national de l’histoire de l’immigration1 et un aquarium tropical. Sa mission est de mettre en valeur l’ensemble patrimonial du palais de la Porte-Dorée et de développer les projets scientifiques et culturels du musée et de l’aquarium.
  • 80
    Paulista se réfère à celui qui est né dans l’État de São Paulo.
  • 81
    Paulistano se réfère à celui qui est né dans la ville de São Paulo.
  • 82
    Même si la plupart du temps les communautés approuvent le discours du musée, lors d’un entretien avec l’ancienne directrice du Musée Marilia Bonas en février 2015, j’ai appris que le musée fait aussi attention aux commentaires et aux critiques sur le discours de l’exposition permanente du musée.
  • 83
    Fauvel, op. cit., p. 120.
  • 84
    Fauvel, op. cit, p. 121.
  • 85
    Lors de ma recherche doctorale, j’ai eu l’occasion non seulement de visiter à plusieurs reprises les trois musées choisis pour l’analyse académique mais aussi d’autres musées en Italie, en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne.
  • 86
    Van Geert (2020VAN GEERT, Fabien. Du Musée ethnographique au musée multicultural: chronique d’une transformation globale. Paris: La documentation française, 2020.).
  • 87
    Baur (2017APPADURAI, Arjun. BAUR, Joachim. Staging Migration - Staging the Nation. Imagining Community at Immigration Museums. In: BERNBECK, R.; HOFMANN, K. P.; SOMMER, U. (ed.). Between Memory Sites and Memory Networks: New Archaeological and Historical Perspectives. Berlin: Topoi, 2017. p. 341-357., p. 341-357).
  • 88
    Nous entendons ici le concept de paradigme comme un modèle de pensée qui guide le discours mis en scène dans les musées de l’immigration.
  • 89
    Le Migration Museum de Londres a décidé par exemple de ne pas créer une exposition à long terme et de présenter à chaque fois des expositions thématiques pour ne pas tomber dans ce piège de créer une exposition où les thématiques présentées et la structure sont toujours similaires à d’autres musées d’immigration. La diversité des thèmes abordés et l’originalité avec laquelle ils sont traités sont donc plus grandes.
  • 90
    Drouguet, op. cit., p. 170.
  • 91
    Bergeron (2013BERGERON, Yves; FEREY, Vanessa. Archives et musées. Le Théâtre du patrimoine (France-Canada). Paris: Cths, 2013. (Orientations et méthodes, 25), 2021BERGERON, Yves; RIVET, Michèle. Decolonising Museology. Paris: ICOM, 2021. v. 2).
  • 92
    Elle représentait une espèce de noyau central « symbolique » par la disposition spatiale muséographique. Le visiteur la voit à son arrivée, la recroise au milieu de sa visite et à la fin entraînant celui-ci à se confronter, plusieurs fois, à l’immensité de celle-ci.
  • 93
    Le titre de l’œuvre fait référence au livre Si c’est un homme de Primo Lévi.
  • 94
    Fabre (2013FABRE, Daniel. Émotion patrimoniales. Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Ministère de la Culture, 2013., p. 10).
  • 95
    Landsberg (2009LANDSBERG, Alison. Prosthetic Memory: The Transformation of American Remembrance in the Age of Mass Culture. New York: Columbia University Press, 2004.).
  • 96
    Artiste d’origine mozambicaine et installé au Brésil depuis 4 ans. Il développe un travail de création artistique basé sur ses propres expériences migratoires dans d’autres pays d’Afrique et au Brésil.
  • 97
    Pour plus d’informations sur cette exposition temporaire, consulter Programa… (2021PROGRAMA de residência artística 2021: rostos invisíveis da imigração no Brasil. Museu da Imigração, São Paulo , 2 out. 2021. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3WcXszN . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3WcXszN...
    ).
  • 98
    Cet aspect célébratoire était aussi une des fortes critiques à l’ancienne exposition permanente qui n’abordait pas les défis et impacts des migrations contemporaines dans la société brésilienne.
  • 99
    L’exposition a eu lieu au Museu da Imigração du 2 octobre au 30 décembre 2021.
  • 100
    Galitzine-Loumpet, op. cit, p. 248.
  • 101
    Appadurai (1986APPADURAI, Arjun. The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective. Cambridge: Cambridge University Press, 1986.).
  • 102
    Ce qui renforce le statut des musées consacrés à l’histoire de l’immigration comme étant des musées de société puisqu’ils présentent une approche interdisciplinaire de l’immigration et aussi développent des démarches participatives auprès des différentes communautés immigrées.
  • 103
    Drouguet, op. cit., p. 192.
  • 104
    Propos présentés au public à l’entrée de l’exposition, MNHI, 2021.
  • 105
    Traduction de cette citation présente à côté de l’œuvre de Medeiros: « car c’est la nature de l’amour de renaître à partir de souvenirs cachés. »
  • 106
    Fémelat (2021FÉMELAT, Armelle. Emo de Medeiros, l’art de la contexture. La Gazette Drouot, Paris, 18 mars 2021. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3W1njdY . Consulté le: 21 juil. 2022.
    https://bit.ly/3W1njdY...
    ).
  • 107
    Texte de présentation des œuvres présenté dans la légende de l’œuvre. Ces propos ont été écrits par le critique d’art et commissaire d’expositions chinois Hou Hanru. Il est actuellement directeur artistique du MAXXI à Rome.
  • 108
    Texte de présentation des œuvres présenté dans la légende de l’œuvre.
  • 109
    Propos présentés au public à l’entrée de l’exposition, MNHI, 2021.
  • 110
    Fabre, op. cit.
  • 111
    Pour plus d’informations sur cette exposition, consulter Florence… (2019FLORENCE Lazar: tu crois que la terre est chose morte... Jeu de Paume, Paris, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3sHRCsB . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3sHRCsB...
    ).
  • 112
    Pour plus d’informations sur cette exposition, consulter Désir… (2021DÉSIR d’humanité: les univers de Barthélémy Toguo. Musée du Quai Branly, Paris, 2021. Disponible sur: Disponible sur: https://bit.ly/3DetoeG . Consulté le: 27 oct. 2022.
    https://bit.ly/3DetoeG...
    ).
  • 113
    Comme c’est le cas du Museu da Imigração de São Paulo avec l’oeuvre de l’artiste brésilien Nuno Ramos (présentée à l’entrée de l’exposition permanente de 2014 à 2019), ou encore, du Ellis Island Immigration Museum qui a présenté l’oeuvre de l’artiste français JR (de 2015 a 2016) dans les anciens bâtiments hospitaliers abandonnés dans l’île. Certes, le Museu da Imigração de São Paulo développe une politique de soutien à des jeunes artistes d’origine immigrée avec la création de concours de résidence artistique au musée où les lauréats sont invités à créer des œuvres en lien avec les collections et les expositions du musée. Cependant, le musée ne s’est pas encore investi à intégrer complètement l’art contemporain dans ces collections ou dans son exposition permanente.
  • 114
    Renard et Poinsot (2011RENARD, Isabelle; POINSOT, Marie. La place de l’art contemporain à la Cité. Hommes et migrations , Paris, n. 1293, p. 22-26, 2011. DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.497
    https://doi.org/10.4000/hommesmigrations...
    ).
  • 115
    L’exposition est en lien avec l’ouvrage d’Annie Cohen Solal, commissaire de l’exposition, paru en avril 2021 « Un étranger nommé Picasso ». J’ai eu l’occasion de travailler pour cette exposition et en particulier sur les archives privées de Picasso. La correspondance de la mère de Picasso a été classifiée et cotée manuellement lors de ma mission auprès du musée. Les liens entre l’artiste espagnol et sa famille, ainsi que ses amis catalans, sont au cœur des relations entre Picasso et l’Espagne puisque l’artiste visitera très peu son pays natal (sa dernière visite à Barcelone sera en 1934).
  • 116
    Ma thèse portait sur l’analyse des trois musées dédiés à l’histoire de l’immigration: le Ellis Island Immigration Museum, le Museu da Imigração et le Musée National de l’histoire de l’immigration. Cet article est basé sur ma thèse soutenue en décembre 2020 intitulée: Patrimoine et immigration - Ellis Island Immigration Museum, Museu da Imigração et Musée national de l’histoire de l’immigration: le rôle du musée comme médiateur dans la construction de l’identité (1980-2020).
  • 117
    Dans le projet scientifique et culturel de l’établissement de 2006, le Réseau est défini comme « un réseau de partenaires, constitué notamment d’associations, de collectivités territoriales, d’institutions scientifiques et culturelles, d’entreprises et d’organisations syndicales poursuivant des objectifs similaires ».

Publication Dates

  • Publication in this collection
    28 Nov 2022
  • Date of issue
    2022

History

  • Received
    28 Mar 2022
  • Accepted
    22 Sept 2022
Museu Paulista, Universidade de São Paulo Rua Brigadeiro Jordão, 149 - Ipiranga, CEP 04210-000, São Paulo - SP/Brasil, Tel.: (55 11) 2065-6641 - São Paulo - SP - Brazil
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